Par Nicolas Landry - Autant Gabriel Dumont ne vous lâche pas d'une semelle si vous avez le malheur de porter un uniforme différent du sien sur la patinoire, autant il peut être difficile de lui mettre la main au collet à l'extérieur de celle-ci.

"Il n'arrête pas une seconde!", confirme sa mère, un peu étourdie par l'horaire de son fils depuis son retour au domicile familial.

C'est justement parce qu'il n'est pas capable de rester en place et qu'il n'a pas l'habitude de prendre une journée de congé que Dumont, un travailleur acharné qui s'est bâti une solide réputation lors de ses deux saisons avec les Voltigeurs de Drummondville, sera sélectionné au prochain repêchage de la Ligue nationale de hockey.

"Je suis un gars qui se donne à chaque présence comme si c'était la dernière de sa vie. Je ne veux pas avoir de regret", raconte Dumont, intercepté entre un aller-retour pour Drummondville et une partie de pêche avec son grand-père.

Il est dans la nature du jeune homme de ne jamais rien prendre pour acquis. S'il avait toujours attendu que les choses viennent à lui plutôt que de les provoquer, Gabriel Dumont serait en train de célébrer comme la plupart des jeunes de son âge la fin d'une autre année scolaire au lieu de se préparer pour la plus belle des graduations.

"J'ai toujours été capable d'aller chercher un petit avantage en travaillant plus fort que les autres. Même au hockey mineur, je n'étais pas le meilleur joueur, confesse Dumont. J'avais comme coéquipier Guillaume Pelletier, qui joue aujourd'hui pour les Mooseheads de Halifax. Il était très dominant. Il était grand et avait tout un lancer. C'est là que j'ai commencé à en donner un peu plus. C'était évident que je n'avais pas le talent de Guillaume, mais je voulais toujours être égal à lui. Je devais travailler plus fort pour être capable de le suivre."

Dumont ne fera jamais reculer personne par sa simple stature et on ne verra probablement pas de sitôt la compilation de ses plus belles feintes sur internet. Des dizaines de joueurs aux qualités athlétiques plus impressionnantes ont défilé sous les yeux des dépisteurs au cours des derniers mois, mais Dumont a tout de même réussi à capter leur attention.

Déjà, Dumont est comparé à Maxime Talbot, un compatriote qui n'a jamais fait écarquiller les yeux par la fluidité de son coup de patin ou la puissance de son lancer mais qui pourtant, à 25 ans, a marqué le but gagnant d'un septième match de la coupe Stanley.

"J'ai eu Maxime Talbot à 16 ans avec les Huskies de Rouyn-Noranda et j'ai eu Gabriel au même âge. C'est une réplique exacte en terme de désir de vaincre et de leadership, observe l'entraîneur des Voltigeurs, Guy Boucher. Ils ne sont pas les plus talentueux, mais seules les équipes qui comptent sur des joueurs comme eux peuvent aspirer aux grands honneurs. Gabriel est un petit gars autour duquel tu peux bâtir une équipe."

"Il faut faire attention, parce qu'à sa dernière saison avant d'être repêché, Talbot a cumulé des méchantes bonnes statistiques, précise Luc Gauthier, recruteur amateur pour le compte des Penguins de Pittsburgh. Mais c'est peut-être la seule chose qui diffère entre les deux. Quand on regarde leur style de jeu, leur combativité et leur gabarit, la comparaison est excellente."

"Ce gars-là (Talbot) est devenu une sorte d'inspiration pour moi, vante Dumont, qui a inscrit 49 points en 51 matchs cette saison. Le fait qu'Evgeni Malkin ait lui-même demandé à jouer avec lui en séries, ça veut dire beaucoup."

Le nom de Dumont apparaît au 153e rang sur la liste des patineurs nord-américains classés par la centrale de recrutement de la Ligue nationale de hockey, mais il s'agit là d'une science bien inexacte et il est difficile de prédire à quel moment il sera appelé à aller serrer la main de ses nouveaux patrons.

