Il n’y a jamais eu un secret mieux gardé que celui-là.

Vous est-il déjà arrivé de déambuler dans un quartier où chaque rue vous rappelle un héros sportif? Vous marchez sur la rue Maurice Richard, disons, puis vous croisez la rue Jacques Plante, puis la rue Toe Blake, puis la rue Jean Béliveau, puis…

Impossible, direz-vous? Pourtant, ça existe vraiment et pas très loin de Montréal. À Vaudreuil-Dorion, on a créé une sorte de carrefour des légendes où quelques-uns des plus grands joueurs dans l’histoire du Canadien, qui n’ont même jamais traversé cette ville, ont pourtant leur rue bien à eux.

Même Maurice Richard. Bien oui, même le Rocket y a la sienne, lui qui n’a jamais eu droit à pareille reconnaissance à Montréal.

En 2006, j’avais humblement suggéré qu’on donne son nom au tronçon de la rue La Gauchetière qui mène à l’entrée principale du Centre Bell. L’ex-administration du maire Gérald Tremblay avait dit ne pas fermer la porte à cette proposition. Toutefois, le responsable de la toponymie de la ville avait indiqué qu’aucune demande ne lui avait été présentée à cet effet. On peut présumer que le projet, qui allait mener à « l’Avenue des Canadiens-de-Montréal », était déjà en voie de réalisation. Néanmoins, on s’explique mal encore que Maurice Richard, 47 ans après sa retraite et 17 ans après sa mort, n’ait toujours pas trouvé une niche dans la ville qu’il a dignement représentée, sur la patinoire comme à l’extérieur.

Il n’y a donc qu’une seule rue Maurice-Richard dans tout le Québec et c’est à Vaudreuil-Dorion, en Montérégie, qu’elle se situe. Le Rocket n’y est pas seul. Dans cette municipalité, née de la fusion de Vaudreuil et de Dorion, on a érigé un secteur qui prend presque la forme d’un panthéon. Pas moins de 17 rues d’un même quartier portent le nom d’un ancien membre du Canadien.

Au départ, cette idée a été celle d’un promoteur, Groupe immobilier Vaudreuil, dont le propriétaire était un ardent partisan du Canadien. Il a  donc donné un coup de chapeau à huit joueurs pour lesquels il avait beaucoup d’admiration. D’ailleurs, ceux qu’il a choisis témoignent probablement de l’âge du promoteur puisqu’ils appartiennent tous à des époques lointaines. Ce qui explique sans doute pourquoi Guy Lafleur n’est pas du nombre.

« Dans le temps, on demandait aux promoteurs de nous proposer des thématiques avant l’érection de nouveaux quartiers. Groupe immobilier Vaudreuil nous a suggéré des noms de joueurs de hockey, explique Jean Saint-Antoine, greffier de la ville. Nous avons demandé aux promoteurs suivants de continuer dans la même veine, de sorte que les noms de neuf autres anciennes gloires du Canadien sont venus plus tard se greffer à ce projet. »

En 2003, les premières rues de cet environnement se sont enrichies des noms de Toe Blake, Jacques Plante, Jean Béliveau, Elmer Lach, Newsy Lalonde, Claude Provost, Léo Gravelle et Frank Selke. Plus tard, se sont ajoutées celles de Bill Durham, Jean-Claude Tremblay, Émile Bouchard, Lorne Worsley, Aurèle Joliat, Sylvio Mantha, Phil Goyette, Howie Morenz et, évidemment, Maurice Richard.

Quand on vous parle d’un secret bien gardé, même les familles de ces athlètes aimés et respectés n’ont pas été avisées de l’hommage qu’on leur a rendu dans une trop grande discrétion, faut-il le dire. Il n’y a jamais eu d’inaugurations spéciales ou de réceptions pour les gens concernés, avec vin et petits canapés. Pas même un coup de fil pour leur souhaiter la bienvenue.

C’est par un pur hasard, en effectuant des recherches pour un récent papier sur Claude Provost, que j’ai découvert qu’il y avait une rue à son nom à Vaudreuil-Dorion. C’est un détail qui a capté mon attention parce que l’ex-ailier droit du Canadien n’a jamais résidé dans cette ville.

« Je l’ai moi-même appris en lisant l’article sur mon père sur le site de RDS, fait remarquer Claude Provost, fils. J’ai douté qu’il s’agissait de lui. J’ai plutôt pensé que c’était le nom d’un politicien. Il y a déjà eu un projet d’aréna pour lui à Saint-Lin, mais cela ne s’est pas matérialisé. Je pense qu’on peut être fier aujourd’hui qu’une rue porte son nom. »

Phil Goyette, lui, qui habite Lachine depuis des lunes, l’a appris par hasard. « C’est mon partenaire de golf, qui habite dans le coin, qui me l’a annoncé », mentionne-t-il.

Dans le cas du Rocket, son fils, Maurice Richard junior, avait déjà eu des échos de l’affaire, mais la famille n’en avait jamais été informée. Néanmoins, on ne s’offusquera pas de cet « oubli » quand cette ville, qui a rendu pareil hommage à l’idole d’un peuple, est la seule à l’avoir fait au Québec.

Une seule famille, celle d’Émile Bouchard, est allée sur place pour témoigner visuellement de l’écriteau confirmant le nom de l’artère. Pierre Bouchard et son fils Émile s’y sont rendus à l’invitation d’un ami, le promoteur immobilier, qui est aussi l’un des organisateurs du tournoi annuel de golf Toe Blake, au profit de la Société Alzheimer de Montréal, qui se tient au club Summerlea, à Vaudreuil-Dorion.

« Nous avons pris un café, on nous a offert un certificat cadeau de 50$ dans un restaurant et nous sommes repartis », explique Pierre Bouchard, un sourire en coin.

On ne peut pas dire que cette ville ait saisi cette occasion en or de bénéficier d’une grande visibilité en créant ce quartier probablement unique en Amérique, sinon sur la planète. D’ailleurs, on ne sait trop pourquoi elle ne l’a pas fait. À en juger par la réaction de la municipalité, il semble tout simplement qu’on n’y ait pas pensé.

« Nous ne sommes pas à Brossard. Notre secteur n’est pas habité par des joueurs de hockey », dit simplement Jean Saint-Antoine.

Le quartier DIX30, qui accueille le Complexe sportif Bell de Brossard, n’est pas à la veille de baptiser une rue en l’honneur d’un joueur du Canadien. Avant d’être considéré comme une légende, il faut d’abord avoir beaucoup gagné. Or, on est à une époque où participer aux séries éliminatoires est déjà considéré comme un exploit.

À Vaudreuil-Dorion, des 17 athlètes immortalisés, 13 sont intronisés au Panthéon de la renommée du hockey et les quatre autres se partagent 18 coupes Stanley.