MONTRÉAL – Une poche de hockey et une poche de linge. Voilà tout ce que Gregor Baumgartner avait en sa possession lorsqu’il a quitté sa famille et son pays natal, l’Autriche, pour débarquer en Amérique du Nord à l’âge de 14 ans.

Après tout, il faut croire qu’il n’avait pas vraiment besoin de plus puisqu’il s’est rendu aussi près que possible d’une carrière dans la LNH.

Baumgartner a osé traverser l’Atlantique à la suite d’une expérience prometteuse au Tournoi de pee-wee de Québec. Il avait été invité à déménager en sol québécois dans le but de propulser sa carrière de hockeyeur vers des sommets plus élevés.

« C’était un peu fou quand j’y repense, je ne parlais pas français et à peine anglais. À mon arrivée à l’aéroport, j’avais une pancarte pour dire que je parlais allemand et un peu anglais pour trouver ma famille de pension. L’entente avec mes parents était que je pouvais rester si je parvenais à percer le plus haut niveau, le bantam AA. Quand j’ai été retenu dans l’équipe, je les ai appelés pour leur dire que je restais », a raconté au RDS.ca, dans un français impeccable, le hockeyeur au parcours fascinant retracé en Autriche.

Trois ans plus tard, Baumgartner a été repêché par nul autre que le Canadien de Montréal en deuxième ronde (37e au total). Son nom avait été prononcé seulement quelques minutes plus tard que ceux de Joe Thornton, Patrick Marleau, Olli Jokinen, Roberto Luongo et Marian Hossa qui avaient constitué les meilleures prises de la première ronde.

Son premier camp d’entraînement auprès des Mark Recchi et Saku Koivu avait été rempli d’espoir alors qu’il s’était approché à quelques jours de sa conclusion avant d’être retranché.

Même s’il est retourné dans son pays et qu’il a accroché ses patins seulement la saison dernière au terme d’une carrière professionnelle réussie, Baumgartner ne sera jamais entièrement libéré de son parcours inachevé vers la LNH.

« Je pense que je ne serai jamais vraiment en paix avec ça. Je dis ça puisque ça affecte toute ta vie à un certain point. Si j’avais joué seulement un match ou une dizaine de matchs, ça changerait encore des choses dans ma vie quotidienne. Ta crédibilité dans le monde du hockey monte d’un certain cran », a-t-il avoué sans retenue.

« Parfois, je me dis que c’est un peu ridicule, parce que j’aurais pu jouer quelques matchs, j’aurais été capable. J’ai quand même participé au match des étoiles dans la Ligue américaine de hockey. Sans dénigrer personne, quelques joueurs LNH n’étaient pas meilleurs que moi », a exprimé le volubile athlète.

« Je vais toujours un peu l’avoir en tête et ce serait peut-être différent si j’avais pu jouer au moins deux ou trois parties. […] Je vais toujours me dire que j’aurais aimé accomplir un peu plus. »

Quelques petites erreurs de parcours

De façon logique, Baumgartner a eu besoin de temps pour débroussailler les décisions et les raisons qui l’ont empêché de franchir la dernière marche. Au haut de la liste, le hockeyeur autrichien cible la décision de rompre les liens avec le Canadien.

En effet, les négociations contractuelles n’avaient pas été faciles et, conseillé par son agent, il avait opté pour revivre le processus du repêchage.

« J’étais un jeune Autrichien peu familier avec l’Amérique du Nord. On a décidé qu’on était mieux de choisir cette avenue, mais ça ne s’est pas déroulé dans l’amertume avec le Canadien », a confié l’habile marqueur qui a représenté son pays sur la scène internationale à maintes reprises. Gregor Baumgartner

« Peut-être que je voulais avancer trop vite et que j’aurais dû prendre ce contrat, on ne sait pas si ç'a été une erreur. Je compare mon choix à celui de François Beauchemin qui a accepté l’offre du Tricolore pour enchaîner avec de petits pas qui l’ont mené à une belle carrière », a-t-il poursuivi.

Deux étés plus tard, en 1999, Baumgartner a donc de nouveau été repêché, cette fois par les Stars de Dallas. Grâce à un camp d’entraînement convaincant, il a vécu l’un des plus beaux moments de sa carrière en disputant un match préparatoire sur le même trio que Mike Modano, un souvenir que personne ne pourra lui enlever.

Par contre, la suite des choses s’est compliquée et il a hérité d’une dernière occasion avec une organisation du circuit Bettman, les Oilers d’Edmonton, sans pouvoir se faire justice pour de bon.

« Dans le fond, ma meilleure chance aurait été avec Montréal. J’avais connu un meilleur camp d’entraînement que le premier choix de mon année, Jason Ward », a évalué l’auteur de 91 points à sa dernière saison dans la LHJMQ en 1998-1999.

Finalement, le pénible purgatoire des circuits de développement de la LNH aura eu raison de sa patience. Après des arrêts au Michigan, en Utah, en Idaho, en Oklahoma, au Texas et en Floride, il a préféré retourner dans son pays à la suite d’une décennie mouvementée en territoire nord-américain. Il aurait pu s’accrocher pendant encore quelques années, mais la motivation n’y était plus.

« Je ne le regrette pas, c’est plus avant que j’aurais fait des choses d’une autre manière. Ce n’était pas dû pour arriver… », a laissé tomber celui qui se consacre notamment au rôle d’entraîneur pour sa deuxième carrière.

À 36 ans, le grand voyageur ne se met pas la tête dans le sable. Il s’attribue également une part du blâme pour une raison spécifique.

