MONTRÉAL – Mathieu Brodeur pensait avoir fait une bonne affaire quand il a signé un contrat avec le Thunder d’Adirondack. C’était pour lui le parfait compromis après avoir vu son aventure européenne frapper le mur de la COVID-19 à la fin de la saison dernière.

Glens Falls ne recèle peut-être pas les charmes de la Normandie ou la Slovaquie, mais dans l’État de New York, le vétéran défenseur retrouverait un environnement familier et un entraîneur auquel il était déjà uni par un fort respect mutuel. Il serait aussi plus près de la maison et surtout, il aurait un emploi cet hiver. Bien des confrères ne pouvaient en dire autant.

La ECHL n’avait toujours pas diffusé son calendrier quand Brodeur s’est engagé à y revenir. Un beau jour, la date du 4 décembre a été avancée pour un éventuel retour au boulot. À la fin octobre, deux équipes ont fait l’impasse sur la saison 2020-2021. Puis mercredi, six autres formations, celles qui forment la division Nord du circuit, ont annoncé qu’elles en étaient venues à la même conclusion.

Le Thunder est l’une d’elles. Les autres sont le Beast de Brampton, les Mariners du Maine, les Growlers de terre-Neuve, les Royals de Reading et les Railers de Worcester.

« Le coach nous l’a annoncé hier soir, racontait Brodeur, un ancien choix de troisième ronde des Coyotes de Phoenix, quelques heures après que la nouvelle ait été rendue publique. Ça a donné un gros coup, tu voyais que c’était tranquille. On avait eu quelques rencontres sur Zoom avant ça, tous les gars étaient excités. On avait créé un groupe de discussion, on avait fait un pool du Masters pour commencer à bâtir la chimie d’équipe. Hier, ça a été une douche froide. »

« C’est sûr qu’on entendait des rumeurs, affirme Alexandre Carrier, qui se préparait pour sa troisième saison avec le Thunder. Je regarde beaucoup les nouvelles pour suivre ce qui se passe aux États-Unis. Le nombre de cas a continué d’augmenter dans les dernières semaines. Ça ne donnait pas une bonne indication de la direction dans laquelle on s’en allait. Dans l’État de New York, les restrictions sont extrêmement sévères. Ils parlaient de peut-être laisser les fans dans l’aréna en juin! Et dans notre ligue, c’est ce qui paie nos salaires et les dépenses de l’équipe. Sans les partisans, aucune équipe n’est capable de garder le cap pendant une saison. »

« Sans partisans, on ne peut garder le cap »

La soustraction subite du quart des équipes de la ECHL signifie que plus d’une centaine de joueurs recherchent aujourd’hui désespérément une solution de rechange. Ceux dont le contrat contient une option pour la Ligue américaine peuvent espérer faire partie des plans pour la relance du circuit en février. Les autres solliciteront leurs contacts parmi les 18 clubs qui prévoient toujours lancer leurs activités quelque part cet hiver.

C’est une option qu’envisage Marc-Olivier Crevier-Morin sans toutefois se bercer d’illusions. Le défenseur de Châteauguay a passé deux ans avec le Thunder de Wichita avant de passer aux Mariners du Maine en 2019. Il pourrait retourner courtiser son ex, mais il estime que les chances de se faire reprendre sont minces.

« Il faudrait que je leur demande et que j’essaie de voir, mais d’après moi je ne serai pas le seul à essayer de changer d’équipe à la dernière minute, réalise l’ancien capitaine des Olympiques de Gatineau. Je ne sais pas si on a le droit d’être prêté, je ne sais pas si je suis joueur autonome. Je n’ai pas trop de nouvelles encore, je vais devoir m’informer. Mais d’après moi, [le Thunder] risque d’avoir une couple d’appels dans les prochains jours. »

Brodeur et Carrier devront gérer un coefficient de difficulté supplémentaire dans leurs démarches. Parce qu’ils ont disputé plus de 260 matchs dans le hockey professionnel, ils traînent avec eux le statut de « vétéran ». Une équipe de la ECHL ne peut en compter plus de quatre dans sa formation.

« Ça limite un peu mes options, est forcé de constater Carrier. La plupart des équipes ont probablement déjà leurs vétérans dans leurs rangs, donc ça risque d’être vraiment dur pour un gars comme moi de trouver une nouvelle place. C’est sûr que c’est dur à avaler. C’est pas le fun de se faire dire qu’on doit mettre une croix sur une saison complète. »

Pas de sot métier

Il n’y a pas de fortune à faire dans la ECHL. Le salaire minimum pour un joueur qui compte au moins 25 matchs d’expérience au niveau professionnel est de 530$ par semaine. Une équipe ne peut pas verser plus de 13 300$ en paie sur une base hebdomadaire. La plupart des joueurs ont un emploi saisonnier qui leur permet de faire le pont entre la fin d’une saison et le début d’une autre.

Crevier-Morin, par exemple, a passé une partie de la saison morte à poser du bardeau d’asphalte sur les toitures de la Rive-Sud pour la compagnie de son père. Le métier est parfait pour un joueur de hockey qui peut reprendre sa poche à l’automne, quand les contrats commencent à diminuer. « Mais en ce moment, je suis un peu mal pris », constate-t-il. En pensant à l’hiver qui s’en vient, il se dit qu’il ira peut-être aider un ami de son frère qui gagne sa vie en déneigeant des toitures et en nettoyant des gouttières.

« Le gros point négatif, c’est qu’on s’est entraîné tout l’été. On est un groupe qui se tient, on travaille vraiment fort pour être prêt pour la saison et malheureusement, on apprend ça. Tous les efforts, tous les sacrifices que tu mets, éviter de sortir, éviter de faire des niaiseries... En plus je reviens d’une opération, j’ai travaillé deux fois plus fort. C’est ça qui fait le plus mal, je pense. »

Père de deux filles, Mathieu Brodeur a passé l’été à installer des gazebos pour le compte de Club Piscine. « J’aimais ça, ça me sortait un peu du monde du hockey, ça libérait mon esprit. Normalement, la fin de la job devait coïncider avec le retour du hockey. J’ai prolongé ma saison un peu en attendant qu’il se passe de quoi, mais là je vais devoir me réinventer. »

Confiné aux États-Unis avec sa femme depuis bientôt un an, Alexandre Carrier profite de son horaire moins chargé pour s’avancer dans ses études en finances. Le Beauceron suit des cours en ligne à l’Université Athabasca, une institution albertaine qui est associée à la ECHL. À 29 ans, il croit avoir encore de bonnes années de hockey devant lui, mais il ne peut se permettre le luxe d’attendre les bras croisés.

« C’est sûr que l’aspect monétaire, c’est quelque chose que je vais devoir regarder. En ce moment, je suis en attente pour avoir mon permis de travail. Ça devrait se passer à la fin du mois ou le mois prochain. Après, je vais pouvoir envoyer des applications pour travailler dans mon domaine pour gagner de l’expérience, mais faire de l’argent aussi et rester occupé. Parce que quand tu planifies de jouer au hockey pendant six mois, il faut que tu essaies de remplir ce vide que l’annulation de la saison a créé. Ça va être une adaptation. »