Combien de fois avons-nous entendu un haut dirigeant du Canadien nous affirmer qu'il est particulièrement difficile pour l'équipe de mettre le grappin sur un joueur d'impact au repêchage quand l'équipe parle à mi-chemin en première ronde. Comme formation de milieu de peloton, c'est une position qu'elle a souvent occupée.

Cette explication, qui prend aussi la forme d'une excuse, m'est revenue vendredi dernier quand le spectaculaire Claude Giroux a offert tout un spectacle contre le Canadien. En 2006, le Canadien avait Giroux sous les yeux, pour ne pas dire dans la poche. Son recruteur en chef a choisi de regarder ailleurs. En 20e place, Trevor Timmins a plutôt conseillé à Bob Gainey de réclamer le défenseur David Fischer.

Giroux a été repêché deux rangs plus tard par les Flyers. Cette gaffe est aujourd'hui monstrueuse. Bien sûr, d'autres équipes ont passé leur tour sur Giroux, mais le Canadien, qui n'a pas souvent l'occasion de réclamer un joueur francophone d'impact, n'avait pas le droit de rater pareille occasion.

Durant ce match contre les Flyers, je me suis demandé ce que pouvait ressentir Timmins, probablement assis devant son téléviseur, pendant que Giroux, peut-être un futur champion marqueur de la ligue, battait le Canadien presqu'à lui seul. Son premier choix, David Fischer, a été libéré il y a longtemps par le Canadien. Il n'avait apparemment aucun talent pour la Ligue nationale, ce qu'on a malheureusement constaté après le fait. Pendant que Giroux prend de plus en plus l'allure d'un joueur de concession à Philadelphie, Fischer végète à un salaire de quelques centaines de dollars par semaine dans la East Coast League.

Le repêchage n'est pas une science exacte, on en convient. Toutes les organisations ont commis leur lot d'erreurs, mais le tableau de chasse du Canadien en première ronde a été particulièrement mauvais au cours des 20 dernières années. Cependant, la bévue dont il est question ici fait encore plus mal à une organisation qui, pour diverses raisons, se dit incapable d'ajouter des vedettes francophones à sa formation.

Que s'est-il passé? D'abord, il faut savoir que Giroux est un Franco-Ontarien qui, à l'heure du repêchage, venait de connaître une première saison junior de 103 points à Gatineau, en plein territoire de Timmins qui habite tout près, à Ottawa. Il l'a probablement vu jouer des dizaines de fois. Connaissant les besoins du Canadien, tant sur la glace que sur le plan de la langue, comment expliquer qu'il n'ait pas eu un préjugé favorable pour Giroux?

Timmins aurait peut-être une explication logique à nous offrir si Pierre Gauthier ne l'avait pas muselé dès le moment où il a succédé à Bob Gainey. Non seulement n'a-t-il plus le droit de parler, mais il n'a pas été vu au Centre Bell depuis. En n'assistant à aucun match de l'équipe, Timmins ne court plus aucun danger de croiser des journalistes.

Le fleuron de Simon Nolet

Mario Saraceno, un recruteur dont je respecte le jugement, est à l'emploi des Islanders de New York depuis 33 ans. Son père, Henry, décédé d'une crise cardiaque à l'âge de 45 ans, lui a pavé la voie chez les Islanders en étant leur dépisteur au Québec dès le premier jour de la concession. Une troisième génération de Saraceno s'est d'ailleurs greffée à l'organisation puisque Jayson, fils de Mario et petit-fils de Henry, parcourt aujourd'hui le Québec à la recherche de talent.

Pour la petite histoire, c'est Henry Saraceno qui avait fortement recommandé Mike Bossy au directeur général Bill Torrey. La preuve que le repêchage n'est jamais une expérience facile, il avait dû le vendre aux Islanders. Il avait dû insister auprès de ses employeurs pour qu'on le choisisse en première ronde, au 15e tour.

Pourtant, Bossy a connu neuf saisons consécutives de 50 buts et plus, dont cinq de 60 buts, avant que des maux de dos l'obligent à une retraite hâtive à sa 10e année. Le Canadien, qui ne l'aimait pas beaucoup, lui avait préféré Mark Napier. Ignoré par l'équipe de sa ville natale, Bossy a patiné comme une balle en direction du Panthéon.

