Ils sont plutôt rares les joueurs qui sont intronisés au Panthéon de la renommée du hockey et qui voient leur chandail retiré après avoir joué dans la Ligue nationale durant huit saisons seulement. Ken Dryden appartient à ce club très sélect.

Il fallait être tiré d'un moule spécial pour se voir octroyer les deux honneurs les plus convoités de ce sport. Il fallait posséder des aptitudes exceptionnelles pour accumuler les championnats et les trophées individuels comme Dryden, un gagnant-né, l'a fait durant son stage avec le Canadien.

Il fallait avoir la capacité de se lever dans les moments importants pour faire gagner ses équipes et rendre ses coéquipiers glorieux. Dryden, qui entrera ce soir au Panthéon des sports du Québec, a gagné pas moins de six fois la coupe Stanley en huit ans. Il en aurait peut-être mérité une septième s'il ne s'était pas absenté durant une saison complète à la suite d'une mésentente contractuelle, ce qui aurait pu empêcher, par la même occasion, les Flyers de Philadelphie de remporter le premier de leurs deux gros trophées consécutifs. J'y reviens dans un instant.

Ken DrydenJ'ai eu le privilège de couvrir les 397 parties régulières et les 112 matchs des séries éliminatoires de Dryden. Comme tout le monde, je ne connaissais pas ce grand gaillard aux allures d'étudiant, avec ses lunettes et ses livres sous le bras, à ses débuts avec le Canadien. Issu de l'Université Cornell, il a eu suffisamment de force de caractère pour terminer ses études en droit à McGill tout en repoussant des rondelles au Forum.

Rappelé des Voyageurs au printemps de 1971, il a participé aux six dernières parties du calendrier régulier et les a toutes gagnées en conservant une moyenne de 1.65. Il a si bien fait qu'on lui a confié le filet pour les séries, ce qui était l'équivalent d'envoyer une recrue à l'abattoir contre l'équipe la plus puissante de la saison régulière, les Bruins de Boston, qui avaient réussi un record de 399 buts.

Tous les observateurs, tant à Montréal qu'ailleurs, avaient prédit une élimination rapide du Canadien. On connaît la suite. Dryden a été miraculeux et le Canadien a mérité la coupe Stanley dans un septième match à Chicago. Après avoir tiré de l'arrière 2-0 dans ce match décisif, le Canadien a remonté la pente 3-2, notamment grâce aux deux derniers buts marqués par Henri Richard.

Et comme si Dryden n'en avait pas déjà suffisamment fait jusque-là, on peut dire qu'il a assuré la coupe à son équipe grâce à un arrêt quasi impossible réussi tard dans le match. Il a étiré sa jambière droite pour empêcher Jim Pappin de marquer dans une cage déserte. Peut-être l'arrêt le plus significatif de sa carrière en raison des circonstances, même s'il a réussi des centaines de petits chefs-d'oeuvre durant sa trop brève mais glorieuse carrière.

En vertu de sa tenue durant les séries de 1971, Dryden a mérité le trophée Conn-Smythe avant de gagner le trophée Calder à titre de recrue de l'année, la saison suivante. Ça aussi, c'était un rare exploit.

Après sa deuxième saison au cours de laquelle il a mérité une seconde coupe Stanley et le premier de ses cinq trophées Vézina, Dryden a tenté de renégocier son contrat. Il était sans doute un bon avocat, mais il a frappé en Sam Pollock un directeur général intraitable quand il était question de respecter la structure salariale de l'équipe. Pollock était déterminé à ne jamais accorder d'ententes salariales pouvant permettre à de jeunes joueurs de recevoir un salaire plus élevé que des coéquipiers comptant plusieurs années de service.

Malgré deux coupes Stanley, un trophée Conn-Smythe, un trophée Calder et un trophée Vézina, tout cela en l'espace de deux ans, Pollock est resté de glace quand Dryden, campé lui aussi solidement sur ses positions, lui a annoncé qu'il préférait prendre une année sabbatique pour aller se faire la main dans un bureau d'avocats de Toronto à un salaire hebdomadaire de 135 $.