"Nous pensons que son bon rendement au tournoi de la coupe Memorial lui permettra de grimper plus haut sur notre liste qui a été publiée en avril. Nous l'aimions et nous l'aimons encore davantage", évalue E.J. McGuire, le directeur de la centrale.

"Avant les dernières séries éliminatoires, je n'avais même pas l'intention d'assister au repêchage, révèle Dumont le plus sérieusement du monde. Même présentement, je ne réalise pas vraiment ce qui m'arrive."

Une décision audacieuse, mais judicieuse

Gabriel Dumont est natif de Dégelis, une ville d'environ 3000 habitants située dans le Bas-St-Laurent, à proximité de la frontière qui sépare le Québec du Nouveau-Brunswick.

"La seule équipe AA de ma région était à Mont-Joli, à deux heures et demie de chez moi. J'ai donc joué mon hockey mineur dans mon coin, dans le CC", commence à raconter Dumont qui, sans le savoir, était alors observé par un homme qui allait un jour jouer un rôle crucial dans sa jeune carrière.

"Guy Boucher et moi sommes natifs de la même région. Au hockey mineur, je jouais avec le fils d'un de ses amis et il venait souvent nous voir jouer. Il me connaît donc depuis assez longtemps."

"C'est un jeune qui sortait déjà du lot par son éthique de travail et son désir. Tu voyais qu'il dépassait tout le monde d'une coche, se remémore Boucher. Je me rappelle d'un match dans un tournoi pee-wee. Son équipe perdait 3-0 avec quatre minutes à faire, mais il avait marqué trois buts, puis le quatrième en prolongation. C'est un peu ça, Gabriel Dumont. Il fait l'impossible."

À 15 ans, Dumont fait un trait sur sa dernière année d'admissibilité au niveau bantam et fait le saut dans le midget AAA avec les Albatros du Collège Notre-Dame de Rivière-du-Loup. "J'ai connu un excellent début de saison. Je surprenais bien des gens, même au sein de l'organisation. Mais je me suis fracturé une main et mon année a pris fin plus tôt que prévu."

Le LHJMQ se prépare à tenir ses assises annuelles, mais Dumont, un joueur de petite stature qui a passé l'hiver sur le carreau, n'y pense même pas. Il était pourtant dans les plans des Voltigeurs, qui utilisent leur choix de quatrième ronde pour l'inclure dans la famille.

Un camp d'entraînement du tonnerre quelques mois plus tard vaut à Dumont une invitation inattendue. L'état-major des Voltigeurs est impressionné et lui offre une place au sein de son alignement, mais l'adolescent décide de nager à contre-courant et de retourner avec les Albatros.

"Je n'étais pas vraiment à l'aise à l'idée de faire le saut dès 16 ans, surtout que je n'avais pas joué beaucoup l'année précédente et que les Voltigeurs avaient des objectifs ambitieux avec le retour attendu de Guillaume Latendresse et la présence de Derick Brassard, se rappelle Dumont. J'ai préféré retourner dans le midget AAA. On a tenté de me faire changer d'idée, mais j'ai toujours refusé. Je pensais que c'était mieux de ne pas brûler les étapes."

L'avenir lui donne raison. À sa deuxième saison à Rivière-du-Loup, Dumont rafle le championnat des compteurs du circuit avec une récolte de 72 points et permet à son équipe d'atteindre la finale des séries éliminatoires. Il est ensuite rappelé par les Voltigeurs et dispute les six dernières rencontres d'un duel de deuxième tour remporté en sept matchs par Rouyn-Noranda.

"C'est un peu à partir de là que tout a commencé. Je ne saurai jamais ce qui serait arrivé si j'avais joué à 16 ans dans la LHJMQ, mais je n'ai jamais douté de ma décision", garantit Dumont.

