Quand on connaît la véritable histoire de Jacques Demers et quand on sait tout ce qu'il a traversé comme embûches durant son existence, faut-il vraiment s'étonner d'apprendre que ce bagarreur naturel ne recule actuellement devant aucun effort pour reprendre le contrôle de sa santé.

Au début, les conséquences d'un percutant AVC, qui l'avait laissé inconscient durant plusieurs heures, étaient affolantes. Son côté droit était totalement paralysé. Recroquevillé dans son lit, il semblait triste, déprimé. Il avait perdu l'usage de la parole. Or, l'aspect le plus important de la personnalité du dernier entraîneur à avoir gagné la coupe Stanley au Canada était justement son énorme facilité à s'exprimer. C'est en bonne partie sa voix qui l'a mené là où il est aujourd'hui.

Demers parlait à ses joueurs. Il parlait au public. Il parlait à la télé. Il parlait au sénat. Il parlait dans des points de presse. Il donnait des conférences. Puis, soudainement, plus rien. Il émettait des sons en serrant les poings de frustration quand les mots restaient prisonniers de son cerveau durement attaqué.

Son côté droit étant paralysé, il doit maintenant apprendre à manger et à écrire de la gauche. Son oeil droit affecté légèrement par sa paralysie rend difficile la lecture d'un journal. C'est trop d'épreuves pour un homme énergique dont les statuts de sénateur, d'ex-entraîneur et de porte-parole pour l'alphabétisation lui ont valu des invitations à prononcer des conférences au Canada et aux États-Unis. Sans compter les missions humanitaires que l'ex-premier ministre du pays, Stephen Harper, lui a demandé d'accomplir en milieux de guerre.

Serez-vous surpris d'apprendre que cet homme, maltraité durant son enfance par un père alcoolique et dur, doive encore se battre, à 71 ans, pour se sortir d'une mauvaise situation? Les thérapeutes en réadaptation physique disent de lui qu'il travaille très fort pour marquer des progrès. Ils ont parfois des patients qui refusent d'accomplir leur programme d'exercices et qui ont tendance à s'apitoyer sur leur sort, mais pas lui. Il suit à la lettre les directives qu'il reçoit. Il ne se plaint pas.

J'étais là le jour où une infirmière lui a fait boire deux médicaments de suite. À le voir grimacer, je devinais que cela devait être imbuvable. « Est-ce que ça va, monsieur Demers? », demandait-elle en lui accordant un petit répit entre chaque gorgée. Chaque fois, il lui faisait signe de lui en donner encore.

Le week-end dernier, il a passé trois jours à la maison. Il était heureux de s'y retrouver, comme il était triste à l'idée de devoir retourner à l'hôpital. Un signe assez évident qu'il est capable d'exprimer des émotions. Il reviendra une nouvelle fois à sa résidence cette fin de semaine. On croit même qu'il sera en mesure de quitter définitivement l'hôpital dans deux ou trois semaines alors que ses traitements thérapeutiques se poursuivront à la maison.

« Il a toute sa tête, précise Debbie, son épouse de plus d'un quart de siècle. Il comprend tout ce qu'on lui dit, mais ça le frustre de ne pas pouvoir s'exprimer vocalement. »

Depuis les premiers jours de son hospitalisation, il a enregistré des progrès assez étonnants. De plus en plus, des mots sortent de sa bouche. Il est en mesure de faire savoir ce qu'il aime et ce qu'il n'aime pas. Il va mieux, le coach. Il accepte en souriant les blagues qu'on lui fait. Il lui arrive même de rigoler.

« Il revient de très loin, dit-elle. Il doit maintenant reprendre le contrôle de sa vie. Je ne doute pas que son amélioration sera constante. Quand nous lui faisons faire une balade, sa soeur Claudette et moi, il nous aide à prendre place dans la voiture grâce à son côté gauche très fort. »

Il y a plusieurs semaines, on n'aurait jamais cru cela possible. Quand ses médecins disaient qu'il fallait y mettre le temps pour que le cerveau se remette d'un tel choc, on prenait cela avec un grain de sel, comme si on y voyait un simple message d'encouragement destiné au public qui lui est attaché. En observant l'homme quasi inerte dans son lit quelques jours à peine après son AVC, on ne lui garantissait pas un grand avenir.

« Ça me choque de constater que des gens aient abandonné aussi vite dans son cas, affirme Debbie. Ceux qui sont familiers avec les attaques cardiaques savent qu'il faut s'armer de patience. Celle de Jacques a été sévère. Ça prend du temps au cerveau pour guérir ou pour revenir à la normale. C'est très possible que ses fonctions reviennent. On me dit qu'on ignore encore à quel point il va s'en remettre, mais il peut continuer de s'améliorer durant deux ans encore. Or, ça ne fait même pas trois mois qu'il a subi cette attaque. »

Du courage et du cran

Sa mémoire retrouve aussi graduellement son chemin. Il se souvient, par exemple, qu'il sera bientôt intronisé au Panthéon des sports du Québec. Quand on lui avait fait part de cette nouvelle, il y a quelques mois, il avait été fou de joie. Les intronisations à ce panthéon sont réservées aux athlètes et aux bâtisseurs qui ont contribué à écrire l'histoire sportive du Québec. Il en a été extrêmement touché.

Par ailleurs, c'est un homme d'une grande fierté. Pour cette raison, on ne s'attendait pas à ce qu'il se présente en fauteuil roulant devant 400 personnes pour recevoir cet honneur. Signe évident qu'il va mieux, il a bel et bien l'intention d'être présent au gala du 28 septembre, au club de golf Le Mirage. Mieux encore, il désire rendre une visite à ses collègues du sénat cet automne, à Ottawa. Ça prend du courage et un certain cran pour agir ainsi, mais il n'en a jamais manqué.

« Il ne va sûrement pas rester à ne rien faire, affirme Debbie, le plus normalement du monde. D'accomplir des choses sera sûrement bon pour son moral. C'est un homme sociable qui veut retourner à certaines activités. Sur cet aspect, il a fait aussi beaucoup de progrès. Au début, il ne voulait voir personne. Il est maintenant prêt à rencontrer des gens. Graduellement, sa soeur Claudette et moi allons lui faire faire des sorties. Ce sera positif pour lui. »

Néanmoins, cet accident vasculaire cérébral va changer la vie de Jacques et de Debbie Demers pour toujours. Les séjours annuels en Floride seront difficiles et les sorties au restaurant sûrement moins nombreuses. Leur vie sociale très active en sera affectée, mais le facteur le plus important, c'est qu'il soit bien vivant et déterminé à se refaire une santé.

Le décès du chanteur Pierre Lalonde, un ex-partenaire de golf et un ami, l'a chagriné et le rend peut-être reconnaissant envers la vie d'être toujours là.

« Je lui ai fait remarquer que ce sera une vie différente pour lui, mais qu'elle peut encore être très motivante, souligne son épouse. Le temps est venu pour lui de ralentir. Il vient de recevoir un message important. En espérant qu'il le saisisse. Ce sera intéressant de voir à quel point cela va le changer à plus long terme. J'espère le voir diminuer ses activités et apprécier chaque journée de sa vie. Ce que nous devrions tous faire, d'ailleurs. »