MONTRÉAL – Bien des joueurs de hockey, même plusieurs patineurs de la LNH, rêveraient de s’infiltrer dans la tête de Nick Suzuki pour décoder le secret de son sens du jeu. Cet attribut lui a permis de constituer l’une des rares belles histoires dans la saison du Canadien sur laquelle le bouton pause est enfoncé.

Pourtant, peu d’observateurs lui avaient prévu une courbe de progression autant expéditive à l’aube de son troisième camp d’entraînement LNH – son deuxième avec le Canadien – en vue de la saison 2019-2020.

L’auteur de ces lignes avait d’ailleurs eu le privilège d’assister au premier match de la finale de la Ligue de l’Ontario au printemps dernier. Suzuki était au cœur d’un parcours éliminatoire absolument fascinant (42 points en 24 matchs) durant lequel il a été l’architecte du championnat du Storm de Guelph.

Loin d’avoir été mauvais contre les 67’s d’Ottawa, Suzuki n’avait pourtant pas laissé l’impression qu’il s’imposerait de cette manière avec le Canadien seulement quelques mois plus tard. On suppose même que Bergevin et Joël Bouchard, qui assistaient aussi à cette partie, avaient quitté les lieux avec une impression semblable.

Le natif de London est cependant débarqué dans la région montréalaise en pleine possession de ses moyens. On ne voit pas régulièrement des jeunes de son âge, il avait 19 ans à l’époque, se présenter avec un tel état d’esprit.

« Tout part de la confiance démontrée par Marc et Claude (Julien) de me garder avec l’équipe. Je ne crois pas que plusieurs personnes s’attendaient à ce que je me taille un poste avec le club dès le départ. C’est évident que le parcours éliminatoire m’a ajouté une grande dose de confiance. Ça faisait que je tenais à m’établir dans la LNH sans plus tarder », a raconté Suzuki, vendredi, dans un généreux entretien avec le RDS.ca.

Son évolution a été si convaincante depuis ses derniers matchs juniors qu’on l’imagine presque, cet été, devant son ordinateur ou son téléviseur, en train de décortiquer des séquences de la LNH.

« Je ne dirais pas nécessairement durant le dernier été, mais c’est plutôt que j’ai tellement regardé le jeu de la LNH durant ma vie. Avec mes expériences des dernières années, j’étais aussi moins nerveux en arrivant avec le Canadien cette fois », a noté Suzuki qui a cette capacité impressionnante de déceler les petits détails à exécuter d’un niveau à l’autre.

Personne n’est mieux placé que son grand ami Isaac Ratcliffe pour évaluer sa progression. Ils ont été coéquipiers à partir de l’âge de sept ans jusqu’au moment d’accéder à l’OHL. Ils ont eu le bonheur d’être réunis de nouveau durant la dernière saison et l’union a été payante.

« Il a sans aucun doute beaucoup progressé en quelques mois. Il comprend ce qui est nécessaire pour que ça fonctionne dans la LNH, il a été en mesure de le saisir en analysant le tout. Il a eu un certain succès pour cette raison. Même si je remonte de 10 ans, chaque année, peu importe le niveau dans lequel il évolue, il parvient à suivre la cadence et être l’un des meilleurs joueurs sur la patinoire; c’est fascinant », a exprimé Ratcliffe au téléphone.

« Je trouve aussi que je me suis beaucoup amélioré dernièrement. Mais ce n’est pas sorcier, ça vient du fait que j’ai la chance de me mesurer aux joueurs du Canadien tous les jours. Que ce soit tenter de marquer contre Carey (Price) ou affronter des défenseurs comme Shea (Weber), Pety (Jeff Petry) et Benny (Ben Chiarot). C’est majeur de pouvoir me confronter à eux », a mentionné Suzuki humblement.

Parmi les meilleures ressources du club

L’humilité se juxtapose à ses propos parce que Suzuki n’a pas seulement gagné son poste avec le CH, il est devenu une ressource de premier plan pour Julien. Disons qu’il y a toute une marge entre les deux réalités.

Si vous en doutez encore, nos amis de SportLogiq ont recensé des statistiques indiscutables quant à son apport offensif sur ce tableau. Suzuki évoque les blessures pour expliquer son ascension dans l’organigramme du club, mais Julien n’aurait pas continué de miser de plus en plus sur lui s’il n’avait pas été convaincant. Habitué d’être l’homme de confiance dans les grandes missions, Suzuki n’a pas été intimidé par de tels défis.

« Je suis confiant de pouvoir accomplir le travail avec mes partenaires. Ça prend cette attitude pour réussir contre les meilleurs joueurs au monde. Je le vois vraiment comme un élément important », a admis le patineur représenté par l’agent Dave Gagner.

SportlogIQ

À travers sa première saison dans la Ligue américaine, Ratcliffe a trouvé le moyen de regarder plusieurs parties de son camarade.

