Maurice Richard avait toujours cette réponse qui traduisait bien ses états d'âme quand on lui demandait d'expliquer jusqu'à quel point il avait influencé les Québécois.

« Moi, je n'étais qu'un joueur de hockey. A chacune de mes présences sur la glace, je voulais aller jusqu'au bout de mes objectifs. Pour le reste, je laissais les gens porter un jugement. »

Or, le Rocket n'était pas uniquement un joueur de hockey. C'était un symbole pour les Canadiens français. C'était l'homme qui identifiait le mieux les Francophones du Québec. Il cherchait par ses actes à se dépasser. Courage, détermination, témérité, c'était un fonceur et quoi encore. Il voulait surpasser les autres joueurs particulièrement les grands noms du Canada anglais.

Il voulait être supérieur à Gordie Howe, il voulait se démarquer des autres avec toute l'énergie qu'il pouvait dégager sur la surface de jeu. Il n'y avait pas de limite à ses convictions et à son désir de vaincre. Il n'y avait pas de retenu relativement à ses intentions d'aller jusqu'au bout des objectifs qu'il se fixait. Et il aimait défier les Anglos. C'était dans sa nature et aussi c'était aussi une source de motivation.
Aussi, le 17 mars 1955, il y a eu une prise de conscience chez les Francos du Québec.

Les événements font la manchette à chaque année depuis 50 ans. Le Rocket est suspendu par le président Clarence Campbell pour avoir atteint un juge de ligne pendant une altercation avec un joueur adverse. Une suspension qui soulève la colère et la rage chez les partisans du Canadien et chez les admirateurs du Rocket.
Suspendu pour le reste de la saison et les séries éliminatoires.

De la provocation

De la provocation parce que c'était bien ce que, selon les observateurs, il faut bien comprendre dans l'attitude de Campbell, ce soir du 17 mars 1955. A l'extérieur, la nouvelle de la veille, alors que Campbell condamnait vigoureusement le geste du Rocket, on sentait une énorme tension. Le commentateur Dick Irvin, l'un des plus chauds partisans de Maurice Richard, me disait le weekend dernier, qu'il était évident qu'il se passerait quelque chose de particulier. Les amateurs avaient le couteau entre les dents.

Quand Campbell se présenta à son siège derrière l'un des deux filets en compagnie de sa secrétaire, le match était déjà en cours. Habituellement, le président de la ligue s'assurait toujours d'être à son siège pour les hymnes nationaux. Pas cette fois-çi. Il est clair qu'il voulait provoquer la foule, qu'il voulait dire aux partisans du Canadien qu'il était le patron. Personne ne pouvait défier son autorité, pas même Maurice Richard.

Ceux qui ont vécu l'événement vous diront que c'était l'époque où sur la rue Ste-Catherine la plupart des affiches commerciales étaient en anglais. Vous alliez chez Eaton et on vous abordait dans la grande majorité du temps en anglais. Vous alliez chez Simpson, c'était la même chose. A la Baie d'Hudson aussi.

Les Anglos avaient la main haute dans toutes les sphères les plus importantes de l'économie de la province et surtout de Montréal… mais sur la surface de jeu du Forum, c'était le Rocket qui était le roi et maître de la situation.

Une inspiration

Il était l'inspiration d'un peuple tout entier, on admirait non seulement cette fougue qu'il démontrait en enfonçant dans le territoire de l'adversaire mais on admirait aussi cette intensité qu'il dégageait afin de bien exprimer ses convictions.

Dick Irvin posa une question intéressante, samedi dernier. Wayne Gretzky aurait-il été à l'origine d'une émeute si jamais il avait été suspendu? Je ne le crois pas. Gretzky ne défendait pas une cause ou encore il n'a pas évolué dans un contexte où il devait transporter sur ses épaules toute la fierté d'une province et sa culture.
Le Rocket oui.

Quand Clarence Campbell osa suspendre le Rocket - et, remarquez bien, il faisait son boulot - il s'attaqua non pas à un hockeyeur mais à un symbole. C'est probablement à partir de ce 17 mars 1955 que bien des Canadiens français sont vraiment devenus des Québécois.