MONTRÉAL - Ça prend des mains agiles et un talent fou pour transformer un bâton de hockey en crosse afin de transporter la rondelle à quatre pieds au-dessus de la patinoire pour aller la déposer dans la lucarne.

 

Ça prend aussi une bonne dose d’arrogance pour marquer ce genre de but. Ou simplement pour tenter de marquer ce type de but.

 

Ça tombe bien! Trevor Zegras a les deux.

 

Les Dieux du hockey ont fait cadeau à Zegras d’un œil vif, de mains aussi agiles que précises et d’un instinct de marqueur qui lui ont permis de voler la vedette à quelques reprises déjà depuis son entrée dans la LNH il y a deux ans seulement.

 

En ce qui a trait à l’arrogance, le petit gars semble en avoir en abondance. À en avoir assez pour la partager avec tous ses coéquipiers des Ducks d’Anaheim.

 

Zegras a combiné ce talent fou et cette dose d’arrogance pour marquer LE but dont tout le monde parle ce matin. Le but dont tout le monde parlera encore demain en raison de son côté spectaculaire. Le quatrième but  «Michigan » marqué dans la LNH après les deux d’Andreï Svechnikov, des Hurricanes, et celui de Filip Forsberg des Predators.

 

Pas besoin de commenter le talent, les mains et la vision nécessaire pour marquer ce but : les images parlent d’elles-mêmes.

 

Pour l’arrogance, Zegras l'a mise en évidence en commentant LE but. Son 11e de la saison. Son 14e en carrière. Un but qui redonnait une avance de trois buts (4-1) aux Ducks dix secondes seulement après que Jake Evans eut inscrit le Canadien au pointage 75 secondes après le début de la période médiane.

 

« Ils venaient de marquer et début de période et je voulais m’assurer de faire taire la foule », que Zegras a lancé dans ses commentaires d’après-match. Un match bien sûr disputé à huis clos en raison des contraintes sanitaires imposées par le Gouvernement.

 

Après l’affreuse première période disputée par le Canadien, Zegras n’aurait certainement pas eu à rasseoir les partisans du Canadien jeudi. Que non! Il est d’ailleurs fort possible que les fans du Tricolore l’auraient ovationné tant leurs favoris ne les ont pas gâtés jusqu’ici cette année. Sans oublier que les fans auraient certainement hué copieusement les joueurs du Tricolore en fin de premier tiers alors qu’ils retraitaient au vestiaire avec un recul de 0-3.

 

Qui sait, Zegras pourrait même avoir fait cadeau de ce but spectaculaire pour s’excuser à l’endroit des partisans du Canadien en marge de sa prédiction ô combien erronée lancée en début de saison alors qu’il promettait 40 buts à son copain et complice avec l’équipe américaine Cole Caufield. Sélectionné neuf rangs plus tard que Zegras en 2019, Caufield n’affiche qu’un petit but en 29 rencontres jusqu’ici cette saison.

 

Des années de pratique

 

À quel moment Zegras a songé à y aller avec le grand jeu?

 

« Dès que j’ai touché la rondelle! Il n’y avait pas d’option de passe dans l’enclave. Il n’y avait personne derrière le but, je me suis donc dit qu’il valait la peine de tenter ce but. Et comme je pratique ce jeu depuis que le suis tout petit et que je le pratique régulièrement lors des entraînements, ça valait la peine d’y aller. »

 

Surtout qu’aux yeux du jeune Américain qui aura bientôt 21 ans, un jeune surdoué que les Ducks ont réclamé en première ronde (9e sélection) en 2019, ce jeu est relativement facile à réussir.

 

« Une fois que la rondelle est sur la lame de ton bâton, le pourcentage de réussite est très grand. En fait, les chances de marquer sont même meilleures qu’avec un wrap-around normal. Car quand tu fais le tour du but, le gardien glisse sur la patinoire et couvre tout le bas du filet. Si tu es en retard, tu n’as pas d’ouverture. Avec la rondelle à quatre pieds de la patinoire, tu peux plus facilement profiter de l’ouverture dans le haut du filet. Une ouverture bien plus difficile à couvrir par les gardiens quand ils glissent vers le poteau opposé », que Zegras a expliqué le plus sérieusement du monde.

 

En plus d’être capable de faire un brin de magie avec un bâton de hockey entre les mains, Zegras profitait aussi d’une expérience très pertinente lorsqu’il a tenté ce but.

 

« Quand j’étais petit, je jouais autant à la crosse qu’au hockey. J’ai pratiqué les deux sports jusqu’à ce qu’il soit impossible de le faire parce que le hockey prenait toute la place », que Zegras a expliqué.

 

Il n’est pas donné à tous d’avoir les mains et l’arrogance nécessaires pour marquer un but « Michigan ».

 

En passant : est-ce que je suis le seul à trouver que ce qualificatif est bien pâle en comparaison à la beauté de ce genre de but? Je veux bien croire qu’il a été réussi la première fois par un joueur de l’Université Michigan, mais le qualificatif Michigan va mieux à un hot-dog ou une poutine qu’à un but, il me semble.

 

Mais bon!

 

Peu importe le nom qu’on lui donne, Adam Henrique ne serait pas du genre à tenter un but comme celui que son jeune coéquipier a marqué sous ses yeux jeudi.

 

« Je n’ai pas le talent pour tenter ce genre de but », que le vétéran de retour au jeu après une absence de 20 parties a candidement convenu.

 

Henrique a aussi ajouté qu’aussi beau soit ce but, il y a des occasions où ça vaut la peine de le tenter et d’autres ou ce serait peut-être moins opportun.

