« Des joueurs, ça s’évalue et ça se gère » – Serge Savard
Canadiens mercredi, 7 févr. 2018. 08:56 lundi, 9 déc. 2024. 15:15La saison misérable que connaît le Canadien et les perspectives d’avenir très peu encourageantes qu’il offre à ses partisans ne laissent pas indifférents tous les grands joueurs de l’organisation qui ont sué sang et eau pour que cette organisation maintienne de hauts standards de qualité, même quand il lui était impossible d’ajouter des coupes Stanley.
On les qualifiait de Glorieux à l’époque. Avec eux, l’esprit d’équipe est un terme qui prenait tout son sens. Dans le temps, c’était un pour tous et tous pour un. Ils ne pensaient tous qu’à une chose : gagner. S’il arrivait à des joueurs d’en oublier l’importance, ils se faisaient vite rappeler à l’ordre.
Les Anciens, comme on les appelle affectueusement aujourd’hui, sont peinés du derby de démolition dont ils sont témoins au Centre Bell cette saison. Ils sont prêts à accepter que le Canadien n’engrange plus les coupes Stanley tant que l’effort y est et que le spectacle reste intéressant. Bien sûr, le hockey a beaucoup changé, mais qu’est-ce qui empêche les joueurs actuels, superbement traités, de se serrer les coudes pour gagner? Qu’est-ce qui les empêche de faire passer leur métier avant toute chose, comme c’était le cas chez ceux qui leur ont pavé la voie? Qu’est-ce qui les empêche de former une véritable équipe en allant à la guerre ensemble?
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Quand je pense au tourment que ressentent ces Glorieux qui ont écrit plusieurs chapitres de la brillante histoire de cette organisation, le premier nom qui me vient à l’esprit est celui de Serge Savard parce qu’il a appartenu au Canadien durant 33 ans, qu’il a porté fièrement cet uniforme, qu’il en a été le capitaine et le directeur général et dont le c.v. comprend 10 coupes Stanley, dont huit sur la glace. Comme la majorité des joueurs qu’il a côtoyés dans toutes ces équipes championnes, Savard est déçu de ce qu’il voit. Le terme est faible.
« Comme nous avons gagné plus souvent qu’à notre tour, nous n’aimons pas ce que nous voyons, admet-il en se faisant indirectement le porte-parole des athlètes de sa génération. En vieillissant, nous ne suivons plus ce qui se passe avec la même intensité. Cependant, parce que j’ai été joueur et directeur général, cela m’affecte davantage quand je constate tous les changements qui sont survenus au sein du personnel de direction après mon départ. Je suis obligé de prendre mon mal en patience. Avec les années, je décroche un peu. Il faut passer à autre chose. »
Savard, qui a l’habitude de dire les choses comme il les voit, a répondu à nos questions sans chercher à se défiler.
Est-ce que tu décroches encore davantage à la lumière de tout ce que tu vois cette saison?
« J’ai trouvé dommage d’entendre dire que le Canadien était déjà exclu des séries quand il restait encore 35 parties à disputer. C’était un peu tôt pour faire ce genre d’avancé. Une chose comme celle-là cause des dommages. On remarque des bancs vides ; on a publié les cotes d’écoute à la baisse à la télévision. On constate un désintéressement dans la population. Tout ça est dangereux. Je rencontre de vieux amateurs de hockey qui s’ennuient de nos périodes de gloire et qui me demandent quand je vais reprendre ma place chez le Canadien. Je leur explique que je suis passé à autre chose. Malheureusement, je vois beaucoup d’amateurs qui décrochent. Ceux qui détiennent des abonnements de saison ont beaucoup de misère à écouler leurs billets, et ce, même quand ils cherchent à les donner. »
Quand tu regardes jouer le Canadien cette saison, quelles conclusions tires-tu de la situation? Est-ce que tant d’insuccès est attribuable à un manque de caractère ou de talent?
« Je ne suis pas assez près de l’équipe pour très bien connaître les individus. Toutefois, quand je vois le coach affirmer après une défaite que son équipe n’était pas prête, ça veut tout dire pour moi. Pourquoi ne sont-ils pas prêts? À mon avis, quand une équipe est bien préparée et que les joueurs sont unis, elle peut être de 20 % à 30 % meilleure. On peut bien parler d’un manque de talent, mais quand rien d’autre ne fonctionne, personne n’est efficace. Quand nous avons gagné la coupe en 1986 et en 1993, on a dit que nous avions été chanceux. La vraie raison de ces succès, c’est que nous avions une équipe unie. Quand tout le monde tire du même côté, c’est ce que ça donne. »
Quand tu as pris la direction de l’équipe en 1983, le Canadien avait atteint le fond du baril (saison de 75 points). Selon toi, l’équipe actuelle est-elle aussi désorganisée que celle qui t’a valu cette promotion?
