Quand on analyse les étonnants succès du Canadien dans un début de saison quasi identique à ceux des deux dernières années, toute l’attention est évidemment portée sur les joueurs. Normal, direz-vous, car ce sont les joueurs offensifs qui permettent à l’attaque de fonctionner, ce sont les défenseurs qui rendent la ligne bleue un brin hermétique et c’est Carey Price qui contribue à bien faire paraître tout le monde.

Le crédit que reçoivent les entraîneurs, notamment Michel Therrien, qui a le dernier mot sur toutes les décisions, est bien mince. Therrien en recevait peu cet été quand on supputait ses chances d’être limogé au cours des prochains mois. Chez certains, le doute existe encore malgré ce départ fulgurant.

C’est vrai qu’il possède plus que jamais les chevaux pour gagner à la suite des changements majeurs qui ont été apportés durant la saison morte, mais encore faut-il qu’il trouve les combinaisons les plus appropriées pour faire gagner le Canadien. J’étais de ceux qui ne lui prédisaient rien de très bon si jamais l’équipe connaissait un début de calendrier cahoteux. Il y a des entraîneurs en attente actuellement, notamment son ami et complice Bob Hartley. On n’a pas de mal à imaginer un nom comme le sien dans la manche de Marc Bergevin en cas de coup dur. Les entraîneurs parfaitement bilingues, qui ont gagné à la fois la coupe Stanley et le trophée Jack-Adams, ne courent pas les rues.

Néanmoins, je ne crois pas que tout ce qui se dit de négatif au sujet de Therrien l’empêche de dormir. C’est un bagarreur. Rien ne lui est venu facilement dans sa vie et dans sa carrière. Encaisser des mornifles ne l’a jamais mis K.-O.. Par exemple, je ne me souviens pas qu’on ait mentionné une seule fois son nom parmi les meilleurs entraîneurs de la Ligue nationale, et ce, même si certains collègues présentaient des parcours inférieurs au sien.

À Pittsburgh, son équipe a connu deux saisons de 47 victoires, bonnes pour des récoltes de 105 et de 102 points, en plus d’une présence en finale de la Coupe Stanley.

À son retour avec le Canadien, il s’est offert une seconde place dans l’Association Est durant un calendrier écourté par un conflit de travail. À sa deuxième année, une récolte de 100 points a représenté un bond de 22 points sur la dernière saison complète du Tricolore. À sa troisième campagne, l’équipe a bouclé le calendrier au deuxième rang du classement général avec 110 points.

Malgré tout, il n’a jamais reçu la moindre considération pour le trophée Jack-Adams. À Pittsburgh, il a été coiffé par Alain Vigneault et Bruce Boudreau. À Montréal, il a été préféré à Paul MacLean, Patrick Roy et Hartley. Durant la même période, Lindy Ruff, Guy Carbonneau, Joel Quenneville, Mike Babcock et Alain Vigneault ont été des finalistes pour ce trophée. Pas de mention pour lui, là encore.

La saison dernière, il a bénéficié d’un coup de chance en évitant le couperet quand l’absence de Carey Price a été jugée suffisamment dévastatrice pour que son directeur général lui accorde le bénéfice du doute.

Cette année, on invoquera peut-être la présence de deux super leaders en Carey Price et Shea Weber, de même que les additions d’Alexander Radulov et d’Andrew Shaw, pour éviter de reconnaître ses mérites si jamais le Canadien retourne dans les hautes sphères de la ligue.

Therrien connaît un début de saison qu’on ne peut ignorer. Les changements qu’il apporte produisent souvent des résultats heureux. Il semble en parfait contrôle de la situation. Ce n’est jamais très évident de diriger des athlètes talentueux qui exigent le temps de jeu qu’ils croient mériter. Je pense à Andreï Markov, notamment. Qu’il ne soit plus de la première unité en supériorité numérique et qu’on ne fasse plus appel à lui à la même fréquence à forces égales, sont sûrement des décisions qui lui déplaisent. Or, Markov a la réputation de bouder quand les affaires ne se déroulent pas à son goût. Dans une machine déjà bien huilée, le dernier facteur négatif dont le Canadien aurait besoin serait d’un Markov qui fonctionnerait à demi-régime. Pourtant, on n’a encore rien vu de cela.

Le boulot d’un entraîneur ne consiste pas uniquement à élaborer des stratégies ou à former des trios d’attaquants et des duos de défenseurs. Il doit également s’assurer de maintenir l’harmonie dans son groupe. Therrien, dont le naturel remonte parfois à la surface, n’y est pas toujours parvenu durant sa carrière, mais avec le temps et l’expérience, il semble démontrer plus de souplesse. Toutefois, comme il est plus facile de garder des athlètes heureux quand l’équipe gagne, on verra ce qui se passera quand l’adversité frappera le Canadien pour la première fois.

La coupe en tête

Therrien a souvent prédit qu’il gagnera la coupe Stanley éventuellement. Il n’a pas dit qu’il en avait l’intention. Il a déclaré fermement qu’il allait la gagner. Inutile de préciser que s’il réussit l’exploit, il faudra que cela survienne à Montréal car s’il lui arrive quelque chose de fâcheux, il ne sera sûrement pas récupéré par une organisation qui possède déjà tous les éléments pour la gagner.

Il l’a mentionné pour la première fois quand il n’était même pas sûr de travailler au niveau de la Ligue nationale. C’était avec la filiale du Canadien, les Citadelles de Québec, dans la Ligue américaine. ll l’a dit sans trop se soucier des étapes qu’il aurait à brûler pour en arriver là. Quand il a fait ses débuts derrière le banc du Titan, à Laval, il a promis de remporter la coupe Memorial. On lui a vite suggéré d’oublier cela car la suprématie du hockey junior canadien était l’apanage des circuits ontariens et de l’Ouest canadien. Pourtant, il a réussi.

Quand le Canadien lui a accordé sa première chance en lui permettant de remplacer Alain Vigneault en novembre 2000, il en a reparlé même s’il venait d’hériter d’une formation de 30e place. On a cru simplement à du verbiage de sa part.

En fait, il n’a jamais perdu son appétit pour la coupe depuis qu’il a fait l’école buissonnière, en secondaire 1, pour assister à l’un des défilés du Canadien au milieu des années 1970. Cette célébration, qui l’a profondément marqué, l’a inspiré. Avec cet objectif bien ancré dans sa tête, chaque match, chaque saison et chaque série éliminatoire s’avère presque une question de vie ou de mort pour lui. À sa 12e saison, le temps commence à presser.

Il est venu bien près de caresser son ultime ambition quand il a perdu la finale de la Coupe Stanley en six matchs contre les puissants Red Wings de Detroit en 2008. C’est plutôt rare qu’une telle occasion se représente, surtout avec une organisation différente, mais il n’a jamais cessé d’y rêver.

Si Jacques Demers est parti d’un camion de Coca-Cola pour la gagner au Forum, il se dit sans doute qu’il n’y a pas de mal à descendre des poteaux de téléphone chez Bell pour en faire autant.

Néanmoins, ily a loin de la coupe aux lièvres, comme l’a déjà dit un autre ex-entraîneur du Canadien.