Il y avait de quoi sourire quand Michel Therrien et P.K. Subban se sont comportés comme les deux meilleurs amis du monde devant les caméras de la télévision, dans le cadre du Match des étoiles, à Tampa. Comme si ces deux-là avaient totalement oublié leur relation pas toujours harmonieuse à Montréal.

Therrien ne semblait plus se souvenir à quel point Subban lui a tombé sur les nerfs à l’occasion. Le spectaculaire défenseur donnait l’impression d’avoir totalement passé l’éponge sur l’attitude intransigeante et la poigne de fer d’un entraîneur qui, disons-le, tentait surtout de lui faire comprendre que le « je » ne doit jamais avoir préséance sur le « nous » dans le vestiaire d’une équipe professionnelle.

Quand Marc Bergevin a frappé un coup de circuit en échangeant Subban en retour de Shea Weber, on s’est dit qu’on allait devoir patienter trois ou quatre ans avant de pouvoir évaluer les retombées d’une telle transaction et ce, même si on était convaincu, en vertu de la différence d’âge entre les deux athlètes, qu’on allait finir par s’ennuyer de Subban. Ce qui est déjà le cas quand on analyse les réserves anémiques du Canadien et ses perspectives d’avenir à la ligne bleue.

On était plusieurs à approuver la transaction quand Subban a été sorti de ce vestiaire dont l’ambiance n’était pas toujours propice à la victoire. Il représentait une énorme source de distraction dans un moment où l’état-major de l’équipe croyait fermement en ses chances de remporter une coupe Stanley à court ou à moyen terme. Un hyperactif et un joyeux luron, il avait certes besoin qu’on lui enseigne certaines choses. Il était un cheval fou dont les têtes dirigeantes de l’équipe ne semblaient pas toujours jouir de l’expertise psychologique requise pour analyser ce cas particulier et encore moins pour instaurer des pistes de solution visant à en faire un joueur d’équipe.

Subban faisait les choses à sa manière. Il possédait notamment sa propre image de marque qu’il mettait à l’avant-plan sans la moindre gêne. S’il était resté à Montréal, à défaut de le changer, il aurait fallu l’accepter tel qu’il était. Ce qui aurait été contraire à l’image que les plus grands joueurs de l’organisation ont véhiculée durant leur carrière.

Guy Lafleur a été la vedette numéro un de la ligue durant une décennie. Pourtant, rien ni personne n’a été plus important que l’équipe à ses yeux. Chris Chelios, un autre pur-sang, était totalement imprévisible à l’extérieur de la glace, mais avec un chandail tricolore sur le dos, on ne s’est jamais inquiété de la qualité de ses performances. Avec des patins aux pieds, il était le prototype du parfait joueur d’équipe. Les plus grands Glorieux avaient l’étoffe des héros. Subban avait ce qu’il fallait pour en devenir un à son tour.

Est-ce totalement de sa faute s’il est parti? J’en doute beaucoup. Bergevin et Therrien doivent aussi faire leur mea-culpa pour la perte de ce surdoué dont on mettra des années à se remettre. On pourrait certainement leur reprocher de ne pas avoir eu suffisamment de patience à son endroit. Ces hommes de hockey, avec leurs qualités et leurs défauts, sont loin d’être des pédagogues. Ils n’ont pas toujours l’expertise souhaitable pour analyser ce qui se passe dans la tête de leurs patineurs.

La scène a été un brin loufoque quand la rencontre entre Therrien et son ancien défenseur a été d’une chaleur étonnante, à Tampa. Ils se sont donné une vigoureuse poignée de main en rigolant devant les caméras. Subban sait-il seulement le rôle majeur que l’entraîneur a joué dans son départ de Montréal? Il a été échangé parce qu’il représentait une patate chaude pour Therrien. À la longue, il aurait menacé son leadership en refusant de rentrer dans le rang. Si Therrien avait vraiment aimé Subban et s’il avait eu la conviction qu’il pouvait devenir un élément essentiel lui permettant d’accéder aux grands honneurs, il aurait sûrement insisté auprès de son patron sur la nécessité de le garder. Un directeur général qui se serait fait dire par son entraîneur: « Sois patient, laisse-le-moi, je suis convaincu de pouvoir en faire un leader », n’aurait jamais procédé à ce genre de transaction. Les DG ont tendance à tenir compte de l’opinion de leur entraîneur quand il est question de gagner à tout prix.

À Nashville, le directeur général David Poile, un homme dont les qualités humaines sont notoires, et l’entraîneur Peter Laviolette sont peut-être en voie de réussir là où le duo Bergevin-Therrien a échoué, c’est-à-dire convaincre le controversé défenseur de se mouler à un concept d’équipe. À moins que Subban lui-même soit en train d’acquérir la maturité qui lui a fait tant défaut à ses premières années dans la Ligue nationale.

Dix-neuf mois seulement après la transaction, on note un changement dans son attitude. Bien sûr, sa personnalité ne risque pas de changer, mais sur la patinoire, il fait déjà preuve d’une plus grande maturité. Profitant de l’absence de Filip Forsberg, il s’est même hissé au premier rang des marqueurs de l’équipe. Avec ses 37 points, il devance aisément Max Pacioretty, le meneur chez le Canadien avec 31 points.

Bergevin et Therrien sont sans doute convaincus d’avoir pris la bonne décision dans son cas, mais ils sont rares les athlètes destinés à devenir des superstars qu’on laisse partir à 26 ans, peu importe les raisons. Ici, on a perdu l’un des joueurs les plus en vue de la Ligue nationale parce qu’on a cru qu’il ne changerait jamais.

Moins de deux ans plus tard, on peut encore être d’accord ou désapprouver la transaction, mais durant cette saison d’une platitude consommée, certaines soirées auraient été moins plates et carrément moins endormantes si Subban, même dans des causes perdantes, avait animé l’amphithéâtre par son extraordinaire talent.

Avec lui dans le décor, la foule aurait été un peu moins arnaquée.