Mike Hoffman : l'année de la dernière chance
Canadiens vendredi, 1 oct. 2021. 07:26 samedi, 14 déc. 2024. 14:26MONTRÉAL – Mike Hoffman avait déjà deux prises contre lui quand il s’est présenté à son premier camp d’entraînement avec les Voltigeurs de Drummondville. La liste de ses frasques était longue et ses dénigreurs nombreux, au point où ceux qui l’ont accueilli au Québec croient qu’il existe une version alternative de l’Histoire, une version vraiment pas si tirée par les cheveux, où les visées d’une carrière de hockeyeur professionnel du nouvel attaquant du Canadien s’arrêtent net à l’âge de 18 ans.
Revenons d’abord en arrière de quelques mois. À l’automne 2007, le directeur général des Voltigeurs, Dominic Ricard, envoie une note à ses homologues. Son club est en reconstruction et il est prêt à prendre une chance avec des jeunes qui ne sont plus dans les plans de leurs équipes respectives. Benoît Groulx, alors le grand patron des Olympiques de Gatineau, lui répond pour lui proposer le nom de Hoffman.
Le talentueux attaquant avait déjà été libéré par les Rangers de Kitchener, dans la Ligue junior de l’Ontario, et ça ne fonctionnait pas plus en Outaouais. « On voyait qu’il avait des skills, mais sans lui manquer de respect, on disait qu’il était un "pond hockey player". Il jouait comme s’il était sur une patinoire extérieure », se souvient Ricard. L’éthique de travail de l’adolescent était sérieusement remise en question tout comme sa capacité à s’insérer dans un projet collectif.
Ricard accepte quand même de céder, dans un échange déguisé en réclamation au ballottage, un choix conditionnel de quatrième ronde en prenant le pari que son personnel d’entraîneurs, avec Guy Boucher en tête, saura réhabiliter ce joueur au grand potentiel.
Une première difficulté est vite rencontrée. Hoffman, qui a 12 points en 19 matchs avec les Olympiques au moment de la transaction, ne veut rien savoir de déménager à Drummondville. « Une ville francophone au beau milieu du Québec... il était décidé à retourner chez lui et à s’en aller jouer Junior A en Ontario », témoigne Ricard.
En entrevue à RDS, Hoffman soutient qu’il n’a jamais réellement eu l’intention de prendre un tel pas de recul, mais il admet que l’idée de joindre une équipe de bas de classement dans un endroit où il ne parlait pas la langue ne l’enchantait pas.
« C’était l’une des pires équipes de la ligue et je savais que les Sea Dogs de Saint John, avec qui je me suis finalement retrouvé deux ans plus tard, étaient aussi intéressés. C’était ma préférence ».
En dernier recours, l’assistant de Ricard, André Ruel, propose de faire appel à Daniel Brière dans un rôle de médiateur. La vedette des Flyers de Philadelphie avait tout cassé pendant ses trois saisons à Drummondville au milieu des années 1990. Hoffman se souvient d’une conversation téléphonique entre lui et l’ancien Voltigeur. Dans les souvenirs de Ricard, ça avait été beaucoup plus compliqué.
« C’est plus qu’une fois qu’il lui a parlé, ça ne s’est pas réglé en cinq minutes. Les médias de Montréal, vous allez apprendre à le connaître. Mike, il est dur à percer. Ce n’est pas facile de lui soutirer des mots, des opinions. Ça a été un processus de longue haleine. Daniel lui a dit qu’on avait pris soin de lui à Drummond, que l’équipe allait prendre soin de lui et qu’il devrait se donner une dernière chance. Il a fini par décider de venir, mais ça ne s’est pas fait en claquant des doigts. »
« J’ai fini par réaliser que si je voulais rester dans la LHJMQ, Drummondville serait ma seule option et je l’ai prise, poursuit Hoffman. Ça s’est probablement avéré être la meilleure décision de toute ma carrière. J’ai fait énormément de progrès au sein de cette organisation. »
« Ça peut faire un peu prétentieux, mais je ne peux pas croire qu’il serait devenu un joueur de la Ligue nationale s’il avait tenu à s’en aller Junior A, devine Dominic Ricard. Les raisons pour lesquelles personne n’avait voulu de lui, il les aurait amenées avec lui. Il n’aurait pas changé ses comportements et il serait mort là. »
« Si j'écoutais Guy, il était parti »
Mais cette dernière chance, Hoffman passe près de la bousiller à plus d’une reprise. Il ne se passe pas un match sans qu’il n’écope d’une pénalité douteuse, qu’il ne soit victime d’un revirement évitable ou qu’il ne juge un repli défensif optionnel. « Tu te demandais s’il était intéressé », repense Ricard. Mais son talent crève quand même les yeux. Il récolte 36 points, dont 19 buts, en 43 matchs.
