J’ai toujours aimé Saku Koivu. Saku, le joueur qui se défonçait à chaque présence. Saku, le capitaine qui affichait toujours du caractère et parfois même un brin ou deux de son sale caractère propre aux meilleurs joueurs de leur équipe, au leader, aux vrais.

Car oui, il ne fait aucun doute à mes yeux que Saku Koivu ait toujours été un vrai. Un vrai de vrai. Et un vrai Canadien en dépit de son exil vers la Californie. Un exil qui faisait autant l’affaire de la direction du Canadien qui voulait tourner la page sur l’ère Koivu que du principal intéressé qui tenait à s’offrir la chance de soulever la coupe Stanley.

Quand Saku est revenu au jeu après sa victoire contre le cancer qui minait sa carrière et sa vie, j’ai transgressé la règle non écrite qui interdit aux journalistes de célébrer sur la galerie de presse.

Ce soir-là, le 9 avril 2002, avant le match opposant le Canadien aux Sénateurs d’Ottawa, j’ai salué, comme tout le monde, le retour de ce diable de petit capitaine. J’ai applaudi sa présence sur la glace. Sa plus belle et plus grande victoire en carrière.

Ce soir, lorsque Saku profitera de la visite des Ducks au Centre Bell pour « célébrer » sa retraite il est possible que je transgresse à nouveau la règle et que mes applaudissements s’ajoutent à ceux des quelque 22 000 partisans du Canadien et de Koivu qui seront présents et des centaines de milliers d’autres qui seront à la maison.

Et vous savez quoi? J’applaudirai encore lorsque Koivu reviendra au Centre Bell dans quelques années pour recevoir un dernier hommage du Canadien.

Quel hommage?

Non! Pas un retrait de chandail.

Malgré mon affection profonde pour le joueur et le capitaine qu’a été Saku Koivu avec le Canadien, malgré le fait que ce petit Finlandais à porter à bout de bras, et presque à lui seul, certaines des pires équipes de l’histoire du Canadien au cours d’une des périodes les plus noires de cette organisation, il m’est impossible de croire que le chandail numéro 11 de Saku flottera un jour entre les chandails numéro 10 et 12 de Guy Lafleur et d’Yvan Cournoyer et Dickie Moore.

Surtout que le critère numéro un pour qu’un ancien du Canadien obtienne l’honneur suprême de voir son chandail être retiré, il doit d’abord avoir été accueilli au Temple de la renommée du Hockey. Ce qui n’est pas le cas pour Saku. Ce qui pourrait bien ne jamais être le cas puisque sa candidature, bien que fort intéressante, est loin d’être assez forte pour obtenir une approbation rapide ou unanime.

Après la cérémonie orchestrée ce soir pour rendre un hommage pleinement mérité à Saku Koivu, je crois que le seul autre honneur que le Canadien pourra rendre à Saku sera de lui offrir une place de choix sur l’anneau d’honneur qui ceinture le Centre Bell tout en haut des balcons.

Avec ses 792 parties disputées avec le Canadien (19e rang dans l’histoire), ses 191 buts (25e place), 450 passes (6e place) et 641 points (10e place) Saku n’affiche pas des statistiques suffisantes pour occuper la place réservée aux immortels du Canadien.

C’est du moins mon avis.

Vrai que Koivu aurait amélioré grandement ces statistiques n’eut été des blessures aussi graves que nombreuses qui l’ont happé en cours de carrière et du cancer qui a miné sa vie.

Vrai que cette victoire aux dépens de l’ennemi juré qu’est le cancer vaut certainement bien plus que quelques buts, quelques passes, quelques points.

Mais le manque à gagner en fait de statistiques personnelles pèse plus lourd dans l’équation que toute l’admiration que l’on peut porter à Koivu pour ce qu’il a accompli lors de sa guerre contre le cancer. Une guerre et une victoire qui lui permette depuis et qui lui permettront pour toujours d’être une source de motivation sensationnelle pour ceux qui, comme lui, livrent et livreront un duel sans merci contre cet ennemi redoutable.

Et il y a la coupe Stanley.

