Quand Dustin Tokarski a été échangé au Canadien, il a encaissé difficilement la nouvelle. C'est le Lightning de Tampa Bay qui l'avait repêché et c'est avec cette équipe qu'il entendait faire sa place dans la Ligue nationale.

À la suite de cette transaction mineure, qui a finalement eu un impact important sur l'organigramme du Canadien, il est passé d'une équipe de la Ligue américaine, le Crunch de Syracuse, à une formation pas très bonne, les Bulldogs de Hamilton. Il a été acquis par une organisation dont l'avenir reposait sur Carey Price. On comprenait assez facilement son désarroi.

Cependant, Tokarski est vite retombé sur ses patins. Il a analysé ses options et n'a pas caché qu'il avait l'intention de se battre, dès le camp d'entraînement suivant, pour le rôle d'adjoint à Price et ce, même si Peter Budaj semblait bien en selle à Montréal.

Il a tenu parole. À son premier camp avec le Canadien, il a convaincu ses nouveaux patrons qu'il avait suffisamment d'étoffe pour être un gardien numéro 2. Budaj, qui a été échangé aux Jets de Winnipeg en retour d'un attaquant des ligues mineures, Eric Tangradi, végète dans les mineures depuis. En 13 parties à St.John's, filiale des Jets dans la Ligue américaine, il n'a toujours pas remporté la victoire (0-7-4).

Faut dire que Tokarski était précédé d'une belle feuille de route. En plus de la coupe Calder, emblème du championnat de la Ligue américaine, qu'il avait remportée avec la filiale de Tampa, à Norfolk, son bilan indiquait une coupe Memorial à Spokane en 2008, assortie du titre du joueur par excellence de ce tournoi, et un championnat mondial junior l'année suivante. S'il avait gagné à divers niveaux, Marc Bergevin s'est probablement dit qu'il pouvait s'avérer un adjoint fiable à Price. Sans compter qu'en le préférant à Budaj, le Canadien se rajeunissait de sept ans à cette position.

Mais comment Tokarski en est-il venu à se retrouver dans l'organisation du Canadien? Tampa voulait-il faire de la place pour un gardien d'avenir qui se pointait à l'horizon? Le Canadien avait-il lancé la serviette avec Cédrick Desjardins? Qui a initié les pourparlers de cet échange plutôt inattendu?

« C'est moi, affirme l'adjoint de Steve Yzerman, Julien BriseBois, qui est aussi le directeur général du club-école de l'organisation. J'ai téléphoné à Larry Carrière en lui disant que je voulais lui proposer un marché qui faisait du sens pour les deux équipes. »

Après avoir fait de l'excellent gardien russe, Andrei Vasilevski, son choix de première ronde en 2012, le Lightning comptait aussi sur Ben Bishop et Anders Lindback. Tokarski l'ignorait peut-être, mais il n'y avait plus beaucoup d'espoir pour lui à Tampa. En Desjardins, on s'intéressait à un gardien qu'on connaissait bien pour l'avoir déjà obtenu une première fois du Canadien.

Un gardien bon marché

En Tokarski, BriseBois offrait au Canadien un gardien peu coûteux, âgé de 23 ans seulement et capable d'être rappelé occasionnellement à Montréal. De son côté, il obtiendrait un gardien, plus âgé de quatre ans, qui pouvait aider les jeunes gardiens de l'organisation à bien se développer. On n'avait pas de plan pour lui avec le Lightning. On désirait une police d'assurance et un grand frère pour Vasilevski.

« Le Canadien avait peu à perdre dans l'échange, soutient BriseBois. Desjardins commandait un salaire supérieur à celui de Tokarski qui, lui, pouvait se positionner comme le gardien numéro trois du Canadien pendant une couple de saisons. Par ailleurs, comme Desjardins ne connaissait pas beaucoup de succès à Hamilton, je me doutais qu'il pouvait être disponible. Nous les avons changés d'endroits et ils ont tous les deux été relancés. »

Néanmoins, la transaction n'a pas été faite sans que Marc Bergevin fasse ses devoirs. Parfois, les échanges les plus secondaires peuvent cacher des pièges. Il a donné un coup de fil à l'entraîneur des Hurricanes de la Caroline, Bill Peters, qui avait été le coach de Tokarski quand ils avaient gagné ensemble la coupe Memorial avec les Chiefs de Spokane. Il désirait surtout savoir s'il avait du caractère.

 «Peters m'a dit que c'était ma décision, mais que s'il était dans ma peau, il prendrait une chance avec lui, souligne le d.g. du Canadien. Tokarski-Desjardins, il n'y avait pas de risque, surtout que Dustin avait gagné partout où il était passé. Aujourd'hui, nous sommes bien heureux de cette transaction. »

Cet échange lui a permis plus tard de libérer Budaj et d'obtenir en retour un gros ailier de quatrième trio, Eric Tangradi. On parle ici d'un attaquant de 25 ans qui fait dans les six pieds et quatre pouces et les 220 livres. Il n'a toutefois marqué que deux buts en 18 matchs à Hamilton jusqu'ici.

Le bonheur de Tokarski, le malheur de Budaj

Voilà l'histoire d'une transaction plutôt anodine au départ qui a aujourd'hui de belles ramifications. Le Canadien s'est trouvé un gardien numéro deux combatif et honnête qui s'entend à merveille avec Price. En 10 apparitions jusqu'ici, Tokarski a effectué du bon boulot, comme l'indique sa fiche de 5-3-1 et son pourcentage d'efficacité de ,917. Tout cela à un salaire de 550 000 $ qui sera haussé de 25 000$ l'an prochain. Pas étonnant que Bergevin soit satisfait de cet échange qui s'est transformé en aubaine.

Cédrick Desjardins est passé depuis dans le camp des Rangers avec lesquels il a paraphé un très lucratif contrat de la Ligue américaine, à Hartford, une entente de deux ans à 300 000 $ par saison.

Le grand perdant est Budaj qui s'est vu forcé de quitter une équipe gagnante dans la Ligue nationale pour aboutir dans une mauvaise concession de la Ligue américaine, à St.John's, où sa carrière est en train de s'éteindre.

Difficile pour un athlète honnête et travaillant d'écoper d'un sort plus cruel.