Je me suis donc tourné vers Saraceno pour tenter de découvrir pourquoi Giroux est passé sous le radar du Canadien et de certaines autres organisations. Après tout, il était là au moment de ce repêchage. D'une façon étonnante, il excuse les équipes qui ne l'ont pas choisi. Il rend plutôt hommage aux Flyers qui ont accepté de courir ce risque. Il y a cinq ans, le cas de Giroux était loin d'être évident, selon lui.

Giroux n'avait jamais été repêché au niveau junior. Toutes les équipes de l'Ontario l'avaient ignoré. Les Olympiques de Gatineau l'avaient invité à tenter sa chance avec eux. Au moment du repêchage, il était mince et faisait à peine cinq pieds et 11 pouces.

«J'accorde tout le crédit aux Flyers qui se sont levés pour le réclamer et à leur recruteur Simon Nolet qui a été clairvoyant. Les Flyers l'ont choisi parce qu'ils l'aimaient. Il faut dire aussi que c'est une organisation qui développe bien ses joueurs», explique Saraceno.

Peu importe qu'un éclaireur travaille à temps partiel ou dans un rôle permanent, peu importe qu'il ait suffisamment de poids au sein de l'entreprise pour être entendu, c'est toujours le recruteur en chef qui a le dernier mot. Chez les Flyers, on a tenu compte de l'opinion de Nolet. Chez le Canadien, Trevor Timmins a écouté Trevor Timmins puisque c'est lui qui le connaissait le mieux.

Il y a sans doute des moments frustrants dans la carrière d'un recruteur. Saraceno ne cache pas avoir fortement recommandé Patrice Bergeron et Kristopher Letang, deux suggestions qui n'ont pas été retenues. Par contre, il a eu gain de cause dans le cas de Paul Bouthillier, Jean-Pierre Dumont, Bruno Gervais et Juraj Kolnik. Les Islanders ont aussi réclamé Roberto Luongo et Pat Lafontaine au Québec, mais les deux choix semblaient si évidents qu'il refuse de s'en octroyer le mérite.

La cuvée 2005

Le match de samedi, entre les Penguins et le Canadien, a fait remonter sur le dessus la crème du repêchage de 2005. Le duel était assez clair. C'était Sidney Crosby contre Carey Price. Pensez-vous un seul instant que Price n'a pas ressenti une certaine fierté à l'idée de se mesurer au meilleur joueur de la ligue et de faire la démonstration, ne serait-ce qu'un soir, que le cinquième choix pouvait être aussi utile que le premier. D'ailleurs, n'eut été de la gaffe commise par les deux officiels, qui n'ont pas vu comment le but gagnant de Letang a été obtenu, le gardien du Canadien aurait été le grand gagnant de ce match d'une qualité supérieure.

On n'aurait jamais pu le deviner en 2005, mais Crosby et Price semblent être devenus les deux joueurs les plus importants de ce repêchage. Crosby parce qu'il est aujourd'hui le meilleur athlète de son sport. Price parce qu'un gardien, qui a le potentiel pour devenir un joueur étoile pendant une quinzaine d'années, n'a pas de prix pour une organisation.

La question mérite d'être posée. Qui, au sein de ce repêchage, représente la base la plus solide pour les années à venir? Bobby Ryan ou Price? Anze Kopitar ou Price? Paul Statsny ou Price? Kristopher Letang ou Price?

Par contre, ce repêchage, qui représente actuellement la planche de salut du Canadien, a bien failli virer à la catastrophe. Si la loterie de la Ligue nationale avait permis au Canadien de profiter du quatrième choix au lieu du cinquième, c'est Benoît Pouliot que l'équipe aurait réclamé. Timmins et son personnel avaient établi très clairement qu'il serait leur premier choix. C'est Pouliot que le Canadien voulait à tout prix. Il était bon patineur. Il possédait de bonnes mains. Il avait la carrure voulue avec ses six pieds, trois pouces et ses 200 livres. Et il était Francophone.

Dans son évaluation finale, le Canadien n'avait sans doute pas remarqué que Pouliot avait un problème qui se situait entre le coeur et la volonté. Comme quoi les plus petits détails peuvent parfois conduire aux plus grandes erreurs.

L'acquisition de Pouliot aurait fait régresser le Canadien de quelques années. Celle de Price lui permet de vivre d'espoir.