Une communauté encore en deuil...
$content.firstChildCategorie mercredi, 9 juil. 2014. 21:45 mardi, 15 oct. 2013. 12:49Depuis mercredi dernier, j’avais la chance de me retrouver au Nouveau-Brunswick en tant qu’invité au Salon du livre de la Péninsule acadienne. J’ai passé là-bas un séjour magnifique, autant en raison du décor féérique de ce coin de pays que pour la gentillesse extraordinaire des gens de cette région pittoresque. J’y ai retrouvé de vieux amis, je m’en suis fait de nouveaux et je dois vous avouer que je reviens au bercail un peu perturbé. En fait, je ne suis pas certain qu’il s’agisse du bon choix de mot pour décrire la façon dont je me sens aujourd’hui. Peut-être qu’il serait plus juste de dire que suis ébranlé ou stupéfait.
Le salon du livre se tenait à Shippagan. C’est une superbe petite ville côtière où la majorité des gens vivent de la pêche et de l’industrie touristique. Là-bas, tout le monde se connaît. Tout le monde est gentil. Tout le monde est accueillant. Mais à Shippagan, tout le monde est triste.
Tout le monde est triste parce que Shippagan est en deuil. Il y a cinq ans, par une journée nuageuse et venteuse, Shippagan a perdu son héros. Un peu après dîner, le 29 mai 2008, Luc Bourdon se tuait bêtement dans un accident de moto. Il venait d’avoir vingt-et-un an. Inexpérimenté, il a bifurqué de sa voie dans une courbe, emporté par une soudaine bourrasque de vent. Impuissante, sa blonde qui le suivait derrière en voiture, l’a vu percuter de plein fouet un camion-remorque qui s’amenait en sens inverse. Puisqu’il s’agissait d’un espoir extrêmement prometteur des Canucks qui en avaient fait le dixième choix au total lors du repêchage de 2005, cette triste histoire a fait le tour de la planète hockey. À Shippagan, personne n’a oublié cette journée tragique.
À l’entrée de l’aréna municipale, le centre Rhéal Cormier, une immense statue immortalise le souvenir de Luc Bourdon. C’est la même chose une fois à l’intérieur de l’enceinte où l’on retrouve plusieurs photographies de lui. Mais ce n‘est pas ce qui frappe le plus les étrangers comme moi. De mercredi soir à samedi après-midi, la plupart des personnes que j’ai croisé ressentaient l’envie de venir me parler de ce jeune homme qui est parti beaucoup trop vite. Dans une petite communauté de ce genre où tous connaiaasent, chacun s’est approprié son unique souvenir de Luc. «La journée où il est mort, il a régné un silence incroyable sur la ville. On croisait les gens en les saluant du regard seulement. Tout le monde était sous le choc et personne ne parlait», m’explique Guy Chiasson qui demeure aujourd’hui à Balmoral. La ville au complet était dans un grand brouillard», ajoute Gilles Cormier, le sympathique gérant de l’aréna qui a vu grandir sous ses yeux le jeune hockeyeur. Cinq ans plus tard, le brouillard ne s’est pas complètement dissipé. Les habitants de Shippagan et des environs n’ont pas encore totalement réussi à faire leur deuil. «C’est encore plus triste parce qu’il est parti sans qu’on ait de réponse. On savait qu’il était bon mais on ne saura jamais jusqu’où il aurait été. Toute sa carrière on l’a comparé à Kristopher Letang, son meilleur ami. Aurait-il gagné une coupe Stanley, un trophée Norris ou une médaille d’or aux jeux olympiques ? On ne le saura jamais et ça ajoute à la peine. C’est comme se rendre au noces et ne pas se marier,» image à sa façon Guy, un des anciens professeurs de Luc à l’école primaire L’Étincelle. «C’était notre Sidney Crosby, explique Luc-André qui a vécu pendant quelques années dans le logement au-dessus de celui qu’occupait Luc et sa mère. Y’a cinq ans, à Shippagan nous avons tous perdu un frère.»
