Journée morose, un tantinet grisâtre, aujourd’hui. Pour moi, pas pour lui. En fait, je ne saurais trouver les mots pour exprimer ce que je ressens. Ce n’est pas tous les jours qu’un vieux chum décide en toute lucidité de la date de sa mort. C’est rare qu’on doive se faire à l’idée que dans quelques heures, il ne sera plus là parce qu’il en a décidé ainsi.

Guy Roy a été un collègue respecté et estimé au Journal de Montréal. Un travailleur inépuisable doté d’un sens du devoir et de la nouvelle comme il s’en faisait peu. Pendant près d’un quart de siècle, nous avons travaillé côte à côte, moi aux sports, lui aux faits divers dont il était le spécialiste de l’époque. Un gars toujours souriant, d’une belle naïveté, avec une attitude bon enfant qui contribuait à le rendre particulièrement attachant. Il affichait toujours le franc sourire d’un homme occupé à gagner sa vie dans le plus agréable des terrains de jeux, le journalisme écrit. Il adorait son métier. Il souriait toujours parce que la salle de rédaction était un endroit qui le rendait heureux. Il parlait fort et du fond de la salle, on entendait son rire sonore. Quand la nouvelle frappait, il n’aurait jamais souhaité être ailleurs.

Guy RoyÊtre affecté aux faits divers est un boulot qui nécessite de la compréhension, de la patience et de l’empathie. Chaque jour qui passe est rarement une partie de plaisir parce qu’il apporte son lot d’accidents, de tragédies et de drames humains à couvrir. Guy posait des questions avec une rare habileté. Son approche délicate et polie lui valait de recevoir de précieuses confidences. Dans ce genre de boulot, il a été le meilleur de son temps. Dans quelques heures, il pourra partir en se disant bien humblement qu’il a été quelqu’un dans le milieu des médias.

Quand j’entrais dans la salle de rédaction et que j’avais à passer près de son cubicule, j’étais sûr d’être intercepté par ce maniaque de hockey et du Canadien qui ne se faisait pas prier pour m’offrir ses commentaires sur le match de la veille. Le même genre d’opinions qu’il m’a offertes ces derniers jours et sur lesquelles je reviendrai un peu plus tard.

Guy souffre de fibrose pulmonaire idiopathique depuis deux ans, une maladie traître et sans appel qui l’aurait contraint à une mort atroce, avec l’effroyable sensation de mourir étouffé, s’il n’avait pas pris la courageuse décision de partir avant que cela se produise. Il y a trois mois, il avait demandé l’aide à mourir et choisi la date du 8 janvier pour faire ses adieux à ses proches. Son médecin, pour qui l’expérience d’aujourd’hui ne sera pas une partie de plaisir, a accédé à cette demande légitime pour lui épargner une fin de vie injustement cruelle.

« Ce type de fibrose est la pire maladie pulmonaire qui existe, me précise-t-il. Elle m’aurait forcé à une mort lente par détresse pulmonaire. J’aurais pu vivre pendant six à huit mois encore, mais dans quelles conditions? Ça ne valait pas la peine d’étirer cela inutilement. »

Ce matin, il écoule sereinement les dernières heures de son existence. Vers midi, il a prévu une réunion de parents et amis dans une salle communautaire que l’hôpital d’Asbestos a mis gracieusement à sa disposition. Ils seront près de 25 personnes autour de lui. Il y aura un lunch. On prendra un verre de vin pour tenter de dédramatiser un évènement qui serre le coeur. Puis, vers 13 heures, il prendra la direction de la chambre où se déroulera l’intervention. Ils seront six autour de son lit, dont son épouse des 37 dernières années, Claudette, qu’il qualifie de merveilleuse aidante naturelle, et ses filles Nathalie et Lucie. Il partira dans un état de béatitude grâce aux cinq injections qui lui seront administrées. Une affaire de 15 minutes qu’il espère depuis longtemps et qui le libérera enfin de ses souffrances.

