Notre collègue Luc Gélinas a récemment écrit un ouvrage racontant une tranche de vie de huit hockeyeurs québécois, soit Steve Bégin, Francis Bouillon, Martin Brodeur, Simon Gagné, Ian Laperrière, Vincent Lecavalier, Roberto Luongo et André Roy. D'ici au 28 novembre, vous aurez la chance de lire sur le RDS.ca des extraits de chaque chapitre. Aujourd'hui, nous vous proposons un extrait du chapitre de Ian Laperrière.

Un été d'entraînement intensif
Extrait des pages 177, 178 et 179

Motivé comme jamais, Ian s'entraîne comme un forcené pendant les semaines qui suivent. À l'âge où la plupart des adolescents commencent à goûter à certains plaisirs de la vie, Ian ne s'accorde que très rarement une journée de congé. Sa philosophie est le reflet de ce qu'on lui a enseigné à la maison.

« Mes parents ne m'ont jamais poussé, mais ils me suggéraient de travailler fort dans tout ce que j'entreprenais. Je me souviens d'une fois où j'avais carrément pété les plombs envers mon père. J'étais le jeune le plus straight de la gang. Je ne faisais jamais rien de “croche” et je savais ce qu'aller au bout de mes rêves exigeait. Un soir, après le souper, je me préparais à quitter la maison et j'ai dit à mes parents que je m'en allais au parc avec les gars. Mon père m'a regardé et m'a dit quelque chose dans le genre : “Tu sais
que t'as une pratique demain ? Et tu sais que tu ne t'es pas entraîné aujourd'hui ?”

« J'ai vu rouge sur-le-champ. “Ben oui. Je le sais. Je fais juste ça, m'entraîner. Écoute, je sais ce que je dois faire. Je travaille tout le temps comme un fou pis toi, tu ne veux pas que j'aille au parc parce que j'ai du hockey demain.” J'ai tourné les talons et je suis parti dans ma chambre. J'étais tellement fâché parce que je voyais bien les efforts que je faisais, comparés à ceux des autres gars. Quand j'ai quitté le salon pour aller dans ma chambre, je me suis retourné pour jeter un coup d'oeil à mon père. Il pleurait à
chaudes larmes, car il venait de réaliser ce qu'il m'avait reproché. Dans le fond, il voyait tous les efforts que je faisais pour m'améliorer. C'était un homme sensible et je suis comme lui aujourd'hui. »

Jamais plus Michel Laperrière ne s'est permis de juger ou de ettre en doute l'éthique de son fils. À vrai dire, Ian est un véritable bourreau de travail. Le soir du 24 juin 1989, alors que tous les jeunes de son âge s'amusent et fêtent la Saint-Jean-Baptiste, Ian ne s'accorde pas de congé et court comme à son habitude. Son trajet le mène à travers les sentiers du parc Alexis-Carrel et, chemin faisant, il croise la plupart de ses amis. Ils se préparent à célébrer comme des milliers d'autres jeunes Québécois de leur âge. À 15 ans, c'est l'âge des premières expériences, de la première bière, de la première cigarette, peut-être aussi du premier joint. Son bon copain Christian Sbrocca l'aperçoit et l'interpelle.

— Ian ! Qu'est-ce que tu fais là, « coudon » ?
— Ben là… Tu le vois, je m'entraîne.
— Je le sais que tu t'entraînes. Toi, sais-tu que c'est la Saint-
Jean-Baptiste aujourd'hui ?
— Ben oui, je le sais, mais je me prépare pour ma saison. Faut que j'y aille, là, bye !

Ian tourne les talons et reprend sa course à travers le parc. Pour lui, il ne s'agit même pas d'un sacrifice que de rater les festivités de la Saint-Jean.

« Je l'ai vu arriver de loin avec son walkman jaune ! On était quatre ou cinq gars et on avait une petite caisse de bière. On se préparait à aller faire le party quand il est arrivé en courant. Ça m'a assommé. Ian avait réalisé qu'il fallait faire des sacrifices dans la vie. Je le comprends, aujourd'hui, mais sur le coup, je n'en revenais pas », raconte Sbrocca qui a néanmoins connu une carrière intéressante au hockey.

De son côté, Ian pense à ses chums et ne les comprend pas. Il se demande pourquoi ils ne font pas comme lui. Pourquoi niaiser dans un parc avec de la bière ? Au fond, sans les juger, il croit presque que ce sont ses copains qui sont anormaux !

« Je me disais toujours que la journée où un gars prenait congé de l'entraînement et que moi, je m'entraînais, je me donnais automatiquement une petite avance sur lui. Rien de bien gros, peutêtre, mais je m'améliorais quand même plus que lui cette journée-là. Ça paraîtrait peut-être pas tant que ça, mais moi, j'allais le savoir. J'étais fait comme ça, je n'ai pas changé. Chaque année, je ne prends qu'une semaine de repos et je recommence aussitôt l'entraînement. Si je ne fais pas ça, je me sens coupable. J'ai vu des gars qui avaient mille fois plus de talent que moi, mais qui n'aimaient pas s'entraîner et qui tenaient tout pour acquis… Aujourd'hui, ils font peut-être une belle vie, mais ils ne jouent pas dans la Ligue nationale. »