L'amateur de hockey québécois est très au fait du système qui prévaut au niveau junior québécois et canadien. Mais qu'en est-il exactement en Russie? Dans une série de quatre textes, notre collaborateur Alexandre Pouliot-Roberge fait le tour de la question. Pour entamer le sujet, il nous entretient aujourd'hui de la mise sur pied de la MHL.

(Collaboration spéciale Alexandre Pouliot-Roberge) - La mise sur pied de la Ligue continentale de hockey (KHL) a fait beaucoup de bruit en 2008, mais le nouveau système en développement outremer demeure flou aux yeux du public nord-américain.

L'acquisition de Jaromir Jagr par l'Avangard d'Omsk à l'été 2008 et le conflit entourant le statut contractuel d'Alexander Radulov depuis son transfert à Oufa ont certes attiré l'attention sur la marque de commerce KHL, mais les changements fondamentaux ayant lieu en Fédération de Russie et dans les pays limitrophes n'ont été qu'effleurés jusqu'à maintenant.

Un de ces changements fondamentaux est la création d'un circuit junior inspiré de la Ligue canadienne de hockey (LCH). La Molodejnaya hokkeynaya liga (MHL), se traduisant du russe par Ligue jeunesse de hockey, tient son premier match le 4 septembre 2009 à Moscou. Alexander Ovechkin et Alexander Medvedev se chargent de la mise au jeu protocolaire. L'Armée rouge, club-école du Club central sportif de l'armée (CSKA), y affronte le Dinamo junior, l'ancien club-école du Dinamo de Moscou. Ce dernier remportera ce match 6 à 2. Cette joute est, selon le président de la MHL Dmitry Efimov, le premier pas vers une infrastructure nécessaire pour le hockey russe.

Une nécessité

« Personne ne se préoccupait d'avoir un vrai système de hockey junior » sous l'air soviétique, explique Dmitry Efimov. « L'équipe nationale était basée sur un seul club : le Club central sportif de l'armée (CSKA). C'était très avantageux pour l'équipe nationale, poursuit monsieur Efimov. Contrairement au Canada et aux autres pays, où les meilleurs joueurs sont sélectionnés dans différents clubs pour s'entrainer durant une période limitée avant les Jeux olympiques et les championnats mondiaux, l'entraineur du CSKA pouvait s'approprier n'importe quel joueur d'Union soviétique à tout moment. C'était très efficace. »

En URSS, « tout le monde connaissait ce système basé sur ce club et savait qu'un immense pays trouverait toujours assez de joueurs pour ce club », ajoute le président de la MHL. L'intérêt pour une ligue junior russe n'est venu qu'avec l'écroulement de l'Union soviétique. « Les temps ont changé et, aujourd'hui, plus personne ne peut plus mettre tous les meilleurs joueurs dans un seul club pour former une équipe nationale. Nous devons maintenant travailler avec les contrats comme en Amérique du Nord », explique-t-il. « La nécessité d'avoir un système de hockey junior efficace s'est imposée par elle-même. »

L'expatriation vers la LCH des joueurs juniors russes fait aussi partie des raisons à la source de la création de la MHL. Les meilleurs joueurs juniors russes « ne vont pas en Amérique du Nord uniquement pour joueur dans la Ligue nationale de hockey (NHL), » explique Dmitry Efimov. « Ils veulent évidemment y jouer. Tout le monde veut jouer dans la LNH, c'est la meilleure ligue du monde, mais une autre raison est qu'avant la MHL, ils n'avaient pas de bonnes places où jouer pour eux » en Russie.


Dmitry Efimov

« Nous avions un système de club-écoles au sein desquels un jeune de 16 ans pouvait jouer avec un homme de 40 ans. C'était un mixte fou de jeunes talents et de vétérans ayant évolué durant 20 ans pour l'équipe et que les clubs gardaient au sein de la formation, car on n'osait pas les congédier. Ce n'était pas sérieux. Il n'y avait pas de championnat national. Les équipes évoluaient seulement dans leur région géographique directe. Ce n'était pas du grand hockey », avoue monsieur Efimov. « Les jeunes voulaient quitter, car ils veulent évoluer dans des arénas présentables, avoir des partisans et vivre tout ce qui vient avec le hockey des ligues majeures même s'ils ne sont pas encore en âge d'y jouer », conclut-il.

D'un sport d'élite, à un sport de masse

« En ce moment, le hockey n'est pas un sport de masse » en Russie, explique Dmitry Efimov. « C'est un sport pour les privilégiés, surtout après l'âge de 16 ans. Avant cet âge, il y a beaucoup d'écoles de hockey, mais après ou 16 ou 17 ans, il n'y a plus d'équipe où jouer » pour la majorité des jeunes hockeyeurs. « C'est un problème que nous devons régler. »

Le système des écoles de hockey est bien différent en Russie du système fédératif nord-américain. Les jeunes hockeyeurs peuvent joindre une de ces multiples écoles lors de leurs camps de sélections. La nature de ces institutions diffère d'une à l'autre. Certaines sont liées à des clubs de la KHL et d'autres à des clubs de la Vischaya hokkeynaya liga (VHL), se traduisant du russe par Ligue suprême de hockey et jouant un rôle similaire à la Ligue américaine de hockey (AHL). La majorité d'entre elles, ce sont des entités indépendantes.

