«J'aime bouger» - Pierre Gauthier
Hockey mercredi, 17 mars 2010. 11:11 vendredi, 13 déc. 2024. 15:57
Quand Pierre Gauthier s'est vu offrir un poste de recruteur au niveau professionnel par Bob Gainey, il y a six ans et demi, il ne s'attendait jamais à retourner dans un rôle qu'il connaissait déjà fort bien, celui de directeur général. Encore moins à Montréal, faut-il le dire.
Gainey était un icône dans cette organisation. Il avait connu une carrière qui l'avait conduit au Panthéon de la renommée du hockey. Il était à ce point respecté que c'était les gens de Molson, propriétaires de l'équipe, qui l'avaient personnellement embauché pour succéder à André Savard. En cours de route, il était devenu le chouchou du nouveau propriétaire, George Gillett, qui le considérait comme le dieu du hockey en personne.
Bref, Gainey était en selle pour longtemps. Il aurait été présomptueux de la part de Gauthier de s'imaginer un jour confortablement assis dans la chaise du directeur général. Surtout que Gainey et lui sont des amis de longue date. Gauthier était sans doute si reconnaissant envers Gainey de l'avoir ramené dans le hockey que la perspective de gravir d'autres échelons au pas de course au septième étage du Centre Bell ne lui avait même pas effleuré l'esprit.
Leur amitié remonte aux Jeux olympiques de Nagano quand le directeur général de l'équipe du Canada, Bobby Clarke, les avait retenus comme adjoints. Cette expérience olympique leur avait permis de mieux se connaître et de devenir des amis.
Il y a sept ou huit ans, tous les deux sans travail après avoir été respectivement remerciés par Dallas et Anaheim, Gainey et Gauthier avaient cassé la croûte dans un restaurant de Montréal. De fil en aiguille, ils s'étaient dit qu'ils travailleraient peut-être ensemble un de ces jours. Une fois promu chez le Canadien, le plus brillant attaquant défensif dans l'histoire de l'équipe n'a pas mis de temps à trouver un rôle fait sur mesure pour son ami. Il était sans doute loin de s'attendre à préparer sa propre relève, même si la présence à ses côtés d'un homme qui avait déjà été le directeur général de deux organisations dans la Ligue nationale assurait le Canadien d'une belle police d'assurance à ce niveau.
Dans le cadre d'une longue entrevue exclusive accordée à RDS.CA, le nouveau patron du Canadien, secteur hockey, lève le voile sur certains traits de sa personnalité et sur sa vision personnelle des choses à l'heure d'orchestrer une autre relance du Canadien.
B.R. : Surpris d'en être là, monsieur Gauthier?
P.G. : «Je me suis toujours fixé comme objectif d'effectuer le meilleur boulot possible dans le meilleur job que je pouvais décrocher. Quand on me demandait ce que je faisais pour gagner ma vie, je répondais toujours que je travaillais dans la Ligue nationale. Je ne racontais pas ce que je faisais parce que très tôt dans ma carrière, je me suis dit que j'occuperais éventuellement différents postes avec différentes équipes. Je dois vous avouer qu'il n'y a pas eu un défi que je n'ai pas aimé parce que j'étais chaque fois dans mon élément. Je travaillais là où je voulais être, dans le hockey.»
B.R. : Quand Gainey vous a offert ce boulot de recruteur professionnel, saviez-vous à quoi allait ressembler la suite des choses?
P.G. : «Aucunement. C'était un emploi qui m'intéressait aux côtés d'une personne intéressante. Quand il m'a fait signer mon premier contrat, je lui ai précisé que je n'aurais pas accepté sa proposition si je n'avais pas été convaincu d'être parfaitement heureux d'accomplir cette tâche durant 10 ans. C'est vraiment de cette façon que j'entrevoyais les choses. Peu de temps après, je suis devenu son adjoint.»
B.R. : Bien honnêtement, quand on est un directeur général de carrière, comment peut-on déclarer qu'on sera heureux de se contenter d'un rôle de recruteur durant 10 ans?
P.G.: «J'ai accompli toutes sortes de choses dans le hockey. J'ai été recruteur et directeur du recrutement chez les Nordiques. J'y ai travaillé deux ans à temps partiel et cinq ans à temps plein. J'ai été adjoint au directeur général avant d'occuper le poste à deux autres endroits. Bref, ma carrière s'est toujours déroulée au deuxième étage. Je suis beaucoup plus un administrateur de carrière qu'un directeur général de carrière.»