Les 18 immortels dont les noms et numéros flottent au-dessus de la patinoire du Centre Bell revendiquent un total de 111 coupes Stanley.

Koivu n’a pas eu l’occasion de soulever le précieux trophée. Ce n’est certainement pas sa faute. Dans la très courte liste des regrets qu’il a partagés avec les journalistes lors de son point de presse de jeudi après-midi, Saku a justement indiqué que le fait de n’avoir jamais pu rivaliser pour le précieux trophée occupait la toute première place.

« Il n’y a pas meilleur endroit au monde pour jouer au hockey qu’à Montréal en séries éliminatoires. J’ai eu la chance d’y goûter à quelques reprises dont l’année de mon retour au jeu après la bataille contre le cancer alors que nous avions éliminé les Bruins de Boston qui étaient premiers et nous huitièmes. J’arrive à peine à m’imaginer ce que ce serait de se rendre en grande finale et de sa battre pour la coupe. Je n’ai jamais eu cette chance, mais l’équipe actuelle, avec Carey devant le filet, avec l’équilibre qu’elle présente, a ce qu’il faut pour se rendre en séries. Et une fois en séries, tout est possible pour une équipe qui est en mesure d’atteindre son apogée au bon moment et de profiter de l’appui des fans et de l’effervescence des séries », a indiqué Koivu.

Dans le salon des anciens où Saku a réalisé une entrevue avec mon collègue et ami Pierre Houde en après-midi jeudi, j’ai candidement demandé à Saku s’il rêvait de voir son chandail flotter en compagnie de ceux des Béliveau, Richard, Lafleur et compagnie.

« Y rêver? Certainement. Mais une fois le rêve passé, il est plus réaliste de reconnaître qu’il me manque des chiffres et des exploits pour y arriver. Quand tu regardes au plafond du Centre Bell, qu’est-ce qui te vient en tête lorsque tu passes de Jacques Plante à Patrick Roy et que tu suis la progression de numéros de 1 à 33? Le fait que tous ces joueurs méritent pleinement leur place au plafond. Il n’y a pas le moindre doute dans l’esprit des fans. Quelques critères militent sans doute en ma faveur. Mais tu sais quoi? Je ne voudrais pas être le premier à me retrouver au plafond du Centre Bell et à voir cette place remise continuellement en question », a convenu Koivu.

« Ce soir, lorsque je saluerai les fans, lorsque je les remercierai pour tout l’appui qu’ils m’ont démontré au fil de ma carrière avec le Canadien d’abord, mais lors de mes visites avec les Ducks ensuite, ce sera pour moi aussi important que si mon chandail était retiré », a ajouté l’ancien capitaine.

Un peu plus tôt, lorsque j’ai demandé à Koivu quels souvenirs il entendait laisser derrière lui et de quelle façon il aimerait qu’on immortalise son règne avec le Canadien, Saku s’est offert une période de réflexion.

« J’aimerais qu’on se souvienne de moi comme d’une bonne personne, comme un joueur qui a toujours tout donné sur la patinoire, qui a été un bon capitaine. Comme un gars qui a aimé Montréal, le Canadien et ses partisans. Comme un joueur qui a toujours eu à cœur les succès de l’équipe et de la ville. Le fait d’avoir vaincu le cancer représente bien sûr un moment dont je suis le plus fier de ma carrière. Le fait d’avoir permis de doter Montréal (à l’hôpital Général) d’un PET Scan – appareil d’imagerie qui permet de mieux diagnostiquer et de combattre le cancer qu’aucun des hôpitaux de la grande région de Montréal n’avait lorsque Saku a été foudroyé par le cancer – me rend aussi très fier », a défilé Koivu.

À défaut d’un retrait de chandail, Koivu pourra toujours dire qu’il contribue quotidiennement au mieux-être des patients victimes de cancer. Un honneur qui perpétuera sa mémoire bien plus qu’un chandail flottant sous le toit du Centre Bell.

Sans oublier que l’anneau d’honneur, où sa place est réservée depuis longtemps, est occupé par d’autres très grands noms de l’histoire du Canadien.

De grands noms auxquels on ajoutera avant longtemps et avec raison et fierté celui de Saku Koivu.