« Difficile à dire. Je ne suis pas présent à l’interne. Je ne sais pas ce qui se passe. Par contre, j’affirme souvent que des joueurs, ça s’évalue et ça se gère. Prenons le cas de P.K. Subban. On n’a pas semblé l’aimer. Pourquoi? À un certain moment, l’entraîneur l’a critiqué publiquement devant les médias. C’est dur, ça. Quand une situation semble difficile, tu dois l’évaluer et trouver la solution. Ton joueur sera meilleur si tu gères bien la situation avec lui. Un jour, j’ai demandé à mon entraîneur, Jacques Lemaire, ce qu’on allait faire de Stéphane Richer qui ne s’était pas présenté durant quatre ou cinq parties de suite. Il m’a répondu : "Serge, laisse-le moi. Je le connais ; je sais ce qu’il peut nous apporter. Stéphane n’a rien fait ce soir, mais demain, il va en scorer trois". Cette année-là, il en a marqué 50. Jacques avait fait une bonne lecture de la situation. Il n’avait pas exigé de Richer ce qu’il n’était pas en mesure de lui donner. »
Le Canadien paie cher en ce moment pour des gestes erronés posés par la direction. Selon toi, est-ce que deux ou trois mauvaises décisions peuvent suffire à couler une équipe?
« C’est difficile pour moi de répondre à cela. Moi aussi j’ai pris des mauvaises décisions. La direction a la responsabilité d’instaurer un entourage positif dans le vestiaire. Si un joueur n’est plus content d’être là ou si un autre a la tête ailleurs, ça ne peut pas marcher. Je lis dans les journaux que tel ou tel gars ne désire plus jouer ici. Si c’est vrai, ça ne peut pas fonctionner. »
Quand tu as rencontré Marc Bergevin, qu’est-ce qui t’a permis de croire qu’il deviendrait un directeur général efficace?
« On a étudié quelques candidatures. Dans son cas, on l’a rencontré en deux occasions. On a analysé sa feuille de route. Il avait franchi presque toutes les étapes au sein de l’organisation des Blackhawks. Il s’est bien vendu en mentionnant son intention de construire par la base. Faut que les fondements d’une équipe soient solides grâce à l’addition constante de deux ou trois jeunes qui annoncent de bonnes choses pour l’avenir. En 1986, nous avions huit ou neuf joueurs qui provenaient des repêchages de 1983 et 1984 et du marché des joueurs autonomes. Nos jeunes étaient appuyés par des vétérans solidement établis. »
Bergevin a la réputation de bien se vendre. Geoff Molson croit encore qu’il est l’un des meilleurs directeurs généraux de la ligue. Il est convaincu qu’il a un plan. Vous a-t-il un brin endormis durant ces deux entrevues?
« J’ai déclaré des choses récemment que le Canadien n’a pas aimé, mais il ne faut pas nous prendre pour des fous. Quand tu perds trois défenseurs sur le flanc gauche et que tu affirmes que ta défense est supérieure à celle de l’an dernier, je ne peux pas lui donner raison juste parce que j’aime le Canadien. Je ne pense pas qu’il nous ait endormis en entrevue. Je lui ai fait confiance. Qu’on soit dans le hockey ou dans toutes autres entreprises, c’est le patron qui est responsable des résultats. Quand j’ai commis des erreurs, on a déjà essayé de me faire dire que Ronald Corey m’avait forcé à prendre certaines décisions. Il était au courant de tout ce que je faisais, mais j’ai assumé toutes mes décisions en ne blâmant personne d’autre que moi. À un certain moment, que ce soit avec le Canadien ou avec une autre organisation, tu dois rendre des comptes. »
Bergevin était-il vraiment le meilleur candidat disponible?
« Nous avons rencontré quatre candidats, mais à la suite de notre deuxième entretien avec lui, nous avons mis fin à nos recherches. On était pas mal d’accord qu’il rencontrait tous les critères. C’était un francophone de Montréal avec un bon bagage d’expériences. Personnellement, je ne recherchais pas obligatoirement un francophone, mais c’était nécessaire que la personne choisie soit capable de se débrouiller en français. Un directeur général du Canadien qui n’aurait pas parlé français, ç’aurait été impensable. À l’époque, Vincent Damphousse, qui était sur les rangs, s’est désisté parce qu’il était impliqué dans une bataille juridique avec sa femme. Nous avons ainsi été privés d’un bon candidat. C’est sûr qu’on aurait étudié sérieusement sa candidature. »
Que s’est-il passé dans le cas de Julien BriseBois?