"Le guerrier par excellence"

La brève expérience de Dumont avec les Voltigeurs lui permet de se rapprocher de Boucher, qui commençait à diriger l'équipe après un séjour comme adjoint avec l'Océanic de Rimouski. Le jeune entraîneur lui permettra de devenir, au cours des deux années suivantes, un joueur redouté par ses rivaux.

Habitué de terroriser les gardiens, Dumont allait toutefois devoir apprivoiser un tout nouveau style de jeu.

"À ma première année complète à Drummondville, Guy m'a vraiment modelé comme le joueur de hockey qu'il voyait en moi, louange Dumont. Il savait que je ne serais jamais un marqueur de 70 buts dans le junior. Il m'a bien expliqué que je devais modifier mon style pour passer à un autre niveau. C'est lui qui m'a fait comprendre que c'est aussi important d'empêcher l'autre équipe de marquer que de soi-même remplir le filet adverse."

"C'est comme s'il était issu de la vieille génération, explique Boucher pour continuer de décrire son élève. Ça fait onze ans que je gravite autour de la LHJMQ et je remarque que des jeunes avec autant de cran, il ne s'en fait presque plus. Si un joueur, qu'il soit plus talentueux ou plus vieux, a tendance à flâner, ce n'est pas trop long que Gabriel se lève! Même à son arrivée à 17 ans, il brassait beaucoup de choses dans le vestiaire, mais il était assez intelligent pour connaître la limite à ne pas franchir. Ça, c'est encore plus rare."

Ce n'est toutefois qu'en mai dernier que Dumont, pierre angulaire du développement et des succès des Voltigeurs au cours des deux saisons précédentes, fait son véritable coming out à l'échelle provinciale. Au tournoi de la coupe Memorial, le fougueux numéro 40 se démène comme un diable dans l'eau bénite pour inspirer une équipe épuisée et affaiblie par les blessures. C'est son but en prolongation contre l'Océanic de Rimouski qui permet aux siens d'avancer en demi-finale.

"Gabriel, c'est l'âme de notre équipe, avait alors proclamé Boucher. Ça ne me surprend pas que ce soit lui qui ait marqué le but gagnant. Il est sans contredit le guerrier de l'année. Ça fait longtemps que j'évolue dans cette ligue-là et je n'ai jamais vu un joueur avec autant de caractère."

"Il a un désir qui dépasse les limites physiques, ajoute Boucher un mois plus tard. Au tournoi de la coupe Memorial, il était tellement blessé de partout, c'est incroyable qu'il ait réussi à jouer à ce niveau-là."

"Les pages de journaux sont encadrées chez nous!, lance Dumont lorsque questionné sur ces déclarations. Recevoir de tels compliments de ton entraîneur, c'est l'ultime récompense. Tu ne peux rien demander de plus."

Mais Boucher ne se fait pas prier pour en rajouter. Avec une anecdote savoureuse, il résume parfaitement pourquoi Dumont sera la propriété d'une équipe de la LNH dans moins d'une semaine.

"Il s'est blessé à une épaule cette année et quand est venu le temps de considérer son retour au jeu, on aurait préféré attendre une semaine ou deux de plus, mais il n'en pouvait plus et voulait revenir tout de suite. Je lui ai donné mon accord, mais je l'ai averti qu'il allait seulement joueur en désavantage numérique et que je ne voulais pas le voir se mettre le nez dans le trafic. À sa première présence, il est allé frapper tout ce qui bougeait et en revenant vers le banc, il a jeté les gants contre un gars qui s'en prenait à notre vedette, Dmitry Kulikov."

"Dans sa tête, c'était mieux qu'il aggrave sa blessure à l'épaule que notre meilleur joueur se blesse. J'étais furieux sur le coup, mais je dois l'admettre, c'est le guerrier par excellence, lance Boucher en riant, mais le plus sérieusement du monde. C'est ce genre d'individu-là qui trouve son chemin vers les ligues majeures."