« J’ai manqué de maturité et même au niveau de mon jeu, je n’étais pas constant. Mais j’aurais aimé avoir ma chance plus tard un peu comme l’Autrichien Thomas Raffl qui a signé un contrat avec les Jets de Winnipeg à 29 ans. J’aurais été plus mature et plus prêt. Les habiletés étaient présentes, mais il manquait beaucoup de choses dans ma façon de jouer. J’ai appris à être plus tactique pendant mes années en Europe », a-t-il soulevé.

Quelques années plus tard, Baumgartner finit par se dire qu’il aurait éprouvé des ennuis à garder la tête froide s’il avait signé un contrat d’envergure.

« Je dois admettre que si j’avais eu beaucoup d’argent à 19 ou 20 ans, je n’aurais pas été prêt pour vivre avec ça, je serais probablement viré fou », a reconnu avec franchise l’Européen.

Trop d’entraîneurs, c’est comme pas assez

Un encadrement plus optimal dans la LHJMQ aurait certainement contribué à rehausser sa maturité sportive et psychologique. Par contre, Baumgartner s’est retrouvé dans un contexte pour le moins inusité durant ses trois saisons (deux avec le Titan de Laval et une à Bathurst) dans le circuit Courteau.

« J’ai été malchanceux de me retrouver avec six entraîneurs en trois ans dans le junior. Ça n’a pas aidé mon développement, je finissais par constamment apprendre des systèmes de jeu au lieu de me développer. »

Roger Dejoie a été l’un de ses entraîneurs avec le Titan – lors de sa dernière campagne en 1998-1999 – et il a conservé des souvenirs très positifs de l’attaquant offensif.

Gregor Baumgartner« Il avait une excellente tête de hockey et c’est un homme brillant à l’extérieur du sport aussi. Je pense qu’il aurait pu réussir dans la LNH. Quand on le défiait, il pouvait transformer une défaite en victoire », s’est rappelé Dejoie qui a effectué un retour dans la LHJMQ comme adjoint avec les Olympiques de Gatineau.

« Au niveau junior, il était assez mature. C’est probablement entre les deux échelons que sa maturité a été insuffisante. Il y a une grosse marge quand tu tombes dans le monde des hommes et il aurait touché à la LNH s’il avait réussi à faire cette transition », a proposé Dejoie.

À la suite d’une telle déception, Baumgartner n’est pas retombé les pieds sur terre aisément, étant déçu de son échec en Amérique du Nord.

« Je suis passé de l’organisation des Oilers à un retour avec une équipe en Autriche qui a fini par me libérer. Mentalement, j’avais des problèmes à gérer le fait de passer du top au plus bas, j’étais quand même parti pour devenir un pro de la LNH. Tu finis par comprendre que le hockey peut se terminer chaque jour. J’ai eu besoin de quelques années pour me replacer », a-t-il admis.

S’il pouvait recommencer son aventure en Amérique du Nord, Baumgartner éviterait une autre erreur qui a coûté cher à ses yeux. Détenteur d’une bourse de l’Université Clarkson, il avait renoncé à ce programme.

« C’est ce qui m’a fait le plus mal, ce n’était pas une bonne décision, mais je n’étais pas conseillé à ce moment. On a remarqué plus tard que le programme universitaire permet de se développer tranquillement », a déterminé celui qui a passé neuf de ses douze saisons en Autriche avec l’équipe de Linz, une ville du nord du pays.

Le cas de Baumgartner fait réaliser que le suivi accordé au développement n’était pas assez exhaustif à ce moment.

« André Ruel (le responsable du développement) était proche de Gregor, c’était un homme très expérimenté et il avait le tour avec les jeunes. De nos jours, c’est devenu extrêmement sérieux la partie de l’encadrement et ça les aide énormément. Les espoirs sont suivis à la lettre tous les mois », a comparé Dejoie.

De retour au Québec tous les ans ou presque

Même s’il n’a pas atteint la LNH et que le choc a été difficile à encaisser, Baumgartner a toujours conservé une affection pour le Québec, sa terre d’adoption. Ce n’est donc pas pour rien que son français sonne aussi bien au bout de la ligne.

« Oh oui, je reviens pratiquement tous les printemps et même quand je jouais aux États-Unis. Je me suis fait des amis et je viens les visiter. J’ai également été chanceux, je me suis retrouvé avec quelques coéquipiers québécois », a raconté Baumgartner, faisant notamment allusion à Éric Chouinard.

« C’est drôle parce qu’on s’est souvent croisé dans nos carrières : dans le hockey mineur, ensuite avec le Canadien et finalement en Europe. Quelles sont les chances qu’un Québécois et un Autrichien se croisent aussi souvent? », a-t-il demandé avec fascination.

Mais la preuve suprême que Baumgartner entretient un lien étroit avec le Québec, il connaît très bien l’émission l’Antichambre de RDS!

D’ailleurs, le retraité qui consacre maintenant son temps à diriger des jeunes hockeyeurs travaille aussi comme analyste pour des parties de hockey à la station Servus TV appartenant à Red Bull.

Heureux de sa progression comme entraîneur avec la fédération autrichienne, Baumgartner pourrait faire sa marque dans ce domaine. Maintenant comblé par la vie, il est devenu papa pour une deuxième fois le 8 novembre (de la petite Luna) et il sera intéressant de voir s’il suggérera un chemin aussi aventurier à sa progéniture.

*Avec la collaboration de Francis Paquin et David Arsenault pour l'inspiration du sujet.