Comme tous les recruteurs, Trevor Timmins a pris de bonnes et de mauvaises décisions depuis qu'il est en poste. Il est soumis à une plus forte pression qu'un simple éclaireur parce que la responsabilité lui revient pour chacun des choix qui sont engrangés par l'équipe. Il connaît un repêchage heureux et on lui lance des fleurs. Il échappe un ou deux joueurs de talent et on le cloue au pilori. C'est la nature de son travail qui veut cela.

Il n'est pas question ici de tracer le bilan de ses années de recrutement depuis qu'il a débarqué à Montréal, il y a 11 ans. Cependant, quand il pose un geste qui risque de retarder la progression du Canadien pour des années à venir, il est inévitable qu'on lui en fasse porter tout le poids.

Je pense à Claude Giroux, évidemment. D'avoir échappé un athlète aussi exceptionnel, un futur champion marqueur de la ligue, un gagnant éventuel des trophées Hart et Conn Smythe, remis respectivement au joueur le plus utile de la saison régulière et des séries, est le genre de comportement qui devrait normalement mettre son poste en péril. Mais comme Timmins a également réclamé des Latendresse, des Lapierre, des McDonaugh, des Grabovsky, des Streit et des Kostystyn (2) qui jouent tous ailleurs, en plus des Leblanc, des Tinordi, des Gallagher et des Beaulieu, il a probablement droit à la clémence de ses dénigreurs.

On va être honnête, Giroux n'annonçait pas ça à 17 ans. On ne pouvait pas prévoir une ascension aussi rapide de sa part. Toutefois, le simple fait qu'il s'appelait Giroux et qu'il s'exprimait dans la langue de la clientèle profondément amoureuse du Canadien aurait dû inciter Timmins à lui accorder plus d'attention. Beaucoup d'attention. Ça, c'est si le Canadien, évidemment, ne nous trompe pas royalement en se disant être désespérément à la recherche d'éléments francophones.

La gaffe de Timmins reste désastreuse. C'est une bévue qu'il ne pouvait pas se permettre parce que le meilleur marqueur des présentes séries, qui vient d'éclipser Sidney Crosby et Evgeni Malkin, jouait dans sa propre cour durant son année de repêchage. Le décideur du Canadien habite Ottawa et Giroux s'est développé de l'autre côté de la rivière, à Gatineau.

On le trouvait frêle du haut de ses 5 pieds et 11 pouces et de ses 165 livres, mais le Canadien n'a jamais eu peur des petits joueurs rapides à ce que je sache. Il venait quand même de connaître une première saison junior de 39 buts et de 103 points. Après avoir été repêché par les Flyers de Philadelphie, Giroux a enchaîné avec des productions de 112 et de 106 points avec les Olympiques. Je me demande si Pierre Boivin, qui n'a pas suffisamment insisté auprès de ses directeurs généraux pour débusquer des Francophones, et Bob Gainey, dont ça semblait être la dernière des préoccupations, ont commencé à se demander s'il ne venait pas d'en échapper un autre.

Si Timmins était surtout préoccupé par l'objectif de l'organisation qui était de se rebâtir d'abord à la ligne bleue, il aurait aussi pu tenir compte de la pauvreté du matériel francophone chez le Canadien qui était encore plus criante que celle notée à la ligne bleue. Ce Franco-ontarien, qui a marqué des points dès sa première saison junior, semblait un candidat de choix pour relancer le fait français sur une base solide au Centre Bell.

Timmins lui a toutefois préféré un défenseur américain, un jeunot de high school qu'un recruteur du Minnesota lui avait fortement recommandé. David Fischer a été libéré par le Canadien depuis. Il végète dans la East Coast League, avec les Everblades de la Floride.

Une organisation ne peut pas encaisser un plus grand K.-O. quand elle laisse filer la possibilité d'embaucher un joueur de concession tout en lui préférant un athlète qui ne l'aidera jamais. On a compris que Fischer n'avait rien d'un haut choix de repêchage quand, après avoir été libéré par le Canadien, il n'a reçu aucune offre d'une formation de la Ligue nationale.