« J’ai pu constater comment ils l’ont utilisé dans différentes situations comme le jeu de puissance ou quand le Canadien devait marquer un but. Il a représenté un atout important en attaque. Il a été ce joueur durant tout son parcours, mais ça reste fabuleux de le voir le faire si jeune dans la LNH », a argué le joueur des Phantoms de Lehigh Valley.

Ce n’est pas pour rien que le nom de Suzuki a circulé dans la course au trophée Calder, un titre réservé à la recrue par excellence.

« Ce n’était clairement pas parmi mes objectifs pour l’année. Je voulais simplement faire de mon mieux. On voit que la LNH regroupe plusieurs bonnes recrues », a répondu à ce sujet Suzuki qui a récolté 13 buts et 28 aides en 71 matchs.

Nick SuzukiSes outils offensifs sautent aux yeux à un point que sa production en attaque ne devait pas inquiéter l’état-major du Tricolore à moyen terme. De toute évidence, il n’a pas sacrifié son implication défensive. En demeurant fidèle à son habitude de contribuer d’un bout à l’autre de la glace (jouer sur 200 pieds comme l’expression le veut), Julien lui a accordé une multitude de mandats dans ce sens.

« J’ai tenté de pratiquer cette approche toute ma vie, j’ai toujours voulu être le joueur sur lequel les entraîneurs se fient autant pour marquer que pour protéger une avance », a justifié le droitier, une qualité précieuse pour les mises au jeu afin de compléter Phillip Danault, un gaucher.

« J’ai bûché fort au niveau de la préparation pour chaque partie et j’ai essayé d’apprendre des trucs de tous les joueurs. Mon plan était d’être le meilleur professionnel que possible même s’il s’agissait de ma saison recrue. Je devais investir les démarches nécessaires pour devenir un joueur de la LNH », a-t-il poursuivi.

Relation instructive avec Claude Julien

Inutile de devoir lire entre les lignes pour comprendre que Jesperi Kotkaniemi n’a pas été emballé de sa relation de travail avec Claude Julien. Le Finlandais aurait espéré une meilleure communication pour parfaire ses apprentissages.

Même s’il est jeune lui aussi, Suzuki utilise un discours plus positive pour décrire son lien avec l’entraîneur.

« Je trouve qu’on a une très belle relation. Chaque fois qu’il en avait la chance, il essayait de m’enseigner des choses à assimiler. Il me montrait des vidéos sur des choses à travailler. Il a une bonne compréhension du style de joueur que je peux devenir éventuellement. Il essaie de m’aider dans ce sens », a exprimé Suzuki avant qu’on lui soulève les critiques qui ont circulé.

« Ce n’est clairement pas mon cas. La communication était bonne. Sans que ce soit une communication omniprésente, c’était juste bien. Il me laissait faire mes choses aussi. S’il remarquait un aspect duquel il voulait me parler, il n’hésitait jamais à le faire. Il me confrontait là-dessus et j’apprécie ça grandement de la part d’un entraîneur », a indiqué l’Ontarien.

Nick SuzukiMême publiquement, Julien n’a pas hésité à être très franc quand Suzuki ne jouait pas à la hauteur de ses attentes. Avant la pause imposée par la COVID-19, Julien est allé jusqu’à dire que Suzuki « avait frappé un mur » alors qu’il venait d’être blanchi pendant neuf matchs.

« Je jouais quand même assez bien, c’était surtout une période difficile au niveau de la récolte des points. J’ai manqué de chance plus d’une fois. Ma confiance n’a pas été optimale durant cette séquence, mais la chance non plus », a soutenu Suzuki qui est persuadé de mieux comprendre les nuances de la LNH l’an prochain.

Dès le début de l’année, Suzuki a obtenu le support de plusieurs vétérans dans l’équipe. C’était facile de constater qu’il avait développé des liens solides avec eux en dépit de la différence d’âge et il en est fier.

« Tout le monde a été merveilleux avec moi. Domer (Max Domi) et Phil (Danault) ont toujours bien pris soin de moi. Quand Kovy (Ilya Kovalchuk) est arrivé, je suis devenu plus proche de lui et de Shea, deux gars que j’ai regardés jouer toute ma vie pour ainsi dire. »

Ce n’est pas pour rien que Suzuki a été en mesure de s’acclimater relativement facilement à être loin de sa maison. Sa famille a donné un coup de pouce alors que la visite a été plus nombreuse qu’il aurait pu le prévoir.

Le Canadien et ses partisans ne peuvent espérer qu’il sera encore plus à l’aise pour le calendrier 2020-2021.

« Cette année, il a réussi à s’imposer pour une recrue et je trouve qu’il a déjà donné un très bel aperçu aux Canadiens ce qu’ils vont obtenir de lui, un joueur de concession », a conclu Ratcliffe sans craindre cette affirmation.

Bien entendu, Suzuki aimerait éviter le scénario de l’annulation du reste de la saison. Il s’assure de s’entraîner pendant l’attente et il se considère chanceux de ne pas avoir à soigner de blessures importantes outre quelques douleurs à gauche et à droite.