MONTRÉAL – Pendant que les partisans du Canadien s’accrochent à l’espoir de pouvoir encourager leurs favoris au Centre Bell en séries, la réalité était bien différente au printemps 1979. Plusieurs fidèles du Tricolore préféraient attendre la demi-finale ou la finale pour débourser 15$ afin d’assister à un match au Forum de Montréal. 

Voici l’une des savoureuses découvertes des archives de journaux du dernier affrontement éliminatoire entre le Canadien et les Maple Leafs de Toronto. Cette précision est racontée par François Lemenu dans un article du Devoir datant du 17 avril 1979, au lendemain du premier duel. 

« Seulement 15 946 personnes ont été témoins du match. Les séries sont tellement longues que les amateurs préfèrent attendre les demi-finales ou encore la finale pour débourser 15$. »

Évidemment, à cette époque, le Canadien était en route vers sa quatrième conquête consécutive de la coupe Stanley. On comprend mieux pourquoi les partisans pouvaient se permettre une telle patience.  

Le Canadien avait, en quelque sorte, donné raison à ses partisans en remportant ce premier match au compte de 5 à 2 après un lent départ. 

Au lendemain de cette défaite à Montréal, l’état-major des Leafs s’était vidé le cœur sous la plume de Claude Larochelle du quotiden Le Soleil. 

« Tout le mérite doit aller à Scotty Bowman pour la première victoire du Canadien. Ce gars-là est un génie de la façon qu’il a préparé le terrain. Ses déclarations étaient à point. Il nous a décrit comme les Big Bad Leafs. Il nous a fait passer pour une bande de tueurs. Et il y a un tas de monde pour le croire. C’était bien planifié. On nous avait à l’œil sur la patinoire avec le résultat que l’on sait », a déploré Harold Ballard, le propriétaire des Leafs à cette époque

« Nos gars ne sont pas des brutes. Ils jouent du hockey rude et déterminé, mais rien de vicieux. Ils jouent du vrai hockey, l’ancien style, celui qui plaisait tant aux foules. Non pas de ce hockey pour les fillettes, le fameux style américain pour consommation de salon. Mais ces belles âmes les font passer pour des bandits », avait-il ajouté. 

Roger Neilson, l’entraîneur des Leafs, avait délégué le détestable Pat Boutette pour contenir Guy Lafleur, mais ce fut un échec sur toute la ligne. King Clancy, qui a été associé aux Leafs dans de nombreux rôles après sa carrière de joueur, avait lancé ce constat à Larochelle. 

« Pat Boutette a montré trop de respect pour Guy Lafleur. Je ne sais pas ce qu’ils ont les joueurs de hockey, mais on dirait qu’ils ne veulent pas toucher à Lafleur. Comme s’il était une sorte de dieu. Pas besoin de lui arracher la tête. Mais un bon petit coup solide de temps en temps, ça ne lui ferait pas de tort. Ça le ferait réfléchir un peu. Je ne comprends rien, ils sont tous à genoux devant lui. »

Critiqué publiquement par ses patrons, le pauvre Boutette avait tenté de se défendre. 

« C’est bien facile de dire que je n’ai pas fait mon travail contre Lafleur. Mais où sont-ils les finfins qui voudraient essayer ça ? Il est là près de vous et vous êtes certain de le tenir, mais tout à coup, il est parti comme une balle. La vitesse de Lafleur est infernale. Même avec un harpon, je me demande si je pourrais le retenir. » 

Le dernier mot était revenu à Jim Gregory, le directeur général des Leafs. « Il y aurait un moyen, kidnapper Guy Lafleur. »

Bowman avait enragé ses joueurs

C’est bien connu que Bowman en menait très large à cette époque, il avait tous les tours dans son sac. Ainsi, même si le Canadien avait enchaîné avec un gain de 5 à 1 dans la deuxième confrontation, Bowman avait trouvé le moyen d’enrager plusieurs de ses joueurs. 

Chronique de Claude Larochelle, Le Soleil, 19 avril 1979Le CH menait 5 à 0 quand Bowman a pratiquement donné un but à Toronto selon ce que Larochelle et un journaliste de la Presse canadienne ont rapporté dans l’édition du journal Le Soleil du 20 avril 1979. 

Voici l’extrait raconté par Larochelle :

Les Torontois ont été proprement balayés dans ce deuxième match devant un club Canadien jouant sans bavure. Il leur a fallu plus de 15 minutes avant d’effectuer un premier tir sur Ken Dryden en troisième période. Au milieu de ce décor paisible, Scott Bowman a trouvé le moyen de mettre de la merde dans la baraque en utilisant ses réservistes à plein en fin de match. 

L’arrière Guy Lapointe sautait ça de haut. Il écumait tout simplement :

« C’est toujours la même chose avec Bowman et vous pouvez l’écrire. Quand ça va bien comme ça, il s’arrange pour donner un but. Et je le sais pourquoi il fait ça. C’est plus fort que lui, il aime ça mortifier quelques gars. Dans les dernières minutes, il envoie les joueurs qui n’ont pas joué juste pour les écoeurer. »

« Je me fous de ce qu’ils peuvent penser. J’ai déjà assez de blessés, je n’ai pas pris de chance à la fin et j’ai utilisé mes réservistes », avait riposté Bowman.

Alors que l’article de la Presse canadienne ajoutait ceci : 

Quant à Guy Lapointe, il était tout simplement furieux. Il a été le premier joueur des Canadiens à quitter le vestiaire. Il n’a pas aimé voir les Leafs priver Dryden d’un blanchissage à la toute dernière minute. 

« Oui, je suis hors de moi, a dit Lapointe. Bowman n’avait aucune raison d’envoyer sur la patinoire les Larouche, Connor et Lupien dans les dernières secondes de jeu. Ces gars-là n’avaient pas joué du match, ils n’étaient pas réchauffés. Ce n’est pas juste de les jeter dans la mêlée contre le trio de Sittler. Je ne le prends pas du tout ». 

La série se déplaçait alors à Toronto pour les troisième et quatrième parties. Autre coïncidence fascinante, Serge Savard avait lancé une remarque sur les joueurs locaux, un sujet qui lui tenait déjà à cœur. 

« On joue toujours de façon excellente au Maple Leaf Garden. C’est bien simple. On a un plus grand nombre de joueurs originaires de Toronto sur notre club qu’il y en a chez les Leafs », a exprimé l’intarissable Serge Savard sous forme de boutade. 

En 2021, 42 ans plus tard ce débat est toujours d’actualité. Par contre, la puissance actuelle des Leafs ne ressemble en rien à celle de 1979. Disons qu'un balayage du Canadien en quatre parties ressemble à une mission impossible cette fois.