Ce sont près de 80 objets ayant appartenu à Jean Béliveau qui seront vendus à l’encan. La famille ne fait que respecter sa demande. Mais une question se pose, et elle n’est pas de la responsabilité de la famille, soyons clairs : qu’en est-il de la préservation du patrimoine sportif québécois? N’est-il pas dommage de voir ce patrimoine être dispersé aux quatre coins de l’Amérique?

 

La décision de la famille Béliveau de mettre ces objets aux enchères n’a pas été facile. « C’est mon père qui voulait qu’on fasse ça, ce n’est pas nous nécessairement », précise Hélène, la fille de M. Béliveau, responsable de l’héritage de son père. « Je réponds à sa demande. Il disait tout le temps, ça donne quoi d’avoir des affaires dans un tiroir ou dans une armoire. Les choses qu’on a gardées sont importantes pour nous, ça nous touche droit au cœur. »

 

M. Béliveau est décédé en décembre 2014. Ça fait cinq ans, mais pour la famille, c’est comme si c’était hier. « C’est sûr que c’est difficile (de se départir de ces objets), ce sont des souvenirs », ajoute Mme Elise Béliveau, l’épouse de M. Béliveau, avant de s’arrêter, envahie par l’émotion.

 

Et les souvenirs sont nombreux. M. Béliveau conservait tout. Dans cet encan, on retrouve son chandail de capitaine qu’il a revêtu lors de la saison 1962-1963; la paire de patins qu’il portait lorsqu’il a marqué son 500e but dans la LNH, le 11 février 1971, au Forum, contre les North Stars; ou encore sa bague de la conquête de la Coupe Stanley de 1959.

 

Certains items pourraient rapporter jusqu’à 50 000 dollars américains. Mais les évaluations demeurent difficiles. « En ce moment, nous sommes au stade embryonnaire de l’encan », rappelle Marc Juteau, président de Classic Auctions, la firme responsable de l’encan. « Les acheteurs plus sérieux vont attendre dans les derniers jours pour faire leurs mises. »

 

Qui sont ces acquéreurs potentiels?

 

M. Juteau a l’expérience. C’est sa firme qui a dirigé l’encan de M. Béliveau en 2005, qui avait permis d’amasser près d’un million de dollars. C’est également sa firme qui s’est occupée de vendre les objets ayant appartenu à Maurice Richard en 2002. « La clientèle vient d’un peu partout, mais surtout du Québec, du Canada et des États-Unis », précise M. Juteau. « Je me souviens qu’en 2005 (lors du premier encan de M. Béliveau), des acheteurs québécois avaient acquis plusieurs pièces de M. Béliveau. »

 

Certains des artéfacts demeureront probablement au Québec, mais seront dispersés. Ce qui nous amène à la question : à qui revient la responsabilité de préserver le patrimoine sportif québécois? À l’heure actuelle, cette responsabilité n’incombe à aucune institution en particulier.
 

En 2002, lors de l’encan de Maurice Richard, le Musée canadien de l’histoire (connu à l’époque sous le nom du Musée canadien des civilisations) avait acquis 50 pièces, que le musée possède toujours aujourd’hui. Mais on n’a pas voulu préciser s’il y avait un intérêt ou non pour l’actuelle mise aux enchères de la famille Béliveau, puisque ça pourrait avoir une incidence sur le marché. Une chose est certaine, les gens du musée sont à l’affût.

 

Du côté du Temple de la Renommée du hockey à Toronto, on a précisé à RDS, par courriel, qu’on possédait déjà plusieurs articles de la carrière de M. Béliveau, comme son bâton avec lequel il a marqué son 500e but ou encore son chandail no 4 du Canadien, ajoutant : « nous sommes toujours intéressés à avoir de nouveaux artéfacts. Si les partisans veulent préserver l’héritage de M. Béliveau, ils peuvent faire don des items au Temple ».

 

Les musées ont un budget d’acquisition, mais parfois limité, c’est pourquoi ils doivent être sélectifs. D’autres options s’offrent toutefois à eux : le prêt ou encore le don. « Je connais des particuliers qui misent spécialement pour des musées, comme le Temple de la renommée du hockey », spécifie Marc Juteau. « Ces gens font don de leur achat et les objets se retrouvent éventuellement dans ces musées. » En retour, ces donateurs ont droit à un crédit fiscal.

 

Le projet de Musée des sports du Québec

 

Et non, ce projet n’est pas mort. Au contraire. Même s’il est dans l’air depuis des décennies, il semble plus vivant et plus pertinent que jamais. Ce projet est conduit par le Panthéon des sports du Québec qui veut en faire un lieu « de promotion et de sauvegarde du patrimoine sportif québécois », rappelle le vice-président du Panthéon des sports du Québec, Jean Gosselin. « C’est une des raisons d’être de ce musée, de faire en sorte que ce patrimoine soit vu et soit accessible au grand public. Voilà une situation qui crée une forme de sentiment d’urgence, voilà une occasion qu’on vient de perdre », ajoute-t-il concernant l’actuelle vente des objets de M. Béliveau.

 

M. Gosselin avoue que le projet n’était pas à son mieux il y a deux ou trois ans. Mais il semble que les choses aient changé depuis. « L’écoute et le désir des différents interlocuteurs » l’encourage. Ces différents interlocuteurs sont les gouvernements du Canada, du Québec et la Ville de Montréal. La communication est bonne, l’intérêt est là, mais qu’en est-il des engagements réels? « Il y a encore du chemin à faire sur les engagements réels. On aimerait que les paroles des gouvernements soient accompagnées de gestes plus concrets, mais le dialogue est là », avant d’ajouter, tout en prenant le temps de bien choisir ses mots, « je ne jette pas la pierre aux politiciens dans ce projet, mais on a peut-être raté une belle occasion, ça serait bien de ne pas rater la prochaine. »

 

On évalue le projet de musée à 25 millions de dollars pour la construction et la première année d’opération. L’aide demandée aux différents paliers de gouvernement servirait à la construction. Les coûts d’opération seraient comblés par des dons privés, des activités de financement et les visiteurs.

 

Déjà, l’emplacement semble un dossier réglé. La Régie des installations olympiques a bien accueilli le projet et collabore avec le Panthéon des sports en leur donnant accès à l’éventuel emplacement, situé au pied la tour du Stade olympique. Rien n’est signé toutefois et la RIO n’a pas voulu commenter le dossier. Et M. Gosselin ne tient rien pour acquis, mais précise que ce projet correspond au nouveau mandat de la RIO évoqué dans le nouveau projet de loi no 15.

 

Au moment d’écrire des lignes, les différents ministères provinciaux et fédéraux contactés n’étaient pas disponibles pour accorder des entrevues sur les dossiers de projet de musée ou la préservation du patrimoine sportif.

 

Jean Gosselin demeure convaincu que le Musée des sports du Québec verra le jour. « On n’a pas besoin de convaincre nos interlocuteurs de la pertinence et du besoin de ce musée, mais c’est clair qu’une situation comme celle-là permet de rappeler que le patrimoine sportif est diffus, il est entre les mains de plusieurs personnes. »

 

 

Pour voir le catalogue de l’encan des objets de M. Jean Béliveau.