B.R. : Y a-t-il eu un moment au cours duquel Gainey vous a mentionné que vous alliez éventuellement devenir son successeur?
P.G. : «C'est arrivé quand il a amorcé son processus de décision. C'est survenu durant la période des Fêtes. Sans qu'il l'ait dit ouvertement, on se doutait qu'il planifiait son départ. Il n'y avait encore rien de concret, mais on voyait venir les choses. C'est vraiment durant cette période qu'il a commencé à m'en parler et qu'il est allé faire part de ses intentions à Pierre Boivin.»
B.R. : Vous vous ressemblez beaucoup, Gainey et vous. Vous êtes discrets, cachottiers. Vous n'annoncez jamais vos intentions. Quel est votre plus grand trait de ressemblance avec votre prédécesseur, selon vous?
P.G. : «Dans son cas comme dans le mien, je dirais que nous n'avons pas d'ego personnel à satisfaire. Jamais dans les différentes tâches que j'ai accomplies dans le hockey, j'ai agi dans le but d'atteindre un niveau de prestige ou d'honneur personnel. Bob est ce même type de personnage. Même quand il était sur la glace, il ne se fixait pas des objectifs susceptibles de lui rapporter une certaine gloire personnelle.»
B.R. : Le boulot de directeur général est très exigeant. C'est la troisième fois que vous occupez cette fonction. Qu'est-ce que vous appréciez le plus d'une responsabilité comme celle-là?
P.G. : «Premièrement, le travail n'est pas différent ici qu'ailleurs dans la ligue. Ma tâche est la même que celle de Paul Holmgren à Philadelphie, de Doug Wilson à San Jose ou de Bryan Murray à Ottawa. Seul le contexte dans lequel on travaille est différent. À certains endroits, on essaie de vendre des billets et on est limité par considérations financières. À d'autres endroits, on doit accorder la priorité aux partisans. Dans d'autres villes, les propriétaires sont plus actifs. À Québec, à Anaheim et à Ottawa, j'ai besogné dans des marchés différents de celui de Montréal, mais dans les 30 villes de la ligue, le boulot de directeur général est exactement le même.»
B.R. : Ressentez-vous quelque chose de spécial à l'idée d'être la première tête dirigeante des Canadiens de Montréal, une équipe historique, la plus décorée de son sport?
P.G. :«Ce que je ressens de différent concerne surtout les partisans. Ils sont patients, mais ils attendent beaucoup de leur équipe. On me parle souvent de la pression provenant des amateurs, des médias et du marché de Montréal en général. Je ne ressens pas cette forme de pression parce qu'elle est représentative du nombre de fans que nous possédons et de leur passion. Pour réussir dans ce métier, il faut être fort dans tous les aspects de nos opérations. Il faut que l'entreprise représente elle-même une force. Une des facettes les plus importantes au sein du Canadien est celle qui consiste à prendre les décisions pour les bonnes raisons. Je dois m'assurer de voir à ce que cette façon de faire reste la même.»
B.R. : «Est-ce que cette nouvelle responsabilité, dans une ville qui mange et qui dort de hockey, vous empêche parfois de bien dormir?
P.G. : «Il y a une quinzaine d'années, je me souviens d'avoir passé des tests devant un psychologue industriel. Selon les résultats que j'ai obtenus, le spécialiste m'a souligné que je constituais un cas rare parce que le stress ne m'atteignait pas. Rien dans mon quotidien me dérange ou m'affecte. Il m'avait dit que j'étais le genre de personne capable de se rendre au bout de ses objectifs. J'ai développé des trucs pour combattre le stress au quotidien. L'un d'eux consiste à ne jamais ouvrir la télévision. Je ne regarde rien à la télé, pas même les nouvelles. Pour savoir ce qui se passe dans le monde, je vais sur internet et je clique sur CNN. Si quelque chose m'intéresse, j'en lis les grandes lignes et au bout de trois minutes, c'est terminé. Je ne peux pas m'asseoir et laisser la télévision bombarder mon cerveau. Le soir quand je rentre à mon hôtel, j'appelle à la maison. Je jase avec ma femme, puis je fais ma toilette et j'ouvre un livre pour me détendre. Ce ne sont pas des lectures compliquées ou d'ordre professionnel. C'est de cette façon que je termine toutes mes journées. Si je ne regarde pas la télé et si je lis des choses qui laissent place à l'imagination, je dors bien.»
B.R. : Vos enfants sont-ils fiers que leur père soit à la tête des Canadiens de Montréal?
