BROSSARD – Eric Tangradi n’était pas destiné à devenir, à 25 ans, un joueur de quatrième trio confronté à l’incertitude quotidienne qui vient avec un statut aussi précaire. C’est pourtant exactement le rôle qui l’attend chez le Canadien.

Et pour l’instant, ça fait bien son bonheur.

« Vous pourriez mettre n’importe quel numéro sur mon chandail, ou même ne pas m’en donner du tout, je serais quand même excité au possible de le porter », a affirmé Tangradi lorsqu’on lui a fait remarquer que le numéro 17 qu’on lui avait attribué pour son premier entraînement avec l’équipe, celui qui appartenait jusqu’à tout récemment à Rene Bourque, semblait affublé d’une sorte de mauvais sort.

« Si ce numéro porte vraiment malchance, peut-être que je serai en mesure de mettre fin à cette malédiction. »

Petit congé bénéfique

L’orgueil de Tangradi, que le Canadien a rappelé de la Ligue américaine mardi, a été écorché au cours des derniers mois. Pris en grippe par l’entraîneur Paul Maurice à Winnipeg, son avenir est devenu plus incertain que jamais lorsque les Jets ont soumis son nom au ballottage à la toute fin de leur camp d’entraînement. Puis, deux jours plus tard, le Tricolore devenait déjà la quatrième équipe à prendre une chance sur son cas. 

Maintenant qu’il a su remonter la pente pour rebâtir sa confiance, il ne commencera pas à s’en faire avec de bêtes superstitions. Son spleen, tout comme le numéro qu’on lui a attitré, est derrière lui.

« Ça a vraiment été une période sombre, a-t-il admis sans gêne mercredi. Au début de ma carrière, j’étais considéré comme un espoir de premier plan. J’avais toujours eu confiance en mes moyens, j’avais la conviction d’être un joueur de la LNH. Quand je me suis retrouvé au ballottage, ça m’a énormément contrarié. Je me suis beaucoup questionné, je me suis regardé dans le miroir et je crois que cette fois, je comprends mieux ce qu’il me faudra faire pour garder ma place. On ne peut rien prendre pour acquis ici, on ne peut pas ralentir. J’ai beaucoup appris de cette expérience. »

Tangradi a accueilli la transaction qui l’a fait passer au Canadien avec exaltation. Il y a vu la chance inespérée de sortir du noir, de retrouver la confiance qu’il avait perdue. Son enthousiasme n’a pas flétri quand on lui a indiqué qu’il débuterait la saison à Hamilton. Utilisé à toutes les sauces pendant une vingtaine de minutes par partie, constamment jumelé à des compagnons de trios différents, il a obtenu six points et 18 minutes de pénalité en onze parties avec les Bulldogs.

Le robuste attaquant a l’impression de s’être monté un bon dossier au sein de sa nouvelle organisation.

« J’ai vraiment l’impression d’être en meilleure posture aujourd’hui que si j’avais commencé la saison ici avec une place incertaine dans la formation. »

À l’entraînement mercredi, le colosse de 6 pieds 4 pouces occupait la place préalablement comblée par Drayson Bowman sur le quatrième trio, en compagnie de Manny Malhotra et Dale Weise.

« Je crois que j’ajoute passablement de poids au groupe et j’ai simplement l’intention de jouer un style rapide et physique. Je suis le genre de joueur qui peut apporter de la robustesse parmi les six derniers attaquants. On verra comment la semaine se déroulera, mais je crois qu’on peut s’avérer un trio très fiable. »

Eric TangradiÉchouer avec Malkin et Crosby

Tangradi n’a pas toujours été considéré comme un joueur de soutien. Son rendement lors de ses trois saisons avec les Bulls de Belleville, où il a été le coéquipier de P.K. Subban dans la Ligue junior de l’Ontario, avait convaincu les Ducks d'Anaheim que son potentiel valait un choix de deuxième ronde.

Échangé à Pittsburgh avant de débuter sa carrière professionnelle, il a marqué 17 buts en 65 matchs à sa première saison dans la Ligue américaine et l’année suivante, lesPenguins l’ont cru prêt pour de plus grandes responsabilités.

« J’ai fait l’équipe à l’âge de 21 ans. J’avais connu un très bon camp d’entraînement et on m’avait fait commencer l’année sur le deuxième trio pivoté par Evgeni Malkin. J’ignore si c’est la pression que j’ai ressentie de devoir soudainement remplir les filets adverses, mais je me suis complètement perdu. Je n’ai jamais été capable de trouver la bonne chimie avec Crosby et lui. »

Tangradi a commencé sa saison recrue en ne récoltant que deux maigres points en neuf matchs avant d’être renvoyé à Wilkes-Barre. Il n’est revenu à Pittsburgh que pour quelques parties en février et des poussières en séries éliminatoires.

« Pendant les deux ou trois semaines que ça a duré, je sortais de l’aréna pour aller visionner des vidéos et je ne comprenais plus rien. Je ne savais jamais si j’étais au bon endroit au bon moment. Jamais le hockey ne m’avait rendu aussi confus », se souvient-il de ses premiers pas dans la LNH.

Ça ne l’a frappé que plus tard, mais l’expérience qu’il a vécue à Pittsburgh lui a offert une nouvelle perspective.

« On ne donne pas assez de crédit à des gars comme Pascal Dupuis et Chris Kunitz. L’amateur moyen va regarder les matchs et penser qu’il pourrait lui-même marquer 30 buts par année en jouant avec des gars comme Crosby, mais c’est loin d’être une tâche si facile. Ceux qui sont parvenus à le faire n’ont jamais été reconnus à leur juste valeur. »

Au cours des deux saisons suivantes, Tangradi a récolté deux passes en 29 matchs avant que les Penguins n’abandonnent et ne l’envoient à Winnipeg, où son instinct offensif n’est jamais revenu. En 91 matchs avec la formation manitobaine, il n’a trouvé le fond du filet qu’à quatre reprises.

« On m’utilisait énormément à mon arrivée à Winnipeg et je jouais du très bon hockey. Seulement, je demeurais incapable de marquer et progressivement, j’ai dû m’habituer à un rôle différent. Mais vous savez quoi? Après être passé par le ballottage et être retourné dans les mineures, c’est aujourd’hui un rôle sur lequel je ne suis pas près de lever le nez. »

On pourrait croire que Tangradi n’est que de passage à Montréal. Michaël Bournival semble sur la voie de la guérison et qui sait si le Canadien n’optera pas pour l’un de ses espoirs « maison » la prochaine fois qu’il sera forcé de piger dans son club-école.

Encouragé par les récentes transactions qui ont libéré de l’espace dans le groupe d’attaquants du grand club et réjoui par cette nouvelle chance qui s’offre à lui, Tangradi, lui, vit le moment présent.

« La balle est dans mon camp, dit-il. Je vais me concentrer sur la base. Ma rapidité et ma robustesse doivent être les deux premières choses qui ressortent de mon jeu. Le reste suivra éventuellement. »