MONTRÉAL - Il est normalement difficile d’apprendre le congédiement de quelqu’un. Normalement très mal vu de s’en réjouir. Ou pire de le célébrer.

 

Dans le cas de Don Cherry, c’est différent.

 

Différent parce que depuis le temps que cette mesure disciplinaire aurait dû être imposée en raison des trop nombreux débordements oratoires, propos incendiaires, haineux, frisant parfois de bien trop près le racisme, auxquels Cherry nous a habitués au fil des ans, il me semble que cette victoire du gros bons sens aurait dû être célébrée depuis longtemps.

 

Mieux vaut tard que jamais, il faut croire.

 

Le plus réjouissant dans toute cette affaire, c’est qu’à l’heure d’un populisme rampant où les attaques, commentaires et autres prétendues analyses volent de plus en plus bas, sont de plus en plus assassins, sombrent de plus en plus dans l’anecdotique alors qu’on ne se donne plus, ou pas assez souvent, la peine de vérifier si nos impressions qui enflammeront facilement le peuple et créeront des vagues de réactions sur les médias sociaux ont au moins un semblant de véracité pour les défendre, nos collègues de Sportsnet aient décidé qu’assez c’était assez.

 

D’un côté, j’aurais le goût de dénoncer le fait que les grands diffuseurs qui ont fait de Don Cherry une très grande vedette en lui offrant le premier entracte de Hockey Night in Canada pour sévir tous les samedis « from coast to coast to coast » auraient pu, et dû, réagir plusieurs fois au fil des ans.

 

De leur reprocher d’être restés de marbre, ou presque, en raison de la popularité du Grand Prêtre du hockey dans le Canada-Anglais lorsqu’il s’en prenait aux hockeyeurs européens venus d’outre-Atlantique pour voler des jobs à nos bons « Canadians »; lorsqu’il ridiculisait les hockeyeurs québécois qui manquaient de courage dans les coins de patinoire ou grand sacrilège qui portaient la visière au lieu d’accepter de se faire défigurer au nom de caractère que les vrais hockeyeurs doivent afficher pour être des vrais de vrais dans la LNH.

 

Je me contenterai d’insister sur la grande vérité selon laquelle il n’est jamais trop tard pour bien faire.

 

Ce qui est clair toutefois, c’est que la dernière sortie de Cherry l’a rattrapé là où il est roi : dans un « Rest of Canada » où il pouvait dire les plus grosses énormités et être adulé. Mais voilà: le royaume de Cherry a changé au fil des ans. Les « Red Necks » qui lui sont acquis et fidèles depuis toujours partagent maintenant les banlieues, les plaines et les montagnes du Rest Of Canada avec des immigrants dont notre société a besoin pour se développer, pour prospérer, pour s’améliorer.

 

Des nouveaux « Canadians » qui sont tout simplement des vrais Canadiens et qui refusent d’encaisser sans mots dire les grossièretés de Cherry.

 

En s’attaquant comme il l’a fait aux «vous autres» qui refusez de payer quelques dollars pour porter le coquelicot soulignant la mémoire de ceux – je tiens à ajouter ici toutes celles qui sont trop souvent oubliées dans l’équation – qui vous permettent de vivre dans notre société et de savourer notre lait et notre miel, Cherry a appris à ses dépens que des grands-parents qui étaient venus d’ailleurs se sont eux aussi battus sous l’unifolié au nom de la défense de nos libertés et de nos droits.

 

Que leurs fils, filles, petits-fils, petites-filles comme tous ceux et celles qui portent encore aujourd’hui fièrement leur nom ont également pleuré, et pleurent toujours, le grand sacrifice que leur ancêtre a offert au Canada ou plus largement au monde libre.

 

Que leur peine dépasse le port ou non du Coquelicot.

 

J’espère que plusieurs de ses disciples réaliseront eux aussi qu’on peut s’appeler autrement que Cherry et être un bon « Canadian ». Au même titre qu’on n’a pas besoin d’être un Gagnon ou un Tremblay pour être un bon Québécois de souche.

 

Et vous savez quoi? Le congédiement de Cherry aura peut-être, cette conséquence ultra positive qui changera notre société pour le mieux. Car qu’on l’aime ou le déteste, qu’on le vénère ou le dénonce, Don Cherry est encore aujourd’hui et le sera encore longtemps une des figures les plus populaires du Canada.

 

Il fallait voir les collègues de Toronto s’agglutiner devant la télévision accrochée au centre de la galerie de presse lors du premier entracte des matchs des Leafs le samedi soir pour comprendre la portée des mots crachés par Cherry.

 

Habitués de faire très souvent les frais de ces cascades d’insultes directes ou d’insinuations mesquines, les journalistes du Québec profitaient du fait que nos amis anglos étaient hypnotisés par Cherry pour dévaliser le petit congélateur rempli de sandwichs à la crème glacée.

 

À chacun ses passions il faut croire...

 

Cette immense popularité de Cherry – est-il besoin de rappeler qu’il a déjà été considéré dans la course visant à couronner le plus grand Canadien de l’histoire – dépassait et dépasse toujours les hordes d’amateurs de hockey et un peu aussi ceux de mode!

 

Tenez : ma blonde qui ne connaît rien de rien au hockey, qui préférerait voir et revoir tous les épisodes d’OD plutôt que de se taper une prolongation dans un septième match de grande finale de la coupe Stanley connaît Don Cherry. Ou du moins sait qui il est.

 

Elle savait qu’il avait été congédié et avait déjà établi l’envergure de cette nouvelle avant même qu’on ait le temps d’en parler.

 

Une telle popularité attirera l’attention sur le fond de l’affaire. Peut-être pas aujourd’hui. Ni demain. Sans doute pas la semaine prochaine non plus, alors que les fidèles de Cherry en feront une grande victime de la mollesse de notre société d’aujourd’hui et que ses détracteurs danseront autour de ses photos les plus colorées pour célébrer.

 

Mais une fois la tempête médiatique passée, il faudra réécouter au lieu de simplement l’entendre la dernière sortie de Cherry et toutes les autres qui l’ont précédée et en tirer les leçons qui doivent en être tirées. On comprendra alors peut-être qu’au-delà sa popularité, son patriotisme et son sens du spectacle, Cherry a trouvé le moyen de dépasser des balises qu’il avait lui-même repoussées à l’extrême limite. Des balises que le Gros Bon Sens est heureusement venu renforcer en obligeant Sportsnet à la congédier.

 

Et c’est tant mieux.