P.G. : «J'ai quatre enfants âgés respectivement de 18, 14, 9 et deux ans. Deux garçons et deux filles. Ils ne sont pas intéressés par ce que je fais. Mon garçon de 14 ans joue au hockey. Le matin, s'il trouve le temps, il va s'informer du score de la veille, sans plus.»
B.R. : Quand le malheur a frappé Gainey, qui a perdu un enfant en mer, vous avez été appelé à prendre la relève et veillant à ce que l'équipe soit bien dirigée durant son absence. Croyez-vous que la haute direction du Canadien a réalisé à ce moment-là qu'elle possédait dans ses bureaux une police d'assurance capable d'assurer un jour une relève dans un rôle aussi crucial que celui-là?
P.G. : «Je l'ignore. C'est à eux qu'il faudrait poser cette question. N'oubliez pas que j'ai aussi été appelé à effectuer une partie de ce boulot quand Bob est passé deux fois derrière le banc. À titre d'adjoint, ça faisait partie de mon travail. Par ailleurs, avant que Bob ne manifeste son intention de partir durant les Fêtes, je n'avais pas eu la moindre indication de ce que mes patrons pensaient de moi en regard de ce boulot.»
B.R. : Quand Gainey a offert Jaroslav Halak aux Flyers et qu'ils ont refusé de leur céder un choix de deuxième ronde pour ses services, diriez-vous que c'est parfois bien utile d'être chanceux? Les Flyers agiraient probablement très différemment aujourd'hui.
P.G. : «Nos deux gardiens de but nous ont aidés à rester en vie dans une saison où nous avons été frappés durement par les blessures. Je ne dirais pas que les Flyers ne voulaient pas de Halak. Il serait plus juste de dire qu'ils ne voulaient pas accorder à Bob ce qu'il voulait. C'est drôle comment les choses se passent parfois. Disons que nous sommes contents de pouvoir compter sur deux jeunes gardiens.»
B.R. : Un directeur général aura toujours un préjugé favorable envers un joueur qu'il a repêché en première ronde. Dans le cas de Carey Price, Gainey aurait probablement été enclin à lui donner toutes les chances de réussir. Price n'étant pas votre choix personnel, vous n'avez pas le même attachement pour lui. Est-ce que cela pourrait influencer la décision que vous aurez à prendre à son sujet au cours de l'été?
P.G. : «Les décisions sont toujours prises en fonction des joueurs qui t'offrent une meilleure possibilité de gagner. L'évaluation des choix au repêchage et des joueurs autonomes que nous avons embauchés évolue constamment. Il ne faut jamais laisser notre ego dicter notre conduite. Il faut agir de la façon la plus objective possible en pensant aux années futures. Il n'y a pas de règles établies dans ces cas-là. On veut gagner, c'est tout.»
B.R. : L'été prochain, vous serez quand même dans l'obligation de prendre une décision cruciale pour l'avenir de l'organisation: Price ou Halak? Vous pourriez réussir une très bonne transaction ou commettre une gaffe majeure car si le gardien sacrifié devient une vedette ailleurs, on se souviendra toujours de celui qui l'a échangé.
P.G. : «Ce genre de décision ressemble à celles que nous avons prises avec nos joueurs autonomes l'été dernier. La nouvelle convention collective ne nous permet pas de conserver nos joueurs aussi longtemps qu'on le voudrait. D'où l'importance d'une bonne planification à long terme. Le processus de décision est devenu très complexe en raison du plafond salarial et de l'autonomie que les joueurs acquièrent à 27 ans.»
B.R. : Gardien de but, c'est un statut tellement primordial pour toutes les équipes. De très bonnes formations vont prochainement entrer dans les séries sans avoir l'assurance d'aller très loin parce qu'elles ont une faiblesse évidente à cette position. Les Flyers en sont un bon exemple.
P.G. : «C'est le choix que ces organisations ont fait. Nous avons tous la liberté de choisir où nous investissons notre argent. C'est l'équipe qui décide si elle place cinq millions de dollars sur un gardien, sur un défenseur ou sur un attaquant. C'est facile d'affirmer que les Flyers seraient meilleurs s'ils avaient dépensé beaucoup d'argent pour acquérir un gardien de premier plan, mais s'ils l'avaient fait, ils auraient créé un trou ailleurs. Le hockey a beaucoup changé. On ne peut pas combler tous les vides sans égard au budget, comme c'était le cas quand le plafond salarial n'existait pas. Ce qui compte dans les changements de personnel qu'on effectue, c'est de bien évaluer ses options. On ne peut pas toujours concrétiser son option numéro un, car il arrive qu'elle ne se présente pas.