À la fin de la saison, les dirigeants des Voltigeurs jugent qu’ils ont vu assez de positif pour reconduire l’expérience l’année suivante. Ils lancent par contre un ultimatum à leur attaquant récalcitrant : si son comportement ne change pas pour le mieux, il ne passera pas les prochaines Fêtes à Drummondville.
Hoffman, donc, avait déjà étiré l’élastique de l’indulgence à sa limite quand il se présente au camp d’entraînement à la fin de l’été. Ça ne semble toutefois qu’amplifier sa propension à défier l’autorité. Dominic Ricard parle encore avec une pointe d’exaspération dans la voix quand il sort cet exemple de ses souvenirs : un bon matin, frustré d’avoir été éloigné de l’enclave par le défenseur Andrew Randazzo lors d’un exercice de routine, Hoffman réplique en lui servant un double-échec au visage.
Selon Ricard, Guy Boucher, qui a refusé notre demande d’entrevue, est si choqué par les actions de son récidiviste rebelle qu’il demande à ce qu’on l’en débarrasse sur le champ. Le DG réussit à lui faire entendre raison, lui rappelant qu’ils s’étaient engagés à travailler avec Hoffman jusqu’à Noël.
« Mais je te le dis, je pense que si j’avais donné raison à Guy, il était parti. Pete DeBoer avait abandonné dessus, Benoît Groulx avait abandonné dessus et nous autres... ça a passé proche », convient Ricard.
L’homme de hockey ne peut concevoir que Hoffman aurait eu le parcours qu’il a eu sans les développements qui ont suivi. Avec un historique chargé qui le suivait comme un boulet, on l’aurait sans doute considéré comme un fardeau qui ne valait pas le dérangement.
« Je ne crois pas que je pensais à [un futur dans la LNH] à l’époque, offre Hoffman comme perspective. Je croyais assurément en moi, je pensais que j’avais du potentiel. J’avais besoin d’une opportunité d’être coaché un peu, qu’on m’aide à évoluer. Mais je m’imaginais jouer un jour au hockey professionnel à quelque part, peu importe à quel niveau. »
Les premier signes de déblocage
En décembre, Boucher part rejoindre l’équipe nationale en préparation pour le Mondial junior. En son absence, André Ruel passe une douzaine de matchs sur le banc des Voltigeurs.
« C’est là que j’ai vraiment constaté l’ampleur de ce que Guy nous disait, que Mike lui prenait beaucoup de temps, qu’il devait lui parler régulièrement, que c’était un travail quotidien, affirme Ruel, qui est aujourd’hui agent de joueurs au sein du volet hockey de la firme CAA dirigé par Pat Brisson. Sur la glace comme à l’extérieur, c’était beaucoup de gestion au niveau de son attitude, son éthique de travail, ces choses-là. »
« Mike Hoffman, ce n’était pas un tout croche en dehors de la glace, précise Dominic Ricard. Pas pantoute. Avec lui, ce n’était pas une question de consommation, ce n’était pas une question qu’il sautait tous les couvre-feu. Ce n’était pas ce genre de gestion-là qu’il nous demandait. C’était une gestion de la constance dans son effort. »
Au retour de Boucher, Ruel lui propose de faire du dossier Hoffman une affaire personnelle. Avec l’aval du coach, il commence par instaurer un système de bulletin. Le principe est simple : identifier les forces et les faiblesses dans le jeu de l’élève et valoriser sa progression en établissant des standards de performance.
« C’était des notes sur cinq, explique Ruel. J’identifiais ses forces, pour lesquelles je lui demandais un résultat de 80% et plus, et je prenais une chose, une seule, sur laquelle il devait travailler. Pour celle-là, on partait de 40-50% et on essayait de le faire monter à 60-70%. »
L’idée n’est pas un succès instantané. « Je peux dire que pour le premier mois, Mike s’en foutait complètement. Il n’était pas plus discipliné qu’il ne l’était. On allait prendre un café au McDo ou au Tim Hortons pour s’en parler et il arrivait toujours en retard. Il écoutait plus ou moins. Mais je suis un gars de nature patiente, j’ai enseigné à des ados pendant 35 ans, alors je me disais qu’il était un joueur important dans notre équipe et que ça valait la peine d’investir. »
Les premiers signes de déblocage se manifestent après une visite de Pierre Dorion, alors recruteur pour les Sénateurs d’Ottawa, à un match des Voltigeurs. Bien connecté en Ontario et dans le coin de Gatineau, Dorion est au courant des lourds antécédents de Hoffman. Quand il prend des nouvelles de l’ailier radioactif auprès d’André Ruel, ce dernier lui parle des efforts qu’il a entrepris. Intrigué, Dorion lui demande de lui faire parvenir les notes inscrites dans les futurs bulletins.
