Au fil des ans, j'ai observé des dizaines de recrues qui ont tenté de faire leur place dans la formation du Canadien. Des bonnes et des moins bonnes. Des disciplinées et des controversées. Des recrues qui n'ont fait que passer et d'autres qui ont patiné jusqu'au Panthéon. Certaines qui n'étaient pas dignes de porter ce chandail et d'autres dont les dossards se balancent dans les hauteurs du Centre Bell.

J'ai vu arriver l'ultime recrue, Guy Lafleur, quelques heures après l'annonce de la retraite de Jean Béliveau. J'ai vu débarquer des jeunes qui allaient devenir, à l'instar de Lafleur, de vrais Glorieux: Shutt, Dryden, Robinson, Gainey et Roy.

Un soir, dans la fournaise du Boston Garden, deux jeunes guerriers, Risebrough et Tremblay, ont eu l'impression de jouer leur carrière en disputant leur premier match dans la ligue face aux intimidants Bruins. Ils ont tenu leur bout et ne sont plus jamais retournés dans les mineures. Des nombrils verts comme on les aimait.

C'était à une autre époque, me direz-vous. Une époque au cours de laquelle les jeunes prenaient leur trou en courbant l'échine devant les vétérans et en perdant le sommeil devant la crainte que leur inspiraient leurs entraîneurs. Cependant, je ne me souviens pas qu'on ait traité un jeune aussi durement que P.K. Subban qui, pourtant, sera assez grand un jour pour écrire son propre chapitre dans la glorieuse histoire du Canadien.

Pourtant, un intouchable comme Lafleur, le seul homme digne de succéder à Béliveau, en a bavé pas mal sous la gouverne intraitable de Scotty Bowman. Aucun entraîneur n'aurait pu aller aussi loin que menacer Flower de le céder aux ligues mineures. Ce que Bowman a fait dans son cas et dans celui de Shutt sans la moindre gêne. Pour utiliser une expression chère à Jacques Demers, ces deux joueurs en ont mis 1 092 dedans avant de remiser leurs patins. J'imagine que Bowman ne pouvait pas savoir.

On ne reviendra pas sur ce que l'entraîneur Jacques Martin, quelques vétérans de l'équipe et même une certaine faction du public et des médias ont fait subir à Subban cette saison. Martin, que Subban a brillamment dépanné durant les séries du printemps dernier, a décidé de le mettre en pénitence comme on le faisait à la petite école. À grands coups de tapes sur les doigts. «Vas dans le coin, mon jeune. Tu sortiras de là quand tu parleras le même langage que les autres».

De leur côté, des vétérans imbus de leur statut privilégié, qui craignaient d'avoir à lui céder un peu de leur petite visibilité personnelle, l'ont mouchardé en catimini. Pas très édifiant tout ça.

Il a bien fait les choses

Aujourd'hui, j'en ai contre le fait que ce genre de comportement se poursuive avec Subban. Quoiqu'il fasse, le jeune défenseur doit constamment défendre ses actions alors qu'il ne fait que préconiser le style qui l'a mené rapidement à la Ligue nationale. Il est un surdoué. Devant des pur-sang dans son genre, on ne dresse pas de barrières. On les laisse courir. On les laisse s'exprimer.

À 21 ans et avec 61 matchs d'expérience dans sa besace, séries éliminatoires incluses, Subban a été l'un des deux représentants du Canadien avec Carey Price au match des étoiles. Il s'y est présenté avec son exubérance habituelle, à la fois heureux et honoré d'avoir été invité à jouer dans la cour des grands.

En public, il s'est comporté avec classe. Sur le tapis rouge, il a signé des autographes avec le sourire, en y allant parfois d'un brin de conversation avec ses nouveaux fans. Sur la patinoire, il a été égal à lui-même, expressif, spectaculaire et super talentueux. Durant le concours d'habileté, on l'a regardé faire ses trucs. Pourtant, on n'a entendu aucun joueur étoile affirmer qu'il en faisait trop. Cela a dû le changer de ce qu'il vit au sein de sa propre équipe.

