Les trois visages

De Bob Gainey

Comme vous tous, je croyais bien que Bob Gainey quitterait son poste de directeur-gérant du Canadien mais j’ai été surpris de le voir abandonner la barque quelques mois à peine avant le début des séries de fin de saison.

Gainey venait d’être rappelé des Voyageurs de la Nouvelle-Ecosse après y avoir disputé seulement six parties alors que la saison 1973–74 venait à peine de prendre son envol, quand je l’ai connu.

Dès son arrivée à Montréal le gros Bob a pris sa place parmi les vétérans. Ses deux épaules et sa façon de couvrir les meilleurs joueurs adverses en ont vite fait un des favoris des plus vieux du club.

C’est là le premier visage que j’ai connu de Bob Gainey. Celui du jeune homme talentueux, montrant des signes de meneur d’homme et toujours prêt à aider un coéquipier. C’est ainsi qu’il est devenu le joueur défensif par excellence de la LNH.

Gainey a connu une belle carrière avec le Canadien de 1973 à 1989. Il a aidé son club à gagner cinq coupes Stanley, quatre fois il a reçu le trophée Frank Selke et une autre fois le trophée Conn Smythe. Avant de mettre un terme à sa carrière active, il est même devenu capitaine de l’équipe.

Après avoir rangé son chandail numéro 23, Gainey s’est exilé en France où il a dirigé l’équipe des Dauphins d’Epinal.

Pour ce qui est de ce premier visage, je ne peux faire autrement que lui donner une note de dix, soit le maximun.

AVEC LES NORTH STARS

Le deuxième visage de Bob Gainey est celui du dirigeant des North Stars du Minnesota, où il a roulé sa bosse pendant trois saisons, et trois autres avec les transfuges Stars de Dallas.

C’est au cours de son règne à titre de directeur-gérant des Stars que le deuxième visage de Gainey s’est montré. En 1995, son épouse, Cathy, après un combat inégal d’une durée de cinq ans contre le cancer, a rendu l’âme. A partir de ce jour, Gainey s’est replié sur lui-même et il était évident qu’il souffrait.

Mais sur la glace son club s’améliorait si bien qu’en 1999, les Stars ont gagné la coupe Stanley, ce qui a apporté un certain baume sur son caractère psychologique.

En 2002, le Canadien l’avait déjà dans sa mire et finalement, en juin 2003, il fut nommé directeur-gérant à la place d’André Savard.

Gainey mit donc son plan quinquennal en marche. Déjà André Savard avait signé Claude Julien à titre d’entraineur, avec un lucratif contrat à long terme. Trois ans plus tard, en janvier 2006, Julien tombait en disgrâce à Montréal et se voyait congédié, laissant sa place à Guy Carbonneau un très bon ami de Gainey.

LE TROISIÈME VISAGE

Force est d’admettre que la vie n’a pas gâté Gainey outre mesure. Non seulement a-t-il perdu son épouse alors qu’il n’avait que 42 ans, mais encore pire, en décembre 2006, sa fille Laura fut portée disparue alors qu’elle voguait sur le voilier-école Picton Castle dans l’Atlantique nord. Dans une tempête monstre, une vague énorme

l’a emportée par dessus bord et elle n‘a jamais été retrouvée.

A partir de là, Gainey est devenu encore plus renfermé sur lui-même. Même sa voix chancelante à l’occasion ne parvenait pas à satisfaire les scribes montréalais, et sur la glace son club n’allait pratiquement nulle part.

Soudainementt, ce fut la valse des millions par Gainey. Une prolongation de contrat à Saku Koivu, de l’ordre de 14,25 millions. L’échange de José Théodore, le départ de Mike Ribeiro, l’embauche de Georges Laraque, l’échange de Steve Bégin, un cadeau de 7,3 millions de dollars à Scott Gomez et quoi encore.

Ajoutez à cela sa surprotection du gardien Carey Price du renvoi de Guillaume Latendresse, le congédiement très médiatisé de l’homme fort Georges Laraque et son club qui gagnait occasionnellement grâce surtout aux performances électrisantes du gardien Jaroslav Halak, après qu’il eut demandé à être échangé et on comprend mieux pourquoi Bob Gainey a décidé de passer les guides à Pierre Gauthier.

Si comme joueur sa note était de 10 sur 10, comme directeur-gérant, il faut bien l’admettre, on ne peut lui donner plus de 5.

Tout comme vous, je crois que Bob Gainey n’était pas fait pour mener à bien les destinées du Canadien. Mais j’ose croire qu’il pourra continuer à vivre sans cette pression énorme qu’il vient de transférer sur les épaules de Pierre Gauthier.

Mais comme homme, je ne peux faire autrement que de souhaiter bonne chance à Gainey. Je pense que la vie l’a assez éprouvé comme ça.