Le Canadien a étiré l'élastique au maximum. Après un lessivage aux dépens de Tampa, après la surprenante élimination des Bruins et après une série contre les Rangers au cours de laquelle il a donné plusieurs fois des chaleurs aux nouveaux finalistes dans l'Est, le beau rêve d'une coupe Stanley, qu'on entretenait après une interminable attente de 21 ans, s'est éteint dans un match quasi à sens unique.

Le Canada ne sera pas représenté en finale de la coupe Stanley et l'exploit de Jacques Demers, le dernier entraîneur d'une équipe canadienne à avoir gagné la coupe, ne pourra être répété encore cette année.

L'exploit aurait été prématuré dans le plan de trois à cinq ans de Marc Bergevin, mais quand une équipe courageuse et particulièrement tenace comme celle-là refuse de mourir et quand elle est parmi les quatre dernières encore dans la course, comment ses fidèles partisans auraient-ils pu ne pas imaginer un printemps se terminant par un défilé?

Les Rangers, qui ont marqué le premier but dans quatre des six parties de cette série, n'ont surtout pas volé cette dernière victoire. Leur quatrième trio étant supérieur à la première ligne d'attaque du Canadien durant ce match, il était assez évident que la soirée serait longue et que la fin ne serait pas celle souhaitée. L'équipe d'Alain Vigneault a été plus rapide que ses adversaires encore une fois. Elle a bourdonné autour du filet défendu bravement par Dustin Tokarski et exercé une pression constante sur des défenseurs épuisés qui ont été débordés durant toute la soirée. Le Canadien, qui est habituellement plus à l'aise contre des formations rapides que devant des équipes lourdes et intimidantes, a néanmoins rencontré son homme. Les Bruins ont frappé et les Rangers ont patiné. Curieusement, le Canadien a éliminé les lourdeaux et perdu contre une formation qui n'avait pas trop de faiblesses.

Depuis son arrivée en poste, il y a exactement deux ans et 27 jours, Bergevin ne cesse de faire allusion à la coupe Stanley. C'est son objectif à moyen terme. Certainement pas à long terme. Dans le métier exigeant qu'est le sien, il ne peut pas réagir en partisan, mais il a dû y rêver, lui aussi. Même s'il s'est imposé comme un chef de file au jugement sûr et qu'il a posé quelques gestes heureux en succédant au tristement célèbre duo Gainey-Gauthier, on n'a pas toujours porté une oreille attentive à ce qu'il racontait parce que la promesse d'une coupe Stanley est une chanson qu'on a souvent entendu dans la bouche des propriétaires, des directeurs généraux et des entraîneurs qui ont promis de grandes choses sans jamais réussir à remplir leurs engagements.

Le Canadien est sur la bonne voie, c'est assez évident. Quelques-uns des jeunes qui arriveront à l'automne ne seront pas des feux de paille. Et il y a d'autres jeunes, notamment P.K. Subban, Carey Price et Max Pacioretty, qui sont des valeurs sûres faisant saliver la concurrence.

Malheureusement, le formidable printemps que l'organisation a fait vivre à tout le Québec n'offre pas la moindre garantie pour l'avenir. Ça, les joueurs l'ont entendu fréquemment dans la bouche des gagnants, qu'on surnommait les Glorieux, qui sont maintes fois passés par là. L'équipe est prometteuse, mais rien, absolument rien, nous assure qu'elle pourra survivre à des séries éliminatoires plus longues encore dans un an. C'est la loi du sport. Tout est à refaire d'une saison à une autre.

Il y a toujours des impondérables. Des joueurs vont partir et quelques nombrils verts bourrés de talent vont s'amener. La très grande unité au sein de l'équipe, qui a rendu ce printemps si heureux, sera-t-elle aussi forte la saison prochaine? Parviendra-t-on à entretenir cette ambiance propice aux succès? Pourra-t-on entrer dans les séries 2015 avec une formation aussi en santé que l'était celle de cette année? L'entraîneur, qui obtiendra bientôt une prolongation de contrat, exercera-t-il la même poigne sur son personnel à sa troisième saison?

La haute direction du Canadien et son propriétaire savent toutes ces choses-là. Bien sûr, ils sont heureux d'avoir pu élever le Canadien au rang des quatre meilleures formations de la ligue, mais quand on passe aussi près d'accéder à une finale, il y a toujours ce petit doute qui trotte dans la tête. L'équipe annonce de belles choses, mais quand aura-t-elle l'occasion de se payer enfin une finale?