B.R. : L'histoire retiendra que vous étiez le responsable du repêchage chez les Nordiques en 1991 quand Eric Lindros a refusé systématiquement de jouer à Québec. Avez-vous été obligé d'insister auprès de Marcel Aubut et de Pierre Pagé pour qu'ils résistent à toutes les offres qui leur ont été faites avant le repêchage?
P.G. : «Me Aubut avait fort bien compris le jeu des atouts. On se disait que si Lindros refusait de jouer à Québec, on allait réussir une transaction qui allait nous permettre de combler plusieurs lacunes. C'est le comportement de la famille Lindros qui a été le plus frustrant dans cette histoire parce que je reste convaincu que Lindros aurait joué à Québec s'il avait été libre de cette décision.»
B.R. : On a l'impression que vous vous êtes déjà moulé au style de Montréal dans le sens où vous êtes un peu plus disponible pour les médias. À Ottawa, on vous a souvent accusé de vous déguiser en courant d'air. Êtes-vous plus conscient du milieu dans lequel vous travaillez ou si vous avez changé au fil des ans?
P.G. : «Je rencontre les médias quand il se passe des choses importantes. Je l'ai fait à l'occasion de la date limite des transactions et après la récente réunion des directeurs généraux. Je me comporte ici de la même manière que je le faisais à Anaheim et à Ottawa. À Ottawa, à l'occasion de mon arrivée, il y avait un peu trop de liberté autour de l'équipe. J'ai resserré les choses et il y en a qui n'ont pas apprécié cela. Aujourd'hui, les Sénateurs agissent encore comme nous le faisions dans le temps.»
B.R. : Il y aura bientôt 17 ans que le Canadien n'a pas gagné la coupe Stanley. On a passé de plan quinquennal en plan quinquennal sans grand résultat. Pouvez-vous nous dire quelque chose de vraiment concret sur ce qui nous attend à Montréal?
P.G. : «J'en ai parlé récemment. Avant de gagner la coupe, il faut se positionner régulièrement dans le premier tiers de la ligue. C'est l'étape que nous visons. Pour y arriver, il faut être fort dans toutes les facettes de l'organisation, dans le recrutement, dans le développement, dans la façon d'administrer le budget salarial, dans le coaching, etc.
B.R. : Si le Canadien est incapable depuis des années de quitter le milieu de peloton pour accéder au premier tiers, de toute évidence, il y a des gens qui ne font pas tout ce qu'il faut pour ça et qui devront peut-être être remplacés. Ça, c'est votre rayon. Il y a peut-être des personnes dont vous n'êtes pas entièrement satisfait du rendement.
P.G. : «Ce n'est pas une question de jeter le blâme sur des gens. Peut-être que je suis dans une position pour les aider. Nous avons effectué des changements majeurs l'été dernier. Peut-être avons-nous une meilleure équipe qu'on le pense. On savait que nous serions défiés dès le départ. On ne peut pas changer 11 joueurs et un entraîneur en pensant que les choses vont tout de suite cliquer. Si nous n'avions pas subi autant de blessures, nous aurions une meilleure idée de la valeur de notre équipe. Les formations qui réussissent bien sont habituellement celles qui font deux ou trois changements par été, pas 11 d'un seul coup.»
B.R. : Est-ce que vous avez la même philosophie d'opération que Bob Gainey?
P.G. : «Pas nécessairement. Nous n'avons pas tout à fait la même personnalité, même si c'est l'impression que ça donne de l'extérieur. Bob est un ancien joueur et un ancien entraîneur. Moi, je suis un ex-recruteur. Nous avons peut-être une façon différente d'analyser les choses et de répartir notre temps et notre énergie. Je m'entends bien avec Jacques Martin. La transition a donc été facile pour moi. Chaque personne est différente.»
B.R. : Est-ce que vous êtes dans vos petits souliers à l'idée de devoir modifier certaines choses accomplies par votre prédécesseur?
P.G. : «Absolument pas. Je n'hésiterai pas à effectuer des changements si c'est dans le but d'améliorer la situation. Je n'ai aucune contrainte de ce genre. C'est toujours la compétition qui nous dicte la marche à suivre. Bob comprend ces choses-là. Tant mes patrons que les gens de hockey qui me connaissent savent que j'aime bouger. Prendre des décisions ne me fait pas peur. Nous sommes dans un milieu où il ne faut jamais hésiter à corriger les erreurs qui ont été commises.