Quelle heureuse surprise que l’apparition de Jacques Demers en bordure de la patinoire, portant bien haut dans la main gauche le flambeau historique qui a inspiré tant de joueurs et d’entraîneurs dans l’épopée des 24 coupes Stanley du Canadien!

Le dernier entraîneur à l’avoir remportée au Canada est venu chercher peut-être la dernière ovation de sa vie quand il s’est avancé dans un fauteuil roulant poussé par un autre entraîneur, Michel Therrien, et qu’il a déposé le flambeau dans les mains du capitaine Max Pacioretty. Un geste qui peut être qualifié de porte-bonheur puisque le grand ailier gauche n’a mis que 23 secondes à ouvrir la marque.

Jusque-là, la remise symbolique du flambeau avait été faite annuellement par Jean Béliveau à Brian Gionta, par Ken Dryden à Carey Price, par Guy Lafleur à Daniel Brière et finalement, l’an dernier, par Guy Carbonneau à Pacioretty.

Dans son long parcours d’entraîneur, la coupe Stanley qu’il a remportée dans l’ancien Forum en 1993 est l’événement dont il a été le plus fier. Ça s’était passé dans sa cour, devant son public et devant tous les membres de sa famille qui ne cachaient pas leur immense fierté. Une partie de la famille l’a d’ailleurs accompagné au Centre Bell pour ce moment rempli d’émotion: sa femme Debbie, sa soeur Francine et son frère Michel. Sa soeur Claudette, qui lutte contre la maladie avec la même énergie affichée par Jacques quand il a mis la table pour la dernière coupe du Canadien, n’a pu être présente.

La direction du Canadien nous a habitués à ce genre de surprise à l’occasion du match inaugural de la saison. Cette fois, elle s’est surpassée en permettant à l’ex-entraîneur de se retremper dans une véritable ambiance de hockey. C’est un moment qu’il n’oubliera jamais compte tenu des circonstances. Victime d’un AVC, il était détenteur de deux abonnements de saison qu’il utilisait pour lui-même quand il n’était pas en devoir à RDS, mais c’était la première fois qu’il s’approchait d’aussi près de la patinoire pour un match depuis qu’il a mis un terme à sa carrière derrière le banc.

Ils sont quelques-uns dans ce vestiaire à ne pas connaître encore la signification du flambeau. Les jeunes joueurs de l’équipe ne se souviennent pas de Demers et de son exploit vieux de 23 ans. Dans le vestiaire, on les a renseignés dans les deux cas avant que les joueurs prennent le chemin de la patinoire pour affronter les champions en titre dans la Ligue nationale.

Demers a toujours senti qu’il faisait partie de la famille du Canadien et c’est de cette façon qu’il a été traité. L’idée derrière cette invitation, qu’il n’aurait jamais cru possible, a été celle du propriétaire et président de l’organisation, Geoff Molson. Comme quoi on est allé beaucoup plus loin qu’une simple opération de marketing. On a probablement voulu éviter que la maladie le tienne à jamais à l’écart du Canadien.

Debbie savait depuis quelques semaines que l’invitation était sur la table si son mari était à l’aise de l’accepter. Elle a suggéré qu’on le laisse d’abord entrer au Panthéon des sports du Québec avant de lui en glisser un mot. C’aurait été trop d’émotion de lui faire part de ces deux grands hommages en même temps.

Le vice-président Donald Beauchamp a piloté le dossier avec la famille. Il en a discuté avec Jacques sur une base plus personnelle. Au cours des derniers jours, le président des Anciens Canadiens, Réjean Houle, a ficelé le déroulement de la soirée en tenant compte des exigences de la famille.

« Il était très heureux d’être là, mais sa venue au Centre Bell l’a rendu très nerveux », a admis sa femme.

Son sourire en disait long quand Pacioretty s’est avancé vers lui. On a toutefois oublié de le présenter, même si plus de 21 000 spectateurs savaient qui il était. Il y a eu un effet de surprise dans la foule. Depuis son intronisation au Panthéon des sports du Québec, Demers sait au moins qu’il n’a pas été oublié. La crainte de sombrer dans l’oubli est un aspect qui l’a souvent inquiété, encore davantage depuis qu’il n’est plus en mesure d’aller au-devant des gens.

Intérieurement, il est resté un entraîneur. Quand il prononçait des conférences  d’un bout à l’autre du pays, on avait l’habitude de lui demander comment il souhaitait être présenté. Monsieur le sénateur? L’Honorable sénateur? Monsieur Demers?

Sa réponse avait toujours été la même: « Appelez-moi coach ».

Il a assisté au match dans la loge privée de Geoff Molson en portant un regard attentif à tout ce qui se passait sur la patinoire. Comme à l’époque pas si lointaine de RDS.