Bien sûr, il aurait aimé ne jamais avoir à subir tout cela. L’été dernier, il a demandé et souhaité recevoir une greffe des poumons. Il s’est rendu à Montréal où il a obtenu une entrevue pour finalement se faire dire qu’à 75 ans, il y avait une part de risque que l’intervention chirurgicale tourne mal. Il a aussi compris qu’on ne voulait pas risquer de perdre dans une cause perdante les précieux poumons qu’on lui aurait miraculeusement dénichés. Son dossier s’est même rendu à Toronto, une ville où il y a plus de donneurs, mais aussi plus de demandeurs. Il a attendu une bonne nouvelle. Le téléphone n’a jamais sonné.

C’est à partir de ce moment qu’il a choisi de demander l’aide à mourir. Il n’a jamais regretté cette décision. Il est resté serein, même s’il est conscient que son désir de partir a sérieusement peiné ses proches.

« C’est un privilège de savoir quand et comment on va mourir, dit-il. Je sais que je n’aurai jamais l’alzheimer et que je ne vivrai jamais dans un CHSLD. »

À mesure que la date de son départ approchait, il n’a jamais pensé que le temps filait trop vite. Au contraire, incapable de sortir de la maison, l’attente lui a paru bien longue. Lié en permanence à un concentrateur d’oxygène et confiné à un fauteuil roulant, cet homme dynamique et super actif avant d’être frappé par la maladie, n’avait plus de qualité de vie.

Il a reçu énormément d’amour ces derniers jours. Quelqu’un l’a beaucoup touché en lui souhaitant une excellente éternité. Depuis que son ancien journal lui a consacré un long reportage révélant sa fin de vie prématurée, les témoignages d’amis et d’anciens collègues ont plu sur Internet et au téléphone. Il a apprécié qu’on se souvienne de lui. Tout cela l’a rendu profondément heureux.

Normalement, il s’écoule six jours entre l’acceptation de l’aide à mourir et le moment du départ. Exceptionnellement, son attente a duré trois mois et demi parce que tout le monde trouvait important qu’il passe la dernière période des Fêtes en famille. Ce fut parfois très difficile à vivre parce qu’il a souvent été question de la mort dans la maison. D’autres, par contre, ont apprécié profiter d’un temps précieux pour s’acclimater au deuil à venir.

Le Canadien jusqu'à la fin

L’homme n’a pas changé. Au fil d’une conversation, il m’a jasé du Canadien comme dans le temps, avec la même verve et le même enthousiasme.

« Cette saison, le Canadien m’emballe, m’a-t-il lancé sans même que je lui demande son avis. Depuis deux ou trois ans, je souhaitais le congédiement de Marc Bergevin. Je trouvais que tout ce qu’il faisait était mauvais et je n’aimais pas son homme de confiance Trevor Timmins. Celui-là, il m’écoeurait à mort et je n’ai pas changé d’opinion à son sujet. Par contre, je dois reconnaître que Bergevin effectue actuellement du très bon boulot. Ses transactions impliquant Max Pacioretty et Alex Galchenyuk ont été excellentes. Par ailleurs, je trouve dommage que notre deuxième gardien de but soit rendu au bout du rouleau. »

Mais comme il y a une vie après le hockey, il s’est offert un repas à son goût, hier soir. Au menu : huîtres, filet mignon et vin rouge. Ils étaient seuls, Claudette et lui, avec tout ce que cela peut comporter d’émotion quand il s’agit d’un dernier tête-à-tête amoureux. Puis, comme s’il avait voulu s’offrir un dernier plaisir, il a jeté un petit coup d’oeil sur le match entre le Canadien et le Wild du Minnesota.

« Mais je ne me coucherai pas tard, car une grosse journée m’attend demain », a-t-il dit le plus naturellement du monde.

Il a lui-même orchestré ses funérailles qui seront célébrées le 19 janvier : la cérémonie, les chants, les gens qui vont prendre la parole, etc. Il a même suggéré à quelques-uns de ses chums de s’y présenter avec un chandail tricolore sur le dos avant de se raviser et de leur dire d’oublier cela. Pour lui faire une dernière fleur, il y a des chances qu’ils lui désobéissent.

Guy Roy aura été un fan du CH jusqu’à son dernier souffle. Un fan pour l’éternité.