 

« Ce but est venu à un très bon moment puisqu’il nous permet de répliquer immédiatement après leur premier but. Trevor a le talent pour tenter ce genre de jeu. Il a la confiance pour tenter ce genre de jeu. Il sentait que c’était à sa portée et il l’a fait. Il y a certainement des occasions pour le faire. Le fait qu’il ait marqué nous permet de dire que le timing était bon, mais ce n’est pas toujours le cas », que Henrique a ajouté en s’assurant de demeurer bien loin de la controverse.

 

Entre admiration et frustration

 

Encaisser ce genre de but n’est jamais plaisant. Les commentaires des joueurs du Canadien en témoignaient après le match.

 

Du groupe, Samuel Montembeault qui a été victime de Zegras alors qu’il venait tout juste d’amorcer la deuxième période en relève à Cayden Primeau qui a une fois encore – la quatrième en sept sorties avec le Canadien cette saison – a été le plus juste dans ses commentaires. « Je vais me voir en boucle dans les faits saillants pour les mauvaises raisons. Mais ça reste un jeu spectaculaire », que le gardien québécois a commenté.

 

« Dans les années 70 ou 80, Zegras n'aurait plus de dents! »

Mais ce genre de but peut raviver le désir de vaincre de l’équipe qui en est victime.

 

Le match de jeudi et LE but de Zegras en témoignent d’ailleurs avec éloquence.

 

Après la victoire et pour les prochains jours, les prochaines semaines et les prochains mois, on parlait et on parlera bien plus du premier but match de Zegras, du but Michigan, que de son deuxième de la rencontre, son 12e de la saison, son 15e en carrière ; du but qui s’est transformé en but gagnant. Car oui : après avoir pris les devants 4-1 avec le but Michigan et 5-3 après que Zegras eut déjoué Montembeault d’un tir de l’enclave dans un match qui semblait très facile, peut-être même trop, les Ducks l’ont finalement emporté 5-4.

 

« Le plus important ce soir est que nous avons été en mesure de protéger notre avance en fin de match et de résister à la poussée du Canadien qui est revenu en force en sortant son gardien », a commenté l’entraîneur adjoint Mike Stothers qui remplaçait Dallas Eakins à titre d’entraîneur-chef jeudi.

 

Et LE but coach: vous l’avez aimé? Vous trouvez que cela a sa place?

 

« C’est une question très délicate », que Stothers a d’abord répondu en s’offrant un moment de réflexion.

 

« Comme amateur de hockey, comme spectateur, j’adore tout ce qui est associé à ce but. Comme entraîneur, c’est plus mitigé. D’ailleurs, si vous avez regardé le banc après le but de Trevor, nous nous sommes assurés de n’avoir aucune réaction démesurée. En fait, nous n’avons affiché aucune réaction. Trevor a un talent exceptionnel. Il n’a pas peur de prendre des chances. Bien que nous n’ayons pas la moindre intention de museler ce genre de talent, il est important pour nous – l’équipe d’entraîneurs – de travailler avec lui pour qu’on puisse profiter de son talent dans toutes les situations. Il y a plus que le côté spectaculaire au hockey. J’aimerais voir Travis se servir d’un gars comme Adam Henrique comme exemple à suivre. De regarder tout ce qu’il accomplit sur la patinoire. De jouer au hockey comme il est important de le faire tout en misant sur son grand talent », que le coach a ajouté.

 

Il sera intéressant de voir comme les Ducks arriveront à maximiser le talent et l’arrogance qui habitent Zegras tout en lui enseignant à être responsable sur la patinoire.

 

Au secours de Primeau

 

L’attention accordée au premier but de Trevor Zegras permet au Canadien d’essuyer plus discrètement sa 27e défaite en temps réglementaire cette saison, son 34e revers en 42 matchs, son 12e revers en 17 parties disputées au Centre Bell.

 

Ce but a permis d’enlever de l’attention sur le jeune gardien Cayden Primeau qui a accordé trois buts sur neuf tirs au premier tiers avant d’être gardé au banc en début de deuxième.

 

Le Canadien a mal joué en première. C’est aussi pendant une pénalité mineure de quatre minutes – Laurent Daupin a atteint Ryan Getzlaf au visage et le capitaine des Ducks n’est pas revenu au jeu ensuite – qu’Anaheim a pris les devants 2-0 et 3-0. Mais quand même : Primeau semblait non seulement perdu devant son but, mais il donnait l’impression de ne pas vouloir être devant la cage du Tricolore.

 

Il serait d’ailleurs temps de le sortir du merdier dans lequel il est en train de s’enliser. De sauver ce qui reste à sauver de sa confiance et de le retourner là où il doit apprendre à devenir un gardien – auxiliaire ou numéro un – de la LNH. C’est à dire avec le Rocket de Laval, dans la Ligue américaine.

 

Les lacunes défensives du Canadien en première, la générosité de Primeau et les deux buts de Trevor Zegras ont contribué au fait que le Canadien a maintenant accordé cinq buts ou plus dans un 16e match cette saison.

 

C’est atroce!

 

Le but en avantage numérique d’Artturi Lehkonen – le Canadien a marqué un but en attaque massive dans six de sept derniers matchs, il a marqué six fois en 19 tentatives (31,6 %) – le but marqué par Laurent Dauphin sur un tir de pénalité en troisième période – premier tir de pénalité obtenu par le Tricolore qui n’en a pas encore accordé cette année – la domination au chapitre des tirs au but (40-24) et aux cercles des mises en jeu (33-25 – 57 %) tendent à alléger le poids de cette autre défaite.

 

Comme le spectacle offert par Trevor Zegras.

 

On se console comme on peut.

 

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