MONTRÉAL – L’une des qualités premières d’un bon journaliste est de savoir reconnaître un bon sujet lorsqu’il en voit un. Mikaël Lalancette a frappé dans le mille en se lançant dans l’écriture de la biographie de Georges Vézina, le premier d’une longue lignée de monuments qui ont marqué l’histoire du Canadien de Montréal.

Le projet a macéré pendant plusieurs années dans la tête de son instigateur, dont les recherches sont finalement arrivées à maturation avec la parution cette semaine de L’Habitant silencieux. L’ouvrage rigoureux, dont la préface est signée par Patrick Roy, retrace les pérégrinations de celui qui y est décrit comme « la première vedette québécoise » de l’histoire centenaire du Tricolore.

La prémisse de l’auteur s’appuie sur la conviction que Vézina, même si son nom orne aujourd’hui un trophée remis annuellement par la Ligue nationale et la façade d’un amphithéâtre de sa ville natale, demeure l’une des grandes figures les plus méconnues de l’histoire de son sport. Et sa démarche est convaincante. De ce voyage dans le temps auquel il nous convie, dont le départ est donné dans le Saguenay de la fin du 19e siècle et qui s’étire jusqu’aux premières années d’existence de la Ligue nationale de hockey, on revient effectivement avec l’impression d’avoir découvert un pan important et négligé de notre passé.

« Quand tu dis que même sa famille n’en sait plus beaucoup sur l’histoire de Georges Vézina, ça veut dire que dans la population en général, il n’en reste plus grand-chose. Je voulais lui redonner un peu ses lettres de noblesse », explique le biographe.

Afin de documenter avec la plus grande précision les détails de la vie de Vézina et d’éteindre les nombreux mythes qui persistaient à son endroit, Mikaël Lalancette a consacré d’innombrables heures à l’examen des archives de l’époque. À défaut de pouvoir tendre son enregistreuse aux nombreux témoins de la vie du « Concombre de Chicoutimi », il s’en remet aux journaux et aux documents officiels qu’il a minutieusement épluchés afin de tracer le plus fidèlement possible le parcours de celui qu’on présentait, à son apogée, comme « le roi des gardiens ».

Amorcé en 2006 et poursuivi à temps perdu pendant une quinzaine d’années, ce travail de moine est devenu le pain quotidien de l’auteur durant la dernière année, qui a été marquée par une trêve professionnelle occasionnée par la pandémie.

« Il y a eu des journées où je ne voyais plus le bout. J’avais noté toutes les questions auxquelles je voulais des réponses et chaque fois que j’en trouvais une, je la rayais de ma liste. Je suis parti avec une liste de trois pages. Parfois c’était anecdotique. Par exemple, l’endroit où il habitait à Montréal. Ça a été long avant que je le trouve, mais je voulais en être sûr. C’était important pour moi de raconter l’histoire comme il le faut. »

Cette enquête exhaustive a mené à la découverte de grandes révélations comme de menus détails et, conséquemment, à la rectification de suppositions erronées qui ont longtemps circulé au sujet du premier gardien intronisé au Temple de la renommée. Rattachées ensemble, ces informations tissent une trame narrative informative et fascinante.

« Ça a été un travail fastidieux, mais nécessaire pour vraiment faire le portrait le plus juste de l’homme », croit Lalancette.

Un manuel d’histoire

Vézina a été l’auteur du premier blanchissage et a été le premier gardien crédité d’une passe décisive dans l’histoire de la LNH. À partir de son arrivée au sein des Flying Frenchmen, l’homme de fer a disputé 367 matchs sans interruption, étalés sur 16 saisons, avant que la maladie ne le force à mettre fin à sa carrière

Impossible de mettre en mots la vie de ce pionnier sans s’immerger totalement dans le Québec et le Canada du début des années 1900. Ainsi, les pages de L’Habitant silencieux se tournent comme celles d’un manuel d’histoire. De l’étalement du chemin de fer aux défis de la première grande Guerre, de la conscription à la prohibition, avec une attention logique portée à la pandémie de grippe espagnole qui a empêché l’attribution de la coupe Stanley en 1919, de riches mises en contexte situent continuellement les exploits sportifs de l’impassible cerbère dans le temps.

À la conclusion du bouquin, le sentiment que celui-ci aurait été incomplet sans ces importants apartés s’impose.

« Au début, j’avais peur que ce soit trop, admet son signataire. Mais ensuite je me suis dit non, au contraire. Enfin, ça sera soit la force ou la faiblesse du livre, on verra la réaction des gens. Mais c’est vraiment comme ça que j’ai voulu le bâtir du début jusqu’à la fin. Peut-être que ça va en désintéresser certains, mais pour que ça soit pertinent, il fallait que ça soit vraiment fouillé. J’avais besoin d’une démarche claire et je pense que c’est réussi. »

Et comme l’histoire nous ramène immanquablement au présent, Mikaël Lalancette ne peut s’empêcher de sourire, près de cent ans après la mort du « gars de Chicoutimi », à la vue des parallèles qui le lient à son contemporain. Comme Vézina à l’époque, Carey Price est arrivé à Montréal en provenance d’une région éloignée. Il n’est pas le plus bavard et préfère les grands espaces de son coin de pays à l’effervescence de la grande ville. Et à l’image de son vénérable prédécesseur, il pourrait devenir l’un des rares gardiens à compléter sa carrière sans avoir porté un autre uniforme que celui du Bleu-blanc-rouge.    

« Et comme on l’a vu avec Price, le Canadien a signé plusieurs auxiliaires pour éventuellement seconder Vézina, mais il n’y en a aucun qui a fait le travail! », relève-t-il avec satisfaction.

Une fois son livre sur les tablettes, le journaliste spécialisé dans la couverture du hockey junior a l’intention de présenter à la LNH des documents qui permettraient d’ajuster les statistiques qui sont actuellement attribuées à Georges Vézina. Il espère aussi inspirer l’organisation du Canadien à retirer le numéro 1 porté par le vainqueur de deux coupes Stanley et qui a depuis été immortalisé par Jacques Plante.

Une traduction en anglais, afin de faire voyager l’histoire de Vézina dans les contrées où il a jadis lui-même contribué à la popularisation de son club de cœur, est une autre conclusion à laquelle l’écrivain se permet de rêver. 

« Il y a une curiosité pour lui du côté anglophone. C’est sûr que j’aimerais ça. Ça ouvrirait encore plus le spectre. Ça serait la cerise sur le sundae. »