Timmins aimait peut-être Giroux, comme il l'a déjà admis, mais dans ce cas bien précis, il a choisi un marginal et ignoré une future étoile. Tout cela parce qu'il tenait mordicus à repêcher un défenseur.

Ça ne date pas d'hier

Cette impardonnable bévue me rappelle la perte sèche que le Canadien avait subie quand son premier choix de repêchage en 1975, le défenseur Robin Sadler, avait quitté l'organisation après neuf matchs seulement disputés dans la Ligue américaine. Incapable de soutenir la pression, il était retourné chez lui dans la région de Vancouver pour devenir chauffeur de camion. C'était à l'époque où le Canadien se faisait un point d'honneur de ne jamais rencontrer les espoirs avant le repêchage. Si on l'avait fait, on aurait remarqué que Sadler n'avait pas de colonne vertébrale.

Selon moi, l'erreur de jugement de Timmins fera aussi mal au Canadien que celle qui avait incité Irving Grundman à opter pour Doug Wickenheiser au détriment de Denis Savard. Le petit joueur de centre de Verdun, déjà une étoile avec le Canadien junior, était un naturel pour Montréal. Il s'est dirigé vers le Panthéon du hockey après avoir marqué 539 buts et amassé 1 511 points, séries comprises. Le successeur de Guy Lafleur, c'aurait dû être lui.

Vous en voulez une autre? Éric Chouinard (un but, quatre points avec le Canadien) au lieu de Simon Gagné (283 buts, 581 points).

Aujourd'hui, quand on constate ce que Giroux est vite devenu, un dangereux marqueur, un joueur tenace et un leader qui en mène large à tous les points de vue, et qu'on imagine assez facilement ce qu'il aurait pu apporter au Canadien, j'en ai la nausée. Croyez-vous un instant que le Canadien aurait bouclé la saison en dernière place s'il avait eu dans ses rangs un compétiteur comme lui qui ne laisse pas ses coéquipiers s'endormir? S'il avait été là pour semer de l'enthousiasme dans un vestiaire déprimé et déprimant, peut-être que l'équipe aurait bataillé jusqu'à la toute fin pour une place en séries. Peut-être qu'il aurait réussi ce qu'il a accompli à Philadelphie, c'est-à-dire rendre toute l'équipe meilleure.

Quand l'entraîneur des Flyers, Peter Laviolette, affirme que Giroux, en vertu de ce qu'il a accompli durant la série contre Pittsburgh, est actuellement le meilleur joueur au monde, cela signifie qu'il aurait pu devenir dans le chandail tricolore la première grande star offensive depuis Lafleur. Ça pourrait vouloir dire qu'on aurait enfin un athlète capable de faire vibrer le Centre Bell. Un attaquant à la couette blonde aurait succédé au Démon blond.

Faut souhaiter que Timmins ait tiré une leçon de cette bourde, une tache noire qu'il ne pourra jamais effacer de son dossier. Par la même occasion, il faudrait peut-être aussi que les dirigeants du Canadien cessent de nous mentir en plein visage quand ils jurent dur comme fer qu'ils vont toujours repêcher le meilleur joueur disponible, sans égard à sa position sur la glace.

Si, aux yeux de Timmins, le meilleur homme disponible a été Fischer cette année-là, alors il a commis une erreur d'évaluation plus grossière encore. Cela signifie que son choix avait peu à voir avec Giroux. Ça veut dire qu'il voyait Fischer et personne d'autre dans sa soupe.

Après cela, on se demande pourquoi le Canadien a si peu gagné depuis 40 ans et pourquoi il fait du sur place depuis près de deux décennies. Wickenheiser, Chouinard, Fischer et sept choix de première ronde entre 2000 et 2007 qui ont tous été échangés...

Un gaspillage de talent qu'il faut interpréter comment? Peut-on parler d'un brin d'incompétence ici?