Le plus étonnant, c’est que cent pourcent des gens à qui j’ai posé la question se souviennent précisément où ils étaient et ce qu’ils faisaient lorsqu’ils ont appris la terrible nouvelle. «Je suis prof à l’école Marie-Esther et sur l’heure du dîner, je faisais de l’impro avec les élèves. On est sorti de la salle en riant mais tout le monde avec les yeux plein d’eau dans les corridors. C’était la consternation. Personne ne parlait. Les jeunes étaient tous sous le choc puis quelqu’un nous a dit que Luc s’était tué en moto, explique Stéphane. Je n’ai pas été capable d’enseigner après ça.» Armand Caron qui était alors le directeur-général du quotidien Acadie-Nouvelle se souvient parfaitement de l’ampleur du drame pour les gens de la péninsule acadienne. «Personne ne voulait y croire. On attendait les confirmations de la police et espérant que ça ne soit pas lui.» Son ancien collègue Albert Belzile travaillait à la mise-en-page du journal. «Je lisais les commentaires en les plaçant et je n’arrêtais pas de pleurer. Je me souviens que je devais constamment m’essuyer les yeux pour ne pas faire tomber de larmes sur les maquettes.» Pour sa part, Tilmon Mallet, le nouveau maire de Shippagan se souvient qu’il était en réunion à Shediac quand on lui a annoncé le décès du jeune homme. «On prépare quelque chose pour perpétuer sa mémoire. Y’a deux semaines, des gens sont venus de Vancouver et ils ont fait un détour par ici pour se recueillir devant sa statue. Ils ont déposé un petit bâton des Canucks sur lequel ils avaient écrit Best regards. We’ll always remember you Je l’ai ramassé et on va finir par faire quelque chose avec ça et d’autres souvenirs du genre.»
La vie nous réserve souvent d’étranges surprises. À Shippagan, tout a fait en sorte que le tragique destin de Luc Bourdon me soit raconté. Vendredi matin, une charmante bénévole vient me cueillir au motel pour me conduire à l’école de Sainte-Marie-St-Raphaël où je donnerai une conférence devant les élèves. Chemin faisant, on parle de hockey et de littérature quand elle me dit que son petit-fils a déjà joué dans la LNH. Cette dame si attachante, c’est Florence, la grand-mère de Luc. Elle me raconte comment elle a vécu cette terrible journée du 29 mai 2008. «C’est ici que c’est arrivé, dans la courbe devant toi. On surnomme l’endroit le trou d’vent car il y a toujours du vent ici même quand c’est paisible partout. Luc n’était pas habitué de faire de la moto. Il ne devait même pas la prendre cette journée car on annonçait de la pluie. Il a quand même décidé d’aller la porter au garage et sa blonde le suivait derrière pour le ramener dans sa voiture. Il n’avait pas encore acheté de veston de motard et le vent a pris dans son jacket sport. La moto a changé de voie tout d’un coup. Il n’a eu aucune chance.»
Vendredi soir, c’était la soirée porto-chocolat au Centre des congrès. J’y étais pour le porto et surtout pour écouter l‘auteure Kim Thuy que j’admire. À l’entracte, je croise un couple. La dame vient me voir pour jaser. C’est Ida, la tante de Luc. Son mari Robert est celui qui a servi de père à Luc. Ensemble, nous avons jasé pendant une trentaine de minutes. Ils n’ont pas d’enfant. Luc était comme leur fils. Les souvenirs sont encore douloureux. «C’est un enfant exemplaire et il avait travaillé fort pour se rendre là. À ses débuts à Val-D’or, il téléphonait à la maison tous les soirs tellement il s’ennuyait et il avait parfois le goût de lâcher. Mais il n’a jamais abandonné,» raconte Robert, un pêcheur de crabes, droit comme un chêne. «Pour une petite place comme ici, Luc était tellement important. Les gens étaient fiers de lui et tout le monde l’aimait. C‘était un modèle pour bien du monde,» ajoute Ida le regard empreint de nostalgie. J’ai complètement manqué Kim Thuy. Ce n’est pas grave je me reprendrai une autre fois…et comme ça se produit si souvent dans ma vie, le destin m’a récompensé samedi après-midi car nous sommes revenus à Montréal ensemble Kim et moi…et c’était encore mieux car j’ai eu droit à un agréable tête à-tête avec elle et j’ai pu en profiter pour lui raconter en détails cette histoire que je partage avec vous.
6,000 personnes avaient défilé devant le cercueil de Luc Bourdon exposé en chapelle ardente à l‘aréna de Shippagan.
Une superbe statue de Luc Bourdon près de l‘entrée de l‘aréna à Shippagan