Les deux camps ont beaucoup souffert de cette séparation temporaire. Dryden y a perdu plusieurs milliers de dollars et le Canadien, appuyé par un trio de gardiens formé de Wayne Thomas, Michel Larocque et Michel Plasse, a été éliminé dès la première ronde par les Rangers. L'utilisation de trois gardiens n'a jamais eu l'impact que Dryden exerçait à lui seul sur l'équipe.

Dryden a repris sa place la saison suivante et l'équipe a remporté quatre coupes consécutives sur une période de cinq ans. Dans sa séquence de six coupes en huit ans, le grand gardien reconnu pour son calme dans la tempête a côtoyé 45 coéquipiers différents. Seulement quatre joueurs, Yvan Cournoyer, Guy Lapointe, Jacques Lemaire et Serge Savard, ont participé à ces six championnats à ses côtés. Quatre autres, Pierre Bouchard, Guy Lafleur, Larry Robinson et Steve Shutt, ont gagné cinq de ces six coupes. Ce qui est remarquable, c'est que Dryden a joué toutes les minutes de tous les matchs des séries durant ces six conquêtes.

Âgé de 31 ans seulement, Dryden a quitté le Canadien en même temps que deux autres grands gagnants, Cournoyer et Lemaire, à la suite de la quatrième coupe consécutive, en 1979. C'était inévitable que le départ de ces trois joueurs étoiles, ajouté à celui de Scotty Bowman, provoque la chute de l'équipe qui ne s'est pas replacée avant qu'un autre grand gardien fasse son apparition : Patrick Roy.

Si le Canadien est l'organisation la plus titrée dans l'histoire du hockey, elle le doit beaucoup à la qualité de ses gardiens de but. Dryden ira rejoindre ce soir Georges Vézina, Jacques Plante, Bill Durham et Patrick Roy au Panthéon des sports du Québec. Ces cinq grands ont remporté 17 des 24 coupes Stanley du Canadien.

Dryden, lui, mérite d'y entrer par la grande porte. Ce n'est pas une coïncidence s'il a été en bonne partie responsable de la dernière dynastie du Canadien qui pourrait fort bien être la dernière de sa riche histoire.

L'arrivée de Gonchar

Je respecte beaucoup le plan de Marc Bergevin qui semble parfaitement savoir où il s'en va et qui gère habilement sa masse salariale. Mais strictement sur le plan hockey, j'ai de petits doutes quand il affirme que la contribution de Francis Bouillon n'aurait pu être comparée à celle du nouveau venu, Sergei Gonchar, « parce qu'on ne parle pas du même type de joueur ».

Bien sûr, on ne pouvait pas savoir que Jarred Tinordi et Nathan Beaulieu mettraient plus de temps que prévu à faire leur niche dans la Ligue nationale. Si Bergevin l'avait vu dans une boule de cristal, il aurait certainement gardé Bouillon, un peu plus jeune, dans une meilleure forme physique et surtout beaucoup moins dispendieux que Gonchar. Bouillon aurait eu l'avantage de connaître parfaitement le style de Michel Therrien. On n'aurait pas eu à lui enseigner quoi que ce soit. Il n'aurait peut-être pas eu l'impact de Gonchar en supériorité numérique, mais sur le plan de la robustesse, il aurait eu son utilité.

Par ailleurs, on ne peut pas dire que Bergevin y va timidement dans son projet jeunesse. Durant la seconde demie de la saison, quand les formations les plus aguerries sortent habituellement du lot, on saura vraiment si la perte de nombreux vétérans - Gionta, Gorges, Moen, Bourque et Budaj - aura un impact négatif sur la fin de calendrier de l'équipe.

Par contre, personne ne lui reprochera les départs de Bourque et de Moen qui tournaient en rond sans apporter quoi que ce soit à l'équipe. Du bois mort qui empêchait Therrien d'utiliser de jeunes jambes qui, sans jouir de l'expérience des deux autres, ont le coeur à l'ouvrage et des ambitions propres à leur âge.

Michaël Bournival et Jiri Sekac n'ont sûrement rien appris en regardant jouer Moen et Bourque du haut de la passerelle.