« Les gens heureux n’ont pas d’histoires », dit le vieil adage. Et il s’applique de façon relativement cohérente dans le monde du sport, en général, dans le cas des équipes qui connaissent du succès. Il y avait bien les Yankees de New York qui, à la belle époque de Billy Martin, trouvaient toujours le moyen de défrayer les manchettes pour toutes sortes de raisons, même en gagnant à répétition. Mais c’était l’exception.

Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a rien à raconter sur le Canadien de Montréal, qui connaît jusqu’ici une saison remarquable. Bien au contraire. Autant sur le plan individuel que sur le plan collectif, il y a quantité de choses intéressantes à relater en marge de cette étonnante séquence victorieuse qui n’a jamais cessé depuis le début du court calendrier.

La notion « d’esprit d’équipe » est revenue souvent sur le tapis et avec raison. Mon collègue Marc Denis a d’ailleurs abordé le sujet lors de sa dernière chronique en y apportant toutes les nuances pertinentes qui viennent de ses nombreuses années en tant que gardien élite, à tous les niveaux.

Vous me permettrez cependant d’ajouter deux angles d’observation après avoir décrit les 20 premiers matchs de ce court calendrier, à commencer par le « caractère ». À de nombreuses reprises depuis le début de la saison, les hommes de Michel Therrien ont eu l’occasion de démontrer qu’ils en possédaient une bonne dose et il s’agit d’une énorme différence par rapport à l’an dernier. Et on parle ici du « vrai » caractère, pas celui qu’on impute souvent à tort, aux équipes qui brassent l’adversaire ou qui vous font embrasser les baies vitrées à outrance. Il est plutôt question de ce refus de la médiocrité, de cette faculté de se relever avec dignité après un échec, de cette application rigoureuse des concepts de jeu qui font leurs preuves, match après match.

Après une première rencontre plus que tiède, le Canadien a collé quatre victoires de suite. Après la dégelée de 5-1 à Ottawa, il a rebondi avec deux victoires. Mais plus important encore, après sa seule semaine vraiment difficile où il a laissé filé des avances contre les Bruins et les Sabres et subi une cinglante défaite de 6-0 contre les Leafs (qui s’est terminée par les folies de Colton Orr), le Tricolore n’a jamais perdu en temps réglementaire. En fait, même les deux défaites en bris d’égalité auraient pu se traduire en victoires, la première face aux Islanders après une remontée de l’adversaire et la deuxième, imputable au brio exceptionnel de Ben Bishop, lundi dernier à Ottawa.

Toutes les équipes trébuchent à un moment ou à un autre au cours d’une saison. Les équipes gagnantes et éventuellement, les équipes championnes, sont celles qui sont d’abord capables de rebondir après un mauvais passage et qui, en plus, apprennent de leurs erreurs et deviennent encore plus redoutables au fil du temps. Le match de jeudi à Toronto en fut une très belle démonstration. Le Canadien traînait en mémoire sa cuisante défaite contre les Leafs et l’humiliation provoquée par les matamores de cette équipe, le 9 février dernier. Il traînait aussi la déception du match précédent, à Ottawa. Il a concédé aux Leafs un premier but, résultat du plan de match basé sur l’intimidation. Mais en gardant sa concentration, en évitant les répliques échevelées et en appliquant patiemment sa recette à succès, il en est venu à dominer son rival. Pour moi, c’est cela avoir vraiment du caractère, en tant qu’équipe !

Le coeur

Puis, il y a le « cœur ». Cela se voit surtout sur le plan individuel mais lorsque la majorité des joueurs en démontrent à répétition, il s’agit d’un facteur qui ajoute aux chances de succès. C’est quoi, pour moi, avoir du cœur ? Comme vous, j’apprécie les joueurs qui bloquent des tirs, qui jouent malgré la douleur, qui font preuve de rigueur sur le plan défensif quitte à oublier les statistiques, qui viennent à la rescousse d’un coéquipier en difficulté.

Mais j’apprécie aussi des petits gestes qui peuvent paraître anodins mais qui en disent long sur le cœur d’un athlète, comme la réaction de Carey Price après la défaite en tirs de barrage à Ottawa. Il eut été facile de se réfugier derrière le brio de son vis-à-vis pour expliquer la défaite des siens mais Price ne se sentait pas ainsi. Il croyait sincèrement avoir laissé tomber ses coéquipiers après avoir concédé le seul but des Sénateurs au dur-à-cuire Dziurdzynski sur un tir de loin et en ayant perdu sa bataille en tirs de barrage contre Bishop. Il le croyait et il l’a dit publiquement, sans détour, après le match. Pourtant, on a bien peu à lui reprocher depuis le début de la saison. Pour moi, c’est ça aussi, avoir du cœur ! Le cœur d’admettre publiquement ses états d’âme, de s’avouer vulnérable quand cela se produit mais aussi de revenir encore plus fort lors de la rencontre suivante et contribuer à relancer aussitôt son équipe.

Le Canadien s’apprête à vivre la portion la plus ardue de son calendrier et il est difficile de prévoir quelle sera la fiche de l’équipe après la rencontre de dimanche prochain, à Sunrise, en Floride. Chose certaine, Michel Therrien peut s’enorgueillir d’avoir favorisé l’éclosion de ces deux facettes essentielles aux succès du Canadien et à ce revirement spectaculaire, qui survient quelques mois à peine après l’horreur de l’an dernier.