Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Pour corriger une erreur. Le Canadien en fera la preuve samedi soir en réunissant Guy Lapointe à Serge Savard et Larry Robinson au plafond du Centre Bell où les chandails des illustres membres du Big Three seront enfin regroupés.

Dans un monde idéal, les chandails 5, 18 et 19 auraient été hissés sous le plafond du Centre Bell en même temps en novembre 2006, lorsque Serge Savard a été le premier des trois piliers de la défensive du Canadien dans les années 70 à recevoir cet insigne honneur.

Robinson a suivi Savard un an plus tard.

Samedi soir, profitant de la visite du Wild du Minnesota, pour qui Lapointe identifie les joueurs juniors ayant le plus de potentiel pour faire le grand saut dans la LNH depuis neuf ans, ce sera au tour de Lapointe.

La petite et la grande histoire du hockey ont toujours accordé au « Big Three » du Canadien l’importance qui lui revenait. Chacun dans leur rôle, le Sénateur, Big Bird et Pointu – les surnoms accolés à Savard, Robinson et Lapointe – étaient des maîtres de leur profession. Ils étaient plus grands que nature. C’est pour cette raison qu’ils sont regroupés tout en haut de la liste des meilleurs défenseurs de l’histoire du Canadien derrière Doug Harvey et peut-être, j’insiste sur le peut-être, Jean-Claude Tremblay qui les a précédés et Chris Chelios qui leur a succédé.

Si le « Big Three » a toujours obtenu la reconnaissance qu’il méritait, on ne peut en dire autant de Lapointe.

Pendant que Savard et Robinson unissaient leurs efforts pour contrer les élans des meilleurs joueurs adverses et aussi pour aller contribuer aux succès du Canadien à l’attaque, Lapointe était la troisième roue du tricycle. Il jouait avec Rick Chartraw, avec Pierre Bouchard, avec les autres défenseurs du Tricolore. Bon! Ces autres défenseurs du Tricolore n’étaient pas manchots pour autant. C’est vrai. Ils savaient patiner, effectuer des passes, mettre la rondelle au filet et défendre leur gardien Ken Dryden ou leurs autres coéquipiers. C’est un fait. Mais pendant que Savard et Robinson s’épaulaient, Lapointe abattait le même boulot, avec autant d’efficacité, tout en jouant avec les autres…

C’est pour cette raison que si, dans l’imaginaire populaire, Lapointe avait moins d’envergure que Savard et Robinson, il en avait tout autant aux yeux de ses adversaires et hommes de hockey de l’époque. Des adversaires et hommes de hockey qui affichent, encore aujourd’hui, la même admiration à l’égard de celui qui sera honoré samedi.

« Je peux comprendre les gens d’avoir de meilleurs souvenirs de Serge (Savard) et Larry (Robinson) ils étaient monstrueux sur la patinoire. Ils dressaient un mur à la ligne bleue du Canadien. Mais je peux vous assurer que ce n’était pas plus facile de jouer contre Guy Lapointe. C’était aussi difficile de passer de son côté que de celui de Robinson. Et Lapointe avait aussi le mandat de regarder ce qui se passait de l’autre côté », me racontait Paul MacLean, l’entraîneur-chef des Sénateurs d’Ottawa qui a connu une belle carrière de plus de 10 ans comme attaquant à Winnipeg, St Louis, Detroit avant de se poursuivre sa carrière comme entraîneur.

Scotty Bowman, qui dirigeait le «Big Three» à Montréal et qui raconte l’histoire du Canadien de cette époque aussi bien que son illustre équipe jouait sur la patinoire, m’a toujours parlé avec la plus grande admiration de Guy Lapointe et de son importance au sein de l’équipe. Peut-être parce qu’il le confinait avec les autres défenseurs au lieu de lui donner l’occasion de se la couler un peu plus douce avec Savard, Bowman a toujours assuré que Guy Lapointe n’avait rien à envier aux deux autres.

Ses statistiques personnelles le confirment d’ailleurs avec éloquence :

Lapointe a marqué 171 buts et récolté 622 points en 894 matchs en carrière. C’est énorme.

« On m'a pris par surprise »

En 777 matchs de saison régulière avec le Canadien, il a marqué 166 buts et récolté 572 points. C’est plus énorme encore.

Et ce n’est pas tout. Il détient toujours le record de 28 buts en une saison régulière pour un défenseur du Canadien. Histoire de prouver que ce n’était pas un coup de chance, il a suivi sa campagne de 28 buts avec deux autres de 21 et 25 filets.

Malgré le fait qu’il était la troisième roue du magnifique carrosse du « Big Three » Lapointe a maintenu un différentiel de plus 347 pendant ses 14 saisons à Montréal. Comme quoi il ne devait pas être trop mauvais défensivement non plus. Ah oui! Il a aussi amassé plus de 800 minutes de pénalité. Comme quoi il ne jouait pas du bout de la palette ou qu’il songeait plus à ses statistiques personnelles qu’au bien de l’équipe.

Guy Lapointe était un grand sur la glace.

S’il a évolué dans l’ombre de ses amis et compagnons de jeu Serge Savard et Larry Robinson, il était temps qu’ils les rejoignent et obtiennent le même droit sous les feux de la rampe. Car c’est un honneur qui lui revient de plein droit. Un honneur plus que mérité.

Si le Canadien n’avait pas déjà eu recours à cette mise en scène magnifique alors que Howie Morenz (chandail retiré numéro 7) a quitté la place sous le plafond du Centre Bell pour venir chercher le 5 de Bernard « Boom Boom » Geoffrion – qui était aussi son gendre – lorsque le 5 du « Boomer » a été hissé le 11 mars 2006, le jour même de son décès, je verrais d’un très bon œil le fait qu’on descende les chandails 18 et 19 de Savard et Robinson pour qu’ils puissent, à leur tour, venir chercher leur coéquipier à mi-course. Après toutes ces années, le « Big Three » serait enfin honoré de la meilleure façon qui soit, de la seule façon qui soit : en hissant les chandails 5, 18 et 19 en même temps.

Oui vraiment : il n’est jamais trop tard pour bien faire.