L'ensemble de la ligue sait déjà qui il est. Quand il a joué avec l'aplomb d'un vétéran en remplacement d'Andrei Markov durant les séries du printemps, contre deux formations que le Canadien n'était pas censé vaincre, il a attiré les regards de la ligue dans son ensemble. Il fallait un talent fou et beaucoup de cran pour s'afficher de cette façon avec une expérience de deux matchs seulement dans la Ligue nationale.

Et ça se poursuit comme on l'a constaté mardi à Washington. Son entraîneur lui a demandé de se concentrer sur l'arme de destruction massive des Capitals, Alexander Ovechkin. Est-ce qu'il l'a mis hors d'état de nuire avec brio? Dites-moi, combien y a-t-il de défenseurs de 21 ans dans toute la ligue capables de remplir aussi adéquatement une mission aussi difficile que celle-là?

Si le défenseur des Sharks de San Jose, Dan Boyle, lui a suggéré de porter le chandail de la jeune vedette locale Jeff Skinner, afin de s'attirer la sympathie des supporters des Hurricanes de la Caroline, c'est un signe qu'on en sait déjà beaucoup sur lui dans le circuit. Boyle ne lui aurait pas fait cette suggestion s'il n'avait pas vu en lui un joyeux luron capable de jouer le jeu pour animer la foule.

Quand il s'est exécuté, les joueurs étoiles l'ont observé, le regard amusé. Skinner semblait particulièrement heureux de le voir tester la réaction de la foule avec son chandail. Bref, c'était amusant et divertissant dans le cadre d'un concours d'habileté qui se prête bien à ce genre de pitreries. Qui a oublié le spectacle d'un Ovechkin, porteur d'un chapeau de paille et de verres fumés, fonçant vers le gardien avec deux bâtons dans les mains lors de la compétition du match des étoiles au Centre Bell? Est-ce qu'on l'a accusé d'avoir manqué de respect envers son sport? Pas du tout. On l'a trouvé drôle, spectaculaire et plutôt sympathique.

Au lendemain de cette partie de plaisir en Caroline, j'ai été éberlué d'entendre à diverses émissions de radio et de télé des analyses profondes, assorties de reproches mesquins, au sujet de l'attitude de Subban qui aurait, semble-t-il, déshonoré le chandail du Canadien en endossant celui d'un compétiteur. Misère. Pour une fois qu'il avait reçu l'absolution d'un vétéran avant de s'exécuter.

Pourquoi le traite-t-on ainsi?

Quand va-t-on le laisser tranquille? Si Subban n'avait pas la couenne aussi solide, s'il n'était pas déjà cuirassé contre la critique, on serait sans doute parvenu à saper sa belle confiance. On aurait fait de lui un défenseur nerveux qui n'oserait plus courir le moindre risque et qui ne ressemblerait en rien au jeune athlète à qui on prédit le poste de défenseur numéro un de l'équipe d'ici deux ou trois ans.

Subban n'a rien fait de répréhensible en portant un chandail des Hurricanes pendant deux petites minutes. Je serais très étonné que le président-propriétaire Geoff Molson se soit étouffé dans sa bière en regardant son joueur amuser la galerie de cette façon. Le chandail du Canadien, Subban aura des centaines d'occasions de le porter fièrement durant une carrière qui s'annonce prometteuse. Une carrière qui nous en fera voir de toutes les couleurs si on peut enfin le laisser s'exprimer sans lui tomber dessus chaque fois qu'il ne se comporte pas comme Jean Béliveau.

Un pied dans la bouche

Entendu à la radio, au lendemain du match des étoiles, un analyste en vue des ondes affirmer que le match des étoiles a offert un spectacle digne des ligues de garage. Le même gars analyse avec enthousiasme les parties de la série Montréal-Québec.

Parlant de ligue de garage.