À l'âge de 16 ou 17 ans, les joueurs doivent se trouver un poste dans le hockey professionnel. La majorité des joueurs des écoles indépendantes cessent simplement de jouer au hockey. Les clubs de la KHL et de la VHL rejettent aussi plusieurs joueurs considérés non intéressants. « Je suis certain que nous perdons plusieurs jeunes garçons très talentueux pouvant devenir comme Datsyuk, Malkin, Morozov ou Radulov. Ils n'ont simplement pas la chance de se développer parce qu'ils terminent à l'âge de seize ans. Très peu de joueurs peuvent prouver à 16 ans ce qu'ils feront à 23, » affirme le président de la MHL. Dmitry Efimov se donne donc comme mission d'allonger de quatre années leur développement en ouvrant de nouveaux postes dans le hockey junior russe.


Un match entre l'école Ailes soviétiques contre l'école du Dinamo de Moscou.

Les deux premières années du circuit, la MHL n'a pas créé beaucoup de nouveaux postes. La première division, nommée MHL A, est formée de 32 équipes d'élite liées majoritairement aux clubs de la KHL. C'est l'avènement cette année de la deuxième division, nommée MHL B, qui devrait mener à la multiplication des postes de joueurs de hockey juniors. Elle est formée des clubs-écoles de la VHL, mais surtout de nouveaux clubs basés sur les écoles de hockey indépendantes. Ces derniers permettent de maintenir actifs leurs propres joueurs non repêchés et des joueurs non retenus par les écoles des deux grands circuits.

Des joueurs par milliers

Les joueurs non repêchés ou retranchés par les clubs de la KHL sont des milliers à se retrouver orphelins chaque année. Pavel Suchkov est l'un d'entre eux. Il est un gardien de but de 19 ans diplômé de l'école du célèbre Club de l'Armée rouge (CSKA) comme Vladislav Tretiak, mais l'équipe n'a pas retenu ses services. « Ils ne m'ont simplement pas regardé et ils ont conclu que je ne jouais pas bien. » Le nouveau club-école du Dizel de Penza dans la VHL, les Dizelists évoluant dans la division B de la MHL, lui a offert un contrat à deux volets. Ses bonnes statistiques dans le circuit junior lui ont permis d'obtenir 11 départs au sein de la VHL.

Deux anciens coéquipiers de Mikael Grigorenko se sont aussi trouvé des postes au sein des nouveaux clubs de division B de la MHL. Diplômé du CSKA, tout comme la vedette des Remparts, Vladislav Evlashkin a été recruté par le club-école du Titan de Klin en banlieue de Moscou. Jaroslav Glouchkov, quant à lui, a rejoint le club de hockey de l'Institut des sciences humaines d'Odintsovo (OGI) se situant aussi en banlieue de Moscou. L'équipe occupe au sein de cette institution scolaire un rôle similaire aux clubs de la NCAA dans les Universités américaines. Jaroslav rêve de jouer pour les Canucks de Vancouver et déplore, tout comme le président de la MHL, que le hockey soit un sport inaccessible pour la majorité de la population. « Saviez-vous qu'à Moscou il est impossible de jouer au hockey si vous ne pouvez vous payer l'école », demande-t-il au journaliste étranger.

Les anciens du CSKA ne sont pas les seules à envahir les nouveaux clubs de la division B de la MHL. Le Hc Zelenograd, situé dans un arrondissement du même nom dans la ville de Moscou, est une vraie pépinière de diplômés du Spartak. Andrei Ivanov a gardé les buts toute sa vie au sein de ce club avant de joindre le club de Zelenograd. « J'ai dû partir pour certaines raisons. » L'autre gardien de la formation, Alex Serdyukov, tient à tout prix à avoir lui aussi son interview avec le journaliste québécois parlant un russe très écorché. « Moi aussi je viens du Spartak », s'exclame-t-il dans le train de banlieue. Une bouteille de boisson gazeuse à la main, il présente ses coéquipiers un par un : « Nikolai est aussi du Spartak. Alexander aussi, etc. »

À une heure et demie de train au sud de Moscou, c'est un club indépendant de la division A qui recueille les joueurs retranchés des grandes écoles de la capitale et d'ailleurs en Russie. Le sélecteur des Kapitans de Stoupino, Valentin Anshin, nomme les écoles où il a recruté ses joueurs. « Ils ont été pris dans le Dinamo de Moscou, le Spartak, le CSKA, le Khimik de Voskresensk, l'école de Zelenograd, d'Ural, à Tcheliabinsk, etc. »

La MHL est une vraie auberge espagnole avec ses clubs universitaires, ses clubs-écoles d'équipes des ligues majeures et des ligues mineures ainsi que ses écoles de hockey auxquelles l'on a ajouté un palier supérieur. Cet ensemble d'équipes n'ayant rien en commun à première vue peut sembler un peu brouillon pour le lecteur nord-américain, mais la ligue junior russe fait partie d'un grand système cohérent dans lequel elle joue un rôle indispensable. C'est cette structure que nous décortiquerons lors du deuxième article de cette série à propos de la Molodejnaya hokkeynaya liga.