Comment diable une équipe si ordinaire en saison régulière a-t-elle pu devenir une formation aussi extraordinaire en séries?

J'imagine qu'il est plus facile de convaincre un groupe d'athlètes de gagner un match à la fois dans de courtes séries que de les placer en face d'un interminable calendrier de 82 parties auxquelles ils n'accordent pas toujours toute l'attention et l'importance voulues.

Après avoir successivement écarté de son chemin la formation par excellence de la saison et les champions en titre de la coupe Stanley, le Canadien se retrouve au coeur d'une autre très longue randonnée. Un marathon de matchs cruciaux qui nécessitent qu'on laisse toutes ses énergies sur la patinoire, soir après soir, et qui commande une bonne dose de caractère, de courage, de détermination et d'unité.

Comment cette formation tissée serré, qui a accompli deux exploits qu'on croyait impossibles, en est-elle venue à devenir une famille en si peu de temps? Certes, il y a eu une préparation mentale minutieuse faite par les entraîneurs avant le jour un des séries, mais il n'a sans doute pas été facile de convaincre des joueurs, qui avaient mérité leur laissez-passer pour les séries par le biais d'une défaite en prolongation encaissée lors du dernier soir du calendrier, d'acheter le système des séries. Cependant, ils étaient à ce point négligés qu'ils n'avaient d'autre alternative de suivre le plan proposé.

D'abord, il y a eu cette étonnante première victoire à Washington qui leur a fait réaliser qu'ils pouvaient se battre d'égal à égal avec les meilleurs. Puis, il y a eu ces trois matchs suicides dont le Canadien est étrangement sorti vivant. C'est précisément durant ce trio de victoires dans des parties sans lendemain que l'équipe s'est soudée et qu'elle a compris qu'il n'y avait qu'une façon pour elle de continuer à progresser dans les séries. Il fallait que ce soit un pour tous et tous pour un.

Graduellement, ils sont devenus des frères. Or, que fait-on quand un frère est en difficulté? On se porte à son secours, on l'aide à se relever, on souffre avec lui et on gagne à ses côtés. Voilà pourquoi ils sont en train de vous faire rêver à la coupe, celle qu'on attend depuis 17 ans et qu'on pensait ne pas revoir de notre vivant au Québec.

C'est assez spécial, à la limite de la compréhension, ce qu'on voit en ce moment. Franchement, je crois que les moins étonnés sont les joueurs eux-mêmes. Comme chroniqueurs ou comme fans, on se contente souvent d'une vue d'ensemble de la situation. Par exemple, on ne se serait pas étonné de voir les Capitals gagner parce qu'ils étaient les meilleurs. On aurait compris si les Penguins avaient eu le meilleur dans cette septième partie parce que le Canadien nous en avait déjà donné beaucoup plus qu'on aurait pu l'imaginer.

Après tout ce qu'on vient de voir, tous les espoirs sont certainement permis. Parce que le gardien Jaroslav Halak ne flanche pas, parce que ses coéquipiers impressionnent par leur éthique de travail et parce qu'une main divine donne parfois l'impression de les guider et de les garder dans le droit chemin.

Le Canadien est toujours bien en vie malgré la perte de leur général, Andrei Markov, de la longue absence de Jaroslav Spacek et de la blessure subie par Hal Gill qui a bloqué 53 tirs à lui seul durant cette série.

L'équipe a gagné malgré une production offensive qui a été surtout l'affaire de trois joueurs. Mike Cammalleri a touché la cible sept fois en autant de matchs. Brian Gionta est devenu le premier Américain dans l'histoire du Canadien à obtenir cinq buts dans une même série. Cammalleri et Gionta ont d'ailleurs marqué sept des 11 derniers buts de l'équipe.

Le troisième joueur productif a été Maxim Lapierre qui a marqué deux buts d'une grande signification, dont celui de la victoire dans le sixième match. Un marqueur de sept buts en saison régulière, Lapierre semblait destiné à subir le même sort que Guillaume Latendresse au cours de l'été. Il va sauver son job parce ses patrons savent maintenant ce qu'il est en mesure d'offrir quand il s'y met.

La consternation

On n'a pas de mal à imaginer la consternation qui règne au sein de l'organisation des Penguins et dans la ville de Pittsburgh en ce moment. Ils étaient champions. Ils avaient dans leurs rangs celui qu'on a étiqueté le meilleur joueur au monde, Sidney Crosby. Et il a fallu qu'une bonne petite équipe de cols bleus viennent les humilier dans leur propre édifice.

Curieusement, c'est leur leader et capitaine qui a ouvert grand la porte au Canadien en commettant une infraction stupide aux dépens de Josh Gorges, 10 secondes après la première mise au jeu, savourant ainsi une petite vengeance personnelle à la suite de l'échauffourée entre les deux joueurs qui avait marqué la fin du match précédent.

Quelle mauvaise façon d'indiquer la marche à suivre à ses coéquipiers! Brian Gionta a ouvert le bal 22 secondes plus tard et son équipe n'a plus jamais regardé derrière, s'offrant même un festival offensif de quatre buts sans riposte.

Il est beaucoup trop tôt pour imaginer un défilé dans les rues de Montréal, même si la prochaine série opposera le Canadien à une équipe de 14e place, les Bruins de Boston, ou de 18e rang, les Flyers de Philadephie. Le fait que les Flyers aient forcé la présentation d'un septième match vendredi représente une bénédiction pour l'équipe dirigée par Jacques Martin qui en était à son 14e match en 28 jours. Le Canadien profitera donc d'un congé longtemps espéré de trois jours.

Cela permettre de guérir quelques blessures et d'aider Halak à reprendre son souffle. Halak, qui a mérité une étoile dans chacune des victoires de son équipe, s'est chargé de casser les reins des Penguins grâce à des arrêts de toute beauté aux dépens de Crosby et de Malkin durant des attaques massives en troisième période. Malkin était convaincu d'avoir une cage déserte devant lui quand il a tiré de toutes ses forces en direction du but alors qu'il était posté à une vingtaine de pieds de Halak. La jambe gauche du gardien a dit non.

Ceux qui étaient devant leur téléviseur, à l'occasion du septième match de la finale contre Chicago en 1971, ont sans doute cru revoir l'arrêt fabuleux réussi par Ken Dryden contre Jim Pappin avec trois minutes à jouer. Dryden avait sauvé le match et la coupe pour son équipe ce soir-là.

Mercredi soir, l'arrêt de Halak a assuré la présence de son équipe en finale de l'Association Est. On est encore loin de la coupe, mais c'est le plus près qu'on s'en soit approché en 17 ans.

Il y a 17 ans, le sauveur était venu de Sainte-Foy. Ce printemps, c'est le drapeau de Bratislava qu'on devrait planter devant le Centre Bell. Après tout, c'est à lui qu'on doit toutes ces célébrations sur l'Avenue des Canadien.