« Quand j’ai parlé de ça à Mike, il a été tout surpris, relate Ruel. Il m’a dit : "Tu ne viendras pas me faire croire qu’une équipe de la Ligue nationale est intéressée à moi avec tout ce qu’il y a autour de moi, les rumeurs et tout ça?" Je lui ai répondu : "Écoute, si tu fais ce que je te demande, si tu t’appliques, si tu écoutes, on ne sait jamais ce qui peut arriver". C’est à partir de ce moment-là qu’il a commencé à vouloir changer. »
« C’est évident que quand tu apprends que des dépisteurs viennent à tes matchs pour te regarder, qu’ils sont intéressés à toi, ça attire ton attention et tu commences à prendre les choses un peu plus sérieusement, affirme Hoffman. Avant ça, tu ne fais que jouer. J’étais loin d’être un espoir bien classé à l’époque. Quand ces mots sont venus à mes oreilles, c’est là que j’ai commencé à mettre mon énergie dans ma progression et à écouter ce qu’on essayait de m’enseigner. »
Apprendre à le connaître
« À un moment donné, j’ai eu comme l’impression qu’il nous a testés pour voir si nous aussi, on ne le crisserait pas dehors comme les autres avaient fait », suggère Ricard, qui donne aussi beaucoup de crédit à Guy Lalonde et Frédérick Malette, deux adjoints de Boucher à l’époque, ainsi qu’à Benoît Lévesque, un vétéran qui a pris Hoffman sous son aile.
« Il a vu que non. Et là il a eu un déclic et ça a décollé. André ne le lâchait pas. Il a vu qu’on travaillait avec lui, qu’on l’acceptait avec ses défis, et il s’est mis à s’investir. Il est passé à un autre niveau en ce qui a trait à son professionnalisme, son éthique de travail, sa constance, sa gestion des émotions. Il s’est mis à jouer au hockey. Là, il est devenu un joueur de hockey. »
Cette année-là, les Voltigeurs ont atteint la demi-finale du tournoi de la Coupe Memorial. Après avoir terminé la saison régulière avec 94 points, Hoffman a marqué 21 buts en 19 matchs en séries éliminatoires. En juin, il a été repêché en cinquième ronde par les Sénateurs. Douze ans plus tard, ses 395 points en carrière le placent au huitième rang du palmarès des meilleurs compteurs des membres de sa cuvée.
Mais aux yeux de ceux qui ont provoqué son éclosion, le signe ultime du succès de sa métamorphose est survenu à sa dernière année au niveau junior quand il a remporté le trophée Frank-J.-Selke remis au joueur le plus gentilhomme de la LHJMQ. « On était partis de loin! », s’exclame fièrement André Ruel.
« On peut se taper dans le dos et dire qu’on l’a encadré, qu’on lui a donné du support, des conseils, de l’écoute, mais on l’a déjà fait avec d’autres et ça n’a rien donné, relativise Ricard. À la fin, c’est lui qui a décidé de se prendre en main. Il joue dans la Ligue nationale aujourd’hui. »
À 31 ans, Mike Hoffman est loin d’être exempt de tout reproche. Une réputation de joueur égoïste continue de le suivre alors qu’il s’apprête à représenter une quatrième équipe différente dans la LNH. Il n’est toujours pas le plus discipliné à l’intérieur d’un système de jeu et l’étiquette réductrice de spécialiste de l’avantage numérique lui colle à la peau.
Une controverse à l’extérieur de la patinoire a aussi miné un segment de son parcours. En 2018, Hoffman a été échangé par les Sénateurs au moment où des allégations pesaient sur sa conjointe, qui était soupçonnée de harcèlement à l’endroit de la femme de son coéquipier Erik Karlsson. Pierre Dorion, qui était désormais le directeur général de la formation, avait alors déclaré que l’objectif de la transaction était « d’améliorer la chimie, le leadership et le caractère à l’intérieur du vestiaire et sur la glace. »
Par le biais du département des communications des Sénateurs, Dorion n’a d’ailleurs pas donné suite à notre demande d’entrevue.
C’est donc un joueur avec un certain bagage qui fera ses débuts dans l’uniforme du Canadien quelque part en octobre – Hoffman soigne présentement une blessure au bas du corps qui pourrait nécessiter une convalescence de trois autres semaines. Dominic Ricard ne s’attend pas à ce que son passage en Bleu-Blanc-Rouge ne soit qu’une histoire de licornes et d’arcs-en-ciel. Mais il est bien placé pour savoir ce que le franc-tireur est capable d’apporter si on lui donne le bénéfice du doute.
« Mike Hoffman, il ne s’en fout pas. Il dégage des fois des choses, mais ce n’est pas ce qu’il est ni ce qu’il pense. Je ne le côtoie plus, mais je le regarde de loin et je vois des fois comment il peut réagir. Ce qu’il dégage et ce qu’il est, ce qu’il pense, des fois ce sont deux choses différentes. C’est juste qu’il a un langage corporel qu’il faut détecter. Il faut prendre le temps d’apprendre à le connaître. »