C'était une belle soirée d'hiver, un ciel étoilé scintillait au-dessus de la patinoire extérieure d'un parc du quartier d'Ahuntsic. Elle marchait d'un pas décidé. La neige crispait sous ses bottes. Ses patins sur l'épaule, elle suivait son grand frère, le coeur battant la chamade, en espérant qu'on lui octroie une place au sein de l'équipe. Arrivée près de la rampe en bois, la tuque enfoncée jusqu'aux yeux, elle demanda timidement à se joindre au groupe pour pratiquer son sport préféré. Malgré quelques réponses hésitantes, remplis de scepticisme, les gars acceptèrent d'accueillir cette jeune recrue parmi le groupe. Quelques coups de patins plus tard, elle faisait partie intégrante de l'équipe.

France St.Louis n'a pas mis de temps à éblouir ses coéquipiers et ses adversaires au hockey. Il en a été ainsi, tout au long de sa carrière. Tellement, qu'on lui avait donné le surnom de "Wayne Gretzky" du hockey féminin. "Je trouvais cette comparaison pas mal fort. On parle du meilleur joueur de l'histoire de la Ligue Nationale. C'est peut-être mon désir de m'améliorer, mon ardeur au jeu et mon éthique de travail qui m'ont valu ce surnom très flatteur", de préciser France. Pour l'avoir vu jouer plusieurs matches, je dirais que c'est plutôt son immense talent qui lui a valu ces comparaisons avec le 99. France St.Louis avait non seulement un excellent coup de patin, mais elle avait aussi une excellente vision du jeu, effectuait des passes précises et marquait des buts à profusion. Une joueuse complète. Par ses prouesses, elle a été la première à populariser le hockey féminin. Elle est une pionnière de ce sport qu'elle enseigne encore à tous les jours depuis de nombreuses années. France a d'ailleurs reçu un vibrant hommage il y a quelques semaines, en étant admise au Panthéon des Sports du Québec.

Sa carrière s'est toutefois amorcée sur le tard. "Le hockey féminin organisé n'existait pas lorsque j'étais enfant. Les filles n'avaient pas le droit de jouer avec les gars au hockey mineur. J'étais donc confiné à jouer sur les patinoires extérieures. Lorsque le règlement a changé, j'avais déjà 19 ans. Il était trop tard pour faire mon apprentissage de façon structuré et de gravir les échelons du hockey mineur. J'ai donc commencé à jouer au hockey senior après m'être fait remarquer lors d'un match entre les secrétaires de la brasserie Labatt, où mon père travaillait, et une équipe d'une autre compagnie.

France a dû également faire face aux nombreux préjugés. "La femme qui jouait au hockey était perçue comme un garçon manqué. A l'âge de 22 ans, j'étais enseignante à l'Académie Michel Provost et personne ne savait que je jouais au hockey. Je n'en parlais pas, car je ne voulais pas entendre les commentaires désobligeants. Lorsqu'un article a paru dans le journal peu avant les premiers championnats canadiens, je n'ai pas eu le choix de répondre aux nombreuses questions. Ça intriguait mes collègues de travail. C'était difficile au début, car le hockey était très fermé aux femmes. On me regardait d'une drôle de façon, c'était un milieu très macho, ça l'est encore un peu d'ailleurs, mais j'aimais tellement jouer, que je ne m'attardais pas aux embûches. Lorsque je jouais avec des hommes dans les ligues de garage, on ne me faisait pas de passe, on m'ignorait. Je devais prouver à chaque match que je pouvais jouer, que j'avais ma place. Après un certain temps, les gars voyaient bien que j'avais les capacités pour jouer en leur compagnie, alors j'étais la bienvenue et les commentaires négatifs cessaient," précise t-elle.

