MONTRÉAL – Idriss Bouhmouch aimerait un jour travailler dans les bureaux d’une équipe de la Ligue nationale de hockey.

« Bonne chance! », lui souhaiteront sans doute laconiquement certains lecteurs en lui pointant du doigt l’extrémité d’une longue file d’attente imaginaire. En effet, quel amateur de hockey ne rêve pas de laisser sa « job de jour » pour accéder à un poste qui lui permettrait d’appeler par leur petit nom les 32 directeurs généraux de la LNH?

Mais Bouhmouch a une bonne longueur d’avance sur le quidam qui passe présentement une partie de ses soirées à se demander qui, de Shea Theodore ou Tyson Barrie, il gardera dans son keeper. On l’écoute parler et on a même envie de dire qu’il n’est pas si loin d’atteindre son but.

Le Montréalais de 32 ans travaille à temps plein dans le monde de la technologie et de la finance. Il est aussi complètement fou de hockey. Il y a quatre ans, il a commencé à échafauder un projet en parallèle à sa carrière. En combinant sa connaissance approfondie de la convention collective de la LNH, une interprétation poussée des statistiques avancées et une étude exhaustive des tendances, il a érigé une plateforme numérique qui lui permet de calculer ce qu’il juge être la juste valeur d’un joueur au moment de la négociation d’un contrat.

Par le biais de son entreprise, The Hockey Code, il offre ses services comme consultant auprès d’agents de joueurs. Allain Roy, qui compte Nico Hischier, Ben Bishop et Jake Allen parmi ses poulains, est l’un de ceux qui ont ouvertement affiché leur intérêt pour son travail. Il a aussi établi des relations avec les négociateurs de quelques équipes de la Ligue nationale. Peu importe de quel côté des pourparlers il se trouve, il offre à son client des recommandations précises basées sur leur réalité et leurs besoins.

« Je suis comme le joker dans la manche de l’agent, se décrivait-il dans une récente discussion avec RDS. Au cours de la saison, on va avoir des conversations. Il va me dire ce que l’équipe lui donne comme comparable pour son joueur. Là, je vais poser des questions. Est-ce que le joueur veut tester le marché des joueurs autonomes? Souhaite-t-il rester avec son équipe actuelle? Cherche-t-il du court terme, du long terme? C’est comme si on faisait un round de boxe de pratique. Moi, ensuite, je pars avec ça et je prépare un rapport. »

Lorsque Bouhmouch remet le fruit de ses recherches, son destinataire s’en va au bâton avec toutes les réponses dont il a besoin pour justifier ses demandes et éviter les surprises. Rien de ce qui peut être calculé n’est laissé au hasard.

« J’ai déjà travaillé pour une firme qui faisait la comparaison de produits financiers, une sorte d’Expedia pour les hypothèques, les cartes de crédit, etc. Dans ma tête, ce n’est pas super différent de comparer des joueurs de hockey », raisonne le diplômé de l’Université Queen’s et étudiant à HEC Montréal.

« Mon processus est vraiment axé sur les données. Maintenant, dans toute négociation, il y a une part d’impondérables. Si le joueur veut accepter moins d’argent pour rester où il est, c’est subjectif. Si l’équipe veut payer un peu plus pour s’assurer des services d’un bon soldat, c’est son droit. C’est à l’agent ou au directeur général de jouer ces cartes-là. Mais d’habitude, le joueur signe à environ 5% de mes recommandations. »

Un milieu difficile à percer

C’est une chose d’avoir la conviction qu’on puisse être un atout pour une équipe de la LNH. C’en est une autre d’obtenir la chance de le prouver.

Une fois convaincu qu’il était assis sur du solide, Idriss Bouhmouch a dû s’extirper de l’anonymat en bâtissant son réseau, maille par maille. Il a fait des appels et envoyé des messages. « La moitié du temps, je n’avais pas de réponse », admet-il. L’an dernier, il s’est rendu au repêchage de la LNH à Vancouver. Il a arpenté les coulisses du Rogers Arena et les lobbys d’hôtel, il a serré des mains.

« Dans la vie, je négocie des ententes technologiques avec des institutions financières. Je travaille beaucoup avec des chefs de département qui sont hyper sollicités et pour qui le temps, c’est de l’argent. Pour moi, ça a toujours été d’être très professionnel dans mon approche et d’aller droit au but. Voici ce que je peux t’apporter qui va te permettre d’offrir un meilleur service à tes joueurs et qui va t’aider dans ton processus de négociation. Le fait que je viens du milieu financier m’offre une perspective différente d’un ancien joueur qui veut percer dans ce domaine. »

 « Il y en a qui trouvaient ça cool, qui prenaient ma carte, poursuit-il. J’ai bâti des relations avec ces gens-là. Il y en a d’autres qui sont dans la business depuis longtemps et qui ont une façon de faire qui leur est propre, qui ne croient pas tant que ça au changement. Il y a une vieille garde qui ne voulait pas vraiment m’entendre au-delà de ma troisième phrase! C’est sûr que j’ai eu plus de "non" que de "oui". Mais ça prend juste les bons "oui" pour avoir les bonnes opportunités. »

Par respect pour ceux qui font appel à ses services, Bouhmouch se fait discret sur leur identité ou sur les dossiers auxquels il a contribué. « J’ai fait des contrats pour des capitaines d’équipes de la LNH, pour des choix de première ronde, se contente-t-il de dévoiler. C’est quand même excitant. »

Pour le père de deux jeunes garçons, The Hockey Code est pratiquement devenu un deuxième travail à temps plein. Les périodes les plus occupées de l’année – la date limite des transactions et l’ouverture du marché des joueurs autonomes – peuvent raccourcir passablement ses nuits de sommeil. Mais il sent que ses sacrifices commencent à rapporter.

« Je suis toujours dans le processus de faire ma place. Je suis un peu plus proche que je l’étais l’an dernier ou l’année d’avant. Mais pour devenir adjoint à un DG ou quelqu’un qui aide à la gestion du plafond salarial, c’est un projet à long terme. »