Maître de son sort
Canadiens mercredi, 16 oct. 2013. 09:51 vendredi, 13 déc. 2024. 17:54Quelle coïncidence quand on y pense! David Desharnais et Daniel Brière, deux Québécois qui ont trimé dur pour atteindre l'échelon le plus élevée dans leur métier, deux joueurs qu'on jugeait souvent trop petits pour espérer s'y faire un chemin, traversent en même temps une période inquiétante au cours de laquelle leur entraîneur les a publiquement rappelés à l'ordre.
Ils sont en difficulté pour des raisons différentes, faut-il le préciser. À 36 ans, Brière sent l'âge le rattraper après une belle carrière dans la Ligue nationale. Desharnais, qui n'a que 27 ans, semble être tombé dans une zone de confort après avoir obtenu une sécurité pour laquelle il avait beaucoup travaillé. Du moins, c'est l'impression qu'il donne.
Brière ne s'est jamais laissé glisser dans la facilité après avoir empoché des dizaines de millions de dollars, dont plus d'une quarantaine de millions à Philadelphie seulement. Il a toujours eu la réputation de se présenter quand la cloche sonnait. C'est ce qui explique peut-être pourquoi plusieurs organisations étaient intéressées à l'embaucher malgré ses maigres six buts et 16 points de l'an dernier, à Philadelphie. Le Canadien a gagné la course, mais cela lui a coûté un bras : huit millions pour deux ans.
Quand il a débarqué à Montréal, je m'attendais à ce qu'il devienne un marqueur de 25 buts au sein d'un trio offensif et en vertu d'une présence assidue dans les attaques massives. Je le regarde jouer en ce moment et je me sens obligé de revoir cet objectif à la baisse. Une saison entre 15 et 20 buts serait plus réaliste.
Desharnais maintenant. La récente réprimande de Michel Therrien à son endroit, alliée à une rétrogradation de Daniel Brière qui l'a sans doute fait réfléchir, a sonné son réveil à Winnipeg où il a offert son meilleur effort de la saison. J'essaie de comprendre ce qui se passe dans son cas.
Partout où il est passé, il a su forcer la main de ses supérieurs. À Chicoutimi, il a disputé quatre saisons juniors, dont les deux dernières au cours desquelles il a amassé 118 et 108 points. Malgré tout, au cours des séances de repêchage de 2005 et 2006, les 30 formations de la Ligue nationale ont fermé les yeux sur lui. Les directeurs généraux, qui ont réclamé pas moins de 443 joueurs en deux ans, ont agi comme s'il n'avait jamais existé.
Le Canadien, qui avait peu de Québécois dans son organisation, a décidé de lui accorder une chance. C'était à lui de la saisir. Et Dieu sait qu'il l'a fait. À Cincinnati, dans la East Coast League, il s'est éclaté avec 106 points dans un statut de recrue, ce lui qui a valu de graduer dans la Ligue américaine, à Hamilton, où il s'est suffisamment tiré d'affaire pour attirer l'attention de la maison-mère de l'organisation. Grâce à son acharnement et à son jeu tout en finesse, il a aidé Max Pacioretty à faire sa place au sein de la filiale. Plus tard, quand Pacioretty s'est hissé jusqu'à Montréal, Desharnais a été rappelé pour rendre plus facile l'adaptation de cet attaquant de puissance à la Ligue nationale. Mission réussie là encore.
Des Saguenéens de Chicoutimi jusqu'au Canadien, son parcours a été marqué par une impressionnante détermination. Quand les portes étaient fermées devant lui, il bûchait dessus jusqu'à ce qu'elles s'ouvrent. Une fois solidement implanté dans la Ligue nationale, son beau rêve a pris une autre tournure. Grâce à une saison de 16 buts et 60 points il y a deux ans, il était devenu le centre le plus productif de l'équipe. Or, l'année suivante, il était toujours le plus bas salarié parmi les centres de la formation, derrière Tomas Plekanec, Scott Gomez et Lars Eller.
