Ça ne fera pas de Carey Price une légende
Canadiens mardi, 5 mars 2019. 09:06 mercredi, 11 déc. 2024. 18:50Pour un deuxième match consécutif, si sa santé le lui permet, Carey Price tentera d’égaler ce soir l’une des marques les plus prestigieuses appartenant à un gardien du Canadien. Le record de 314 victoires appartenant à Jacques Plante avait résisté jusqu’ici à l’usure du temps. Peu de gens avaient imaginé, il y a 56 ans, qu’un autre gardien de l’organisation parviendrait éventuellement à battre la marque de Plante. Cette performance semblait unique au sein d’une équipe qui, avant ce record édité par le gardien natif de la région de Shawinigan, avait vu Georges Vézina jouer 15 ans sans manquer un seul match, George Hainsworth réussir 22 jeux blancs en 44 parties et le gardien ambidextre Bill Durnan remporter six trophées Vézina en sept saisons seulement dans ce chandail.
Si tout se passe bien pour le Canadien sur la Côte ouest, Price deviendra le gardien le plus auréolé au sein d’une équipe qui a consacré toute son existence à réussir des choses qui ont échappé à la majorité des équipes, dont celle d’amasser 24 coupes Stanley.
Je me demande si Price a vraiment pris le temps de s’informer du type d’athlète qu’était ce gardien très différent qui occupait ses temps libres à tricoter des tuques et des chandails, qui gardait souvent ses distances avec ses coéquipiers en préférant la lecture aux parties de cartes à bord des trains et en leur faisant souvent faux bond à l’heure du lunch, préférant aller s’attabler dans des restos de second ordre, ce qui lui permettait d’épargner un dollar ou deux.
Mais si Price et tous les autres gardiens patinant à travers le monde portent aujourd’hui des masques qui leur sauvent la vie, c’est à la ténacité de Plante qu’ils le doivent. Plante qui, un jour, en a eu assez d’écoper de blessures sérieuses et qui s’est dressé devant Toe Blake, l’un des entraîneurs les plus intransigeants et les plus intimidants du hockey qui ne voulait rien savoir de l’utilisation des masques par les gardiens. Personne ne tenait tête à Blake. Plante, lui, l’a fait après avoir été atteint une autre fois au visage par une rondelle lancée par Andy Bathgate dans un match à New York. Après plus de 200 points de suture, de quatre fractures du nez et de plusieurs os brisés au visage, c’était pour lui une blessure de trop.
Parce qu’il ne faisait rien comme tout le monde et parce qu’il était un coéquipier controversé, il n’a jamais fait bon ménage avec Blake, ce qui explique en partie pourquoi il a été échangé aux Rangers malgré ses six coupes Stanley, ses six trophée Vézina, un trophée Hart et ses sept saisons au cours desquelles il avait conservé la meilleure moyenne de buts par match dans la Ligue nationale.
Tous les vieux routiers du journalisme sportif, avec qui j’ai eu d’intéressantes discussions concernant les grands gardiens du Canadien, m’ont quasi unanimement mentionné que Plante a été le plus grand de tous. Ses réflexes étaient rapides; il a été le premier gardien à s’aventurer hors de son filet pour épauler le jeu de ses défenseurs. Il était vif comme un chat, très courageux en plongeant souvent tête première pour effectuer des arrêts sans se demander si son geste allait le mener une autre fois à l’infirmerie.
Comment déterminer d’une façon certaine qui a été le meilleur de tous? Il est impossible de comparer les époques. On ne gardait pas les buts dans le temps de ce gardien recordman comme on l’a fait durant les décennies de Ken Dryden, de Patrick Roy et de Price. Sans rien enlever à Price pour le record qu’il s’apprête à égaler, devenir le plus grand gagnant dans l’histoire du Canadien ne fera pas de lui le meilleur gardien de tous les temps, encore moins une légende. Du moins, pas maintenant. Plante a remporté six coupes Stanley, Roy en a gagné deux, en plus de deux trophées Conn Smythe. Dryden en a gagné six en huit ans. Price, lui, est toujours en quête d’une première présence en finale.
Plante est celui qui a joué avec les formations les plus puissantes. Cependant, s’il a remporté autant de coupes, une grande part du crédit lui revient. Il était souvent le mur sur lequel l’adversaire se cognait le nez. Tant que Price n’aura pas gagné le dernier match des séries éliminatoires, il lui sera difficile d’entrer dans la lignée des plus grands.
Pour être franc, si Roy avait pu disputer une carrière entière avec le Canadien, le match de ce soir n’aurait pas la même dimension. Roy aurait devancé Plante il y a longtemps et pas sûr que Price aurait pu le rattraper un jour. Roy a bouclé sa carrière avec 551 victoires. Mettons qu’il en aurait mérité une centaine de moins à Montréal, il trônerait encore très loin devant Plante actuellement.
Plante et Price se retrouvent donc nez à nez. Le premier a disputé 556 matchs avec le Canadien. Le second détient le record de 610 parties. Plante l’a fait durant 11 saisons à l’intérieur d’un calendrier de 70 matchs. Price en est à sa 12e saison.
Reconnaissons toutefois à Price le fait qu’il n’a jamais appartenu à de grandes formations. C’était aussi le cas avec Roy qui, contrairement à Plante, n’a joué au sein d’aucune dynastie. Quand il a gagné la coupe à l’âge de 20 ans, l’équipe avait terminé la campagne en septième place au classement général. En 1993, le Canadien avait bouclé la saison en sixième position.
Je retiens ce commentaire de François Allaire, le plus grand entraîneur des gardiens que le hockey professionnel a connu et ex-mentor de Roy : « Ce qui a fait de Patrick un gardien différent des autres, c’est qu’il a pris des équipes qui ne devaient pas gagner et il les a fait gagner », m’a-t-il déjà précisé.
Price va continuer à gagner des matchs durant quelques années encore. À 31 ans, il risque de mettre le prochain record de victoires hors de portée de tous les autres, et ce, pour longtemps.
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Cependant, même s’il remportait une tonne de victoires en saison régulière, cela ne fera pas de lui une légende tant qu’il n’aura pas remporté une coupe Stanley. Ça fera de lui un grand gardien de but, sans plus.
Dominik Hasek a connu une carrière incroyable, mais il est devenu une légende le jour où il a gagné la coupe Stanley à sa 16e saison, à Detroit. Par la même occasion, il a assuré sa place au Panthéon du hockey.
C’est l’objectif ultime sur lequel Price doit se concentrer.