J’ai vu une photo de Marc Bergevin prise dans le cadre d’une activité du Grand Prix du Canada, le week-end dernier, et il m’a semblé qu’il ne s’amusait pas beaucoup. Cet homme-là a été soumis à une pression constante depuis l’élimination rapide de son équipe. Il lui fallait remplumer au plus tôt une attaque anémique, incapable de frapper quand le Canadien en avait le plus besoin.

À cette pression, s’est ajoutée la spectaculaire performance des Predators de Nashville et de P.K. Subban. Soir après soir, série après série, Bergevin s’est fait remettre sur le nez par plusieurs sa transaction de l’été dernier. Quand un directeur général complète un échange majeur dans le but de faire de son organisation un prétendant sérieux à la coupe Stanley et qu’il voit l’athlète qu’il a laissé partir veiller pas mal plus tard dans les séries que le vétéran dont il a fait l’acquisition, c’est presque normal qu’il se fasse clouer au pilori par un public frustré et exaspéré.

Chez le Canadien, il y a actuellement des choses à réparer, des carences à éliminer et un public à calmer. Bergevin se voyait donc dans l’obligation de porter un autre grand coup avec, cette fois, une marge d’erreur quasi inexistante. C’est ce qu’il vient de réussir en acceptant de payer un prix élevé pour obtenir un joueur capable de faire une nette différence. En Jonathan Drouin, il vient de mettre le grappin sur un attaquant très doué offensivement, possédant des mains de magicien et un flair indéniable pour les jeux qui tiennent les spectateurs sur le bout de leurs sièges.

Il faut regarder en boucle les buts spectaculaires qu’il a marqués cette saison pour avoir la confirmation que le Canadien s’est doté d’un joueur très spécial. Certes l’attaquant le plus explosif depuis les beaux jours de Guy Lafleur. Un athlète qu’on n’aura pas de mal à vendre aux détenteurs d’abonnements de saison et de loges corporatives.

Jonathan Drouin en entrevue au 5 à 7

Drouin devient ainsi la première vedette francophone de l’équipe depuis le départ de Patrick Roy, il y a 22 ans. On ne connaît pas vraiment sa capacité a bien se débrouiller dans une situation de pression extrême puisque la Floride est un marché qui n’a rien de comparable à la bouilloire de Montréal. On ne devrait pas tarder à le savoir, cependant. Il sera la plus belle carte québécoise du Canadien, son porte-étendard sur le plan marketing. Comme il s’agit de l’équipe de son enfance, il a au moins l’avantage de savoir ce qui l’attend.

Qu’on le veuille ou non, il sera générateur d’espoir. Habituellement, la patience serait de mise avec un jeune de 22 ans, mais il débarque dans une équipe qui n’a pas beaucoup de temps devant elle pour réaliser ce qu’elle cherche à accomplir. Drouin étant devenu une grande vedette au cours de la dernière année, sa venue créera beaucoup d’attente.

On ne se contera pas d’histoire, s’il est devenu disponible, c’est parce que Steve Yzerman, qui doit renégocier les ententes de deux autres attaquants, Tyler Johnson et Ondrej Palat, a dû faire des choix. Il y a longtemps qu’il recherchait un défenseur capable de seconder Victor Hedman à court ou à moyen terme. Il a cru que le jeune Russe, qui reste un projet pour l’instant, était la perle rare qui lui manquait. Il n’y avait pas beaucoup d’espoir de moins de 20 ans supérieur à Mikhail Sergachev sur le marché. Avec lui, Yzerman vient d’investir pour les 10 ou 12 prochaines années. Il est sans doute aussi heureux et aussi fier d’avoir obtenu Sergachev que Bergevin l’était dans le cas de Shea Weber l’été dernier.

Même si Bergevin a payé cher pour acquérir Drouin, il est difficile de le lui reprocher puisqu’on l’a souvent accusé de négocier des transactions en refusant systématiquement d’offrir un produit de même qualité en retour. Il ne regarde sûrement pas Sergachev partir de gaieté de coeur, lui qui est constamment à la recherche de défenseurs. La venue de Drouin, avec lequel il s’est entendu dans un temps record, provoquera probablement un ou deux autres changements. Il faudra faire des choix avec les coûteuses négociations qui s’annoncent dans le cas de Carey Price et d’Alexander Radulov. Alex Galchenyuk s’interroge probablement sur son avenir à Montréal à la suite de cette transaction.

D'excellents défenseurs sacrifiés

Les espoirs chez les défenseurs ne courent pas les rues. Les formations ayant des faiblesses à la ligne bleue courent parfois des risques énormes pour en acquérir. Pouvoir en obtenir par la voie du repêchage représente donc une chance énorme. Or, en l’espace de 10 ans, il est assez étonnant de constater que le Canadien a repêché puis échangé deux défenseurs étoiles en Ryan McDonagh et P.K. Subban et un troisième, Sergachev, qu’on regardera maintenant grandir et progresser à Tampa. 

« C'est un honneur, c'est gros »

Mais dans le cas de Drouin, on ne pouvait pas faire des omelettes sans casser des oeufs. Bergevin l’a enfin compris. La dernière élimination de son équipe et la critique acerbe dont l’organisation a fait l’objet ces dernières semaines ont probablement sonné quelques clochettes d’alarme en haut lieu. En l’espace de deux heures, on a confirmé que deux joueurs locaux jouissant d’un talent offensif certain, Drouin et Charles Hudon, patineront à Montréal l’automne prochain.

Le Canadien représente déjà une équipe grandement améliorée. Quand un directeur général se voit-il offrir une occasion de décrocher une perle rare, un joueur d’impact de 22 ans, sans toucher à ses acquis? Bergevin est souvent critiqué, mais force est d’admettre qu’il ne fait pas les choses comme tout le monde.

« On ne pouvait pas rater cette occasion »