Il a commencé à s'inquiéter quand Marc Bergevin l'a laissé entreprendre la saison écourtée par le lock-out avec sa dernière année de contrat évalué à 950 000 $, ce qui était loin d'être satisfaisant compte tenu de sa contribution. Son jeu s'en est ressenti. Peut-être a-t-il cru que son conseiller de l'époque n'était pas suffisamment agressif dans ce dossier? Il l'a viré pour se tourner du côté de Pat Brisson, un agent qui entretient une excellente relation avec le patron du Canadien. Ce n'est finalement qu'en mars dernier qu'il a obtenu son dû : une entente de quatre ans lui garantissant 3.5 millions par saison.
Les opinions étaient unanimes à son sujet à ce moment-là. Autant d'argent n'allait pas le changer. Il avait trop de caractère et de fierté pour tomber dans la complaisance. Un athlète qui avait joué chaque match comme si sa propre vie en dépendait ne pouvait pas lever le pied du jour au lendemain.
Personnellement, j'ai applaudi la décision de Bergevin. Enfin, un Québécois qui n'était pas payé comme un porteur d'eau chez le Canadien. Desharnais n'avait rien volé. Même qu'il avait travaillé plus fort que tout le monde pour être enfin reconnu à sa juste valeur.
Je ne suis pas dans la tête de Bergevin, mais je suis pas mal sûr qu'il regrette de lui avoir accordé ce contrat. Pas parce que les performances de son petit joueur de centre ne méritaient pas une telle récompense, mais parce qu'il lui a accordé trop d'argent et trop d'années d'un seul coup.
Desharnais s'est toujours laissé guider par des objectifs personnels élevés. Même si le monde du hockey doutait qu'il puisse atteindre la Ligue nationale un jour, il n'a jamais cessé d'y croire. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas été rongé par l'inquiétude par moments puisqu'il avait une peur bleue qu'on ne lui accorde pas sa chance. Peut-être aurait-il été préférable que Bergevin s'assure que cette inquiétude ne le quitte jamais en ne lui accordant que des ententes à court terme.
Il a joué toute sa carrière avec un sentiment d'urgence. Soudainement, il n'y a plus d'urgence. Confortablement assis sur un magot, l'avenir a cessé d'être une source d'inquiétude. Il peut enfin respirer. Or, Desharnais joue mieux quand il respire mal.
À l'image de l'équipe
On aimerait croire que le ralentissement inquiétant de Desharnais n'est pas volontaire. Peut-être se cherche-t-il en ce moment? Peut-être.
On dit souvent que les meilleurs, qui veulent rester les meilleurs, prennent les moyens pour le rester. Au risque de se répéter, Desharnais a toujours su comment faire sa place dans le hockey, et ce, même quand peu de gens croyaient en lui. Il se retrouve une nouvelle fois dans une situation où il doit protéger sa place dans le hockey, sinon dans l'équipe. Il a toujours contrôlé sa propre destinée; il peut encore le faire. À son âge, il n'a sûrement pas perdu ses jambes.
On dira ce qu'on voudra au sujet de ce ralentissement étonnant, il est bien possible qu'il s'agisse d'une simple réaction humaine de sa part. Rappelez-vous que la majorité de ses coéquipiers ont réagi de la même façon le printemps dernier. Après avoir occupé les bas-fonds du classement la saison précédente, l'équipe s'est fendue en quatre pour assurer sa place en séries. Or, dès que l'objectif a été atteint, le Canadien a respiré d'aise et s'est offert une fin de saison misérable parce que c'était dans la poche.
Les joueurs du Canadien semblent avoir tiré une leçon de cet affaissement coûteux qui s'est poursuivi en séries puisqu'ils démontrent de meilleures intentions en ce début de saison. En espérant que Desharnais puisse maintenant en faire autant.
À 27 ans, il est beaucoup trop tôt pour s'asseoir sur ses avoirs. Ce que le duo Bergevin-Therrien attend de lui, c'est un style de jeu inspiré, comme celui de son dernier match. Desharnais est (encore une fois) maître de son sort.