La malencontreuse blessure subie par Carey Price nous a au moins permis de savoir que la base est encore plus solide qu'on le croyait dans les buts. Plus personne ne doute que Tokarski sera au Centre Bell en octobre prochain. Ce jeune homme aux nerfs d'acier, qui est aussi le plus bas salarié de l'équipe avec un traitement annuel de 575,000$, a permis à Geoff Molson d'engranger quelques millions de dollars en revenus additionnels en permettant à l'équipe d'obtenir au moins une recette de plus à domicile après le départ de Price. Sans compter les trois salles combles devant un écran géant, sans aucun joueur sur la patinoire

Venu en relève dans le second match, Tokarski n'a été responsable d'aucune défaite. Mieux encore, il a rapidement gagné la confiance de ses coéquipiers qui, pourtant, tenaient Price majoritairement responsable de tous leurs succès, notamment de l'énorme victoire contre Boston.

Sans vouloir déprécier Peter Budaj, qui a effectué un boulot fort respectable quand c'était le temps d'accorder un repos à Price, on n'a jamais senti qu'il était très à l'aise quand une situation l'obligeait à accepter le statut de numéro un. Tokarski, lui, a fait face à la musique comme s'il en avait vu bien d'autres dans sa courte vie. Même si on ne l'a vu que durant une série, il a été à l'image du Jaroslav Halak de 2010. Sans ses arrêts spectaculaires et répétés, les Rangers auraient balayé le Canadien après avoir causé la surprise de remporter leurs deux premiers matchs en plein Centre Bell.

Perdre le dernier match de la saison 1-0 face à un gardien jouissant d'une solide réputation dans la ligue n'a rien de déshonorant. Henrik Lundqvist connaît toute une carrière après avoir été un 205e choix au repêchage. Tokarski a été réclamé au 122e rang. Peut-être que le moment est venu pour le gardien des Rangers de connaître son premier moment de gloire.

Une équipe coriace

Malheureusement, le Canadien a rendu la vie facile à Lundqvist dans ce match sans lendemain. On ne peut pas battre un gardien étoile en obtenant cinq tirs en première période et cinq autres au dernier engagement. Il y a certainement des joueurs qui auraient souhaité avoir la même énergie que durant la série précédente, mais le réservoir s'est asséché dans le moment le plus important de la saison. Ce fut le prix à payer pour qu'une petite équipe sorte gagnante d'une série aussi exigeante contre les Bruins.

Des joueurs se sont mis en évidence dans le camp des gagnants. Le défenseur Ryan McDonagh a été le meilleur marqueur des siens avec 10 points. Lundqvist a accompli juste ce qu'il fallait pour faire une différence. Chris Kreider, pour l'ensemble de son oeuvre, a peut-être été le joueur le plus utile de la série. Il a mis fin à la saison de Price tout en amassant trois buts et cinq passes. Il n'aurait pas pu faire plus pour régler le sort du Canadien.

Finalement, comment oublier la contribution de Martin St-Louis qui, dans le malheur qui l'a frappé, trouve énormément de réconfort dans la seconde présence de sa carrière en finale? Après le match, il a fait remarquer que cette victoire contribue à mettre un baume sur ses plaies morales et sur celles de son père. Le petit guerrier de Sainte-Dorothée a puisé au fond de lui-même pour entraîner ses coéquipiers dans son sillon.

Souhaitons-lui du bonheur et de la sérénité pour la suite des choses.

L'avenir de Francis Bouillon

Que réserve l'avenir à Francis Bouillon? Sa dernière performance, qui a peut-être été sa dernière dans ce chandail, a donné raison à Michel Therrien de l'avoir ramené dans la formation sur le tard. Il a exercé une forte présence à la ligne bleue. Il a donné tout ce qu'on attendait d'un joueur de 38 ans qui est encore dans une forme physique exceptionnelle. Il a été le défenseur le plus efficace et le plus fiable du Canadien dans cette prestation aux allures d'au revoir. On se souviendra de lui comme d'un athlète consciencieux et honnête. Un gars qui n'a jamais triché durant sa belle carrière.

Bouillon sera probablement poussé vers la sortie par quelques bons jeunes défenseurs. Bergevin devra trouver une façon de faire graduer Jarred Tinordi, Nathan Beaulieu et éventuellement Greg Pateryn. On le reverra sans doute ailleurs pour un dernier tour de piste si le Canadien ne retient pas ses services puisqu'il a l'intention de frapper à la porte des 29 autres organisation si cela se produit.

Il trouvera du boulot au sein d'une équipe comme Mike Weaver en a trouvé chez le Canadien. Ce type de guerrier ne s'éteint pas facilement.