Maurice Richard est plus qu’une légende du hockey. Plus qu’un immortel du Canadien de Montréal.

Sa place dans la petite et grande histoire du Québec dépasse largement les 200 pieds par 85 des patinoires qu’il a prises d’assaut au cours de son illustre carrière. Elle dépasse largement les 24 pieds carrés des buts qu’il a remplis de rondelles.

Plus qu’un grand joueur de hockey, Maurice Richard s’est surtout hissé au rang de symbole du succès du « petit » Canadien-français aux dépens du « grand boss » anglophone qui dictait les ordres et récoltait les profits. Un symbole qui le rendait mal à l’aise un brin ou deux. Mais un symbole important néanmoins.

Quand les partisans du Canadien, au Forum, dans les rues de Montréal et partout au Québec se sont révoltés pour dénoncer la suspension imposée à l’endroit de leur héros en mars 1955, une suspension qui privait le Canadien de son meilleur joueur en fin de saison et à l’aube des séries, ce n’est pas seulement l’injustice sportive qu’ils dénonçaient, mais l’affront fait à un peuple. Ce soulèvement populaire, cette révolte qui a donné lieu à des émeutes que Maurice Richard lui-même a dû apaiser en s’adressant à son « peuple » occupent encore aujourd’hui une place dans la Révolution tranquille qui a permis de sortir de la grande noirceur du Québec d’hier et de donner les premiers coups de patin dans le Québec d’aujourd’hui.

Au-delà le gigantisme de Maurice Richard, autant l’homme qui se cachet derrière le Rocket, que le Rocket lui-même, j’ai sourcillé quand le printemps dernier à l’Antichambre Mario Tremblay a annoncé fièrement que le pont qui remplacerait le pont Champlain s’appellerait le pont Maurice-Richard.

Je n’aimais pas l’idée à ce moment.

Je ne l’aime pas plus maintenant que le gouvernement Harper, selon le collègue Denis Lessard de La Presse, confirmera le 9 décembre prochain sa décision de donner au nouveau pont qui enjambera le St-Laurent le nom de Maurice Richard.

Pourquoi remplacer Champlain?

Comprenez-moi bien : Maurice Richard mérite qu’on assure la survie de son nom et qu’on immortalise son importance dans l’histoire en l’accolant à un projet important. Le futur pont à être nommé plus tard est certainement un projet important. J’en conviens.

Mais pourquoi remplacer Champlain? Pourquoi le mettre en veilleuse malgré son importance capitale dans la création de notre province? Pourquoi aussi gaspiller des millions de dollars en procédant à un changement de nom qui n’est pas nécessaire et qui obligera de reprendre des tas d’ouvrages pour les actualiser?

Difficile de comprendre que le gouvernement Harper, un gouvernement qui coupe les services publics à la tronçonneuse pour le bien de la survie économique du pays, puisse endosser les coûts associés à un tel changement qui, je le répète, est loin, très loin, d’être nécessaire.

À la veille d’une élection qui sera encore très difficile pour les Conservateurs au Québec, donner le nom de Maurice Richard au futur ancien pont Champlain représente un coup de marketing important. Cette décision populaire, voire populiste, pourrait peut-être gagner quelques votes aux Conservateurs et qui sait, faire aussi mieux passer, le retour des péages aux deux bouts de la structure.

Mais si le motif premier de ce baptême est de permettre aux « boss » anglophones d’Ottawa d’utiliser le nom de Maurice Richard pour amadouer les « petits » Québécois, j’imagine que le Rocket lui-même se retournera illico dans sa tombe et que ses héritiers – comme l’a d’ailleurs reconnu son fils Maurice dans La Presse samedi – seront malheureux de voir que le nom de leur père alimentera la controverse.

Le Forum Maurice-Richard

Dans un monde idéal, le Canadien de Montréal jouerait dans l’aréna Maurice-Richard. Pas le vétuste aréna à l’ombre de la tour du Stade olympique. Un vrai de vrai aréna Maurice Richard. Beau, grand, moderne. Même qu’on devrait l’appeler le Forum Maurice Richard. Car un tel nom perpétuerait deux grands pans de l’histoire de l’équipe, de Montréal, du Québec.

Mais on ne vit pas dans un monde idéal. Dans la réalité d’aujourd’hui le domicile du Canadien représente une vitrine publicitaire qui s’achète à fort prix. À très fort prix.

Bell donne chaque année de gros sous au Canadien pour apposer quatre grosses lettres bleues sur les murs du domicile de son équipe. De gros sous que le nom de Maurice Richard, malgré son prestige et sa place dans l’histoire, n’est pas en mesure d’offrir au Tricolore qui, en plus d’être une équipe de hockey, est aussi – certains diront surtout – une grande entreprise.

C’est ça le plus gros problème. Le hockey étant devenu une grosse business il est difficile, voire impossible, de placer le nom de Maurice Richard là où il devrait être. Sur les murs du domicile du Canadien.

Quelles sont les autres options?

Elles sont rares. C’est un fait. Car en rebaptisant un pont, un aéroport, un édifice, on entraîne encore des coûts importants, voire colossaux, pour actualiser les nouvelles coordonnées de ce pont, de cet aéroport, de cet édifice.

Une chose est certaine. Au lieu d’accoler le nom de Pierre-Elliott Trudeau à un aéroport qui aurait fermé ses pistes à Dorval si l’aventure de Mirabel, orchestrée par Trudeau lui-même, avait vraiment pris son envol au lieu de battre de l’aile, on aurait pu donner à Maurice Richard le nom de l’une de plus importante porte d’entrée à Montréal.

Si le train était plus populaire, on pourrait nommer la gare en l’honneur du Rocket qui en a passé des heures dans les wagons entre Montréal, New York, Boston, Toronto, Detroit et Chicago.

Un hôpital? Une grande réserve faunique, car le Rocket était un amant de la nature? Vos suggestions sont aussi bonnes que les miennes. Peut-être même meilleures.

Mais au-delà l’importance d’assurer la place qui lui revient dans l’histoire à Maurice Richard, il me semble que ce serait une erreur bête de placer le nom de Champlain dans l’ombre, afin de mettre celui du Rocket en lumière.