« Nous lui avons parlé. Je ne peux pas révéler tout ce qui s’est dit durant ces rencontres, mais au bout du compte, il n’apparaissait pas au premier rang sur notre liste. Pas de doute qu’il était un bon candidat, cependant. »
En définitive, selon ton expérience, crois-tu qu’il faudra attendre des années avant de voir le Canadien remonter la pente?
« En novembre il y a plus d’un an, l’équipe était en tête. Depuis, le gardien est devenu moins efficace. Avant la série contre les Rangers, on a déclaré que l’équipe avait une chance de gagner si Carey Price parvenait à voler une partie ou deux. Je bouillais quand j’entendais cela. On connaît ma théorie sur les gardiens de but. Je les aimais, mais je ne les plaçais jamais au-dessus de tout le monde. Pour répondre à ta question, les choses peuvent parfois changer assez rapidement. À un certain moment, je croyais la situation du Canadien très encourageante. Le noyau de la formation était jeune avec Price, Subban, Pacioretty, Galchenyuk et Gallagher. Quand on bâtit autour d’un groupe jeune et talentueux, on peut aller loin. En jouant dans une ambiance positive et en considérant que tout le monde pousse du même bord, l’équipe serait certainement meilleure qu’elle ne l’est en ce moment. »
Tu as souvent affiché des réserves sur l’importance du gardien de but dans tes équipes.
« Le gardien est un joueur comme les autres. On ne devrait pas lui accorder une étoile parce qu’il effectue des arrêts car il est payé pour repousser des rondelles. Un jour, quelqu’un m’a dit que nous avions été chanceux de compter sur Ken Dryden quand nous avons éliminé les Bruins de Boston en 1971. Oui, c’est clair, Ken a très bien joué. Toutefois, quand nous perdions 5-1 à Boston et que nous avons gagné 7-5, Dryden a-t-il marqué un seul but ce soir-là? Je ne veux pas retirer une once de crédit à Ken, mais nous formions une équipe à ce moment-là. J’ai toujours préconisé un concept d’équipe. C’est pour cette raison que pas un seul de mes joueurs ne possédait des bonis personnels dans son contrat quand j’étais le directeur général. »
Quels étaient tes meilleurs atouts dans ton rôle de directeur général?
« Ce qui m’a vraiment le plus aidé, c’est le fait que j’étais resté un joueur dans ma tête. Je pensais comme un joueur. Ça me donnait un meilleur portrait de la situation générale de l’équipe. »
Finalement, que faut-il penser d’une équipe qui sort fort en première période et qui s’écroule lamentablement durant l’engagement suivant? Est-ce qu’il faut se questionner sur son caractère?
« Quand une équipe ne se présente pas, c’est impardonnable. Je reviens à ce que j’ai dit au début de l’entrevue. Je l’aime beaucoup Claude Julien. C’est un bon gars. Toutefois, quand ça fait sept ou huit fois qu’il affirme que son équipe n’est pas prête, on vient fatigué d’entendre ça. C’est à l’entraîneur de voir à ce qu’elle soit bien préparée. Les gens, qui paient cher pour leurs billets, se font dire que l’équipe n’était pas prête pour le match. C’est insensé. Un jour quelqu’un est allé dire à Sam Pollock qu’il se sentait incapable de faire produire l’un de ses joueurs. Pollock lui a répondu sèchement : "T’es mieux de le faire produire parce que je vais trouver quelqu’un capable le faire". C’était une très bonne réponse, selon moi. »
Sauf qu’à Montréal, l’équipe a un entraîneur qui touche 5 millions $ par année et un directeur général dont le salaire est estimé 4 millions $. Ça coûterait très cher de procéder à un grand ménage.
« Quand ça ne marche pas, ça ne marche pas. Je ne dis pas que ça ne fonctionne pas avec le Canadien, mais je ne pense pas que le contrat doit devenir un critère quand c’est le temps d’apporter des changements. »
Serge Savard se permet lui-même une réflexion avant de terminer l’entrevue :
« Est-ce qu’il reste encore des parties à disputer en après-midi? On est bons en après-midi », dit-il, pince-sans-rire.