Puis est arrivé le premier championnat mondial de hockey, disputé à Ottawa en 1990, devant plus de 10 mille spectateurs déchaînés. Les Canadiennes ne passaient pas inaperçues, vêtues de leur chandail rose et blanc " Nous ne voulions pas de ces chandails roses. Nous refusions le stéréotype "les gars en bleu, les filles en rose,". Nous trouvions que c'était poussé trop fort, mais les dirigeants nous ont fait comprendre que c'était une stratégie marketing et je dois avouer que ça fonctionné. Les "Pink Lady" comme on les surnommait, ont travaillé avec acharnement et épaté la galerie avec leurs habiletés. Le hockey féminin, venait de faire un énorme bond dans l'estime des gens. France St.Louis avec ses 2 buts et 2 passes, avait mené l'équipe canadienne vers les grands honneurs, dans une victoire de 5-4 sur les États-Unis. Ce championnat fut, ni plus ni moins, le point tournant de l'histoire du hockey féminin. Depuis ce temps, ce sport n'a jamais cessé de progresser. "L'évolution est phénoménale" admet France.

" Lorsque j'ai commencé, les filles ne suivaient pas d'entraînement intensif comme c'est le cas en ce moment. Elles ne jouaient pas dans des équipes et des ligues structurées. La compétition était moins forte à l'époque. Aujourd'hui, le nombre d'équipes féminines a augmenté, le calibre de jeu s'est beaucoup amélioré et la popularité est de plus en plus grande. Ce qui est agréable aussi, c'est de constater que le hockey féminin n'intéresse pas seulement les jeunes mais aussi les femmes de 30 ans et plus qui comme moi, n'ont pas eu la chance de jouer au hockey mineur. Elles s'inscrivent à des écoles de hockey pour s'améliorer, jouent dans les ligues féminines de garage et en font leur loisir numéro 1, ce qui n'existait pas il y a quelques années.

Le seul point négatif au hockey féminin, c'est que malheureusement, pour évaluer le calibre de jeu, plusieurs se prêtent au jeu des comparaisons. L'équipe nationale féminine peut-elle rivaliser avec le junior majeur masculin ? le midget AAA ? le bantam? On tente de coller un calibre masculin à un sport qui malgré les apparences, demeure en soi, un sport différent. "Pourquoi ne peut-on pas apprécier le fait que l'équipe nationale soit composée des meilleures joueuses au monde? Pourquoi toujours tenter de le comparer au hockey masculin? Les femmes ne peuvent pas rivaliser avec des gars de 6 pieds 2 et 200 livres qui jouent avec la mise en échec. C'est impossible. Notre jeu est totalement différent et il a aussi des bons côtés, comme la rapidité d'exécution, du jeu dénué de violence, de bons jeux de passes, du jeu "ouvert", porté principalement sur l'offensive. De toute façon, une femme comme Hayley Wickenheiser, maintenant considérée comme la meilleure joueuse au monde, a fait la preuve que nous savons jouer au hockey. "Wick" se tire d'ailleurs bien d'affaire en Finlande" ajoute en un clin d'oeil, France St.Louis.

La vie fait bien les choses. C'est en compagnie de cette merveilleuse joueuse que France St.Louis a terminé sa carrière. Elle raconte: "J'avais 40 ans, c'était au championnat du monde de 1999 en Finlande. Avant le match de la finale, Danièle Sauvageau a demandé à chaque joueuse quel était son défi en venant ici, et l'objectif d'équipe. Wick a répondu "Let's win this one for France". J'avais le " moton " dans la gorge, j'étais très émotive. Je savais que c'était mon dernier match et je profitais pleinement de chaque moment. Lors de la dernière minute de jeu, Danièle m'a fait jouer en compagnie de Hayley Wickenheinser. Nous menions 4-2 et j'étais sur la glace lorsque la sirène a concrétisé notre victoire face aux États-Unis." Relate-t-elle avant de faire une pause et d'ajouter "Un bien beau moment!"
Oui, un bien beau moment et aussi, une bien belle façon de passer le flambeau, d'une première étoile du hockey féminin, à une autre....


P.S. Pour celles qui sont intéressées à participer aux écoles de hockey de France St.Louis, vous pouvez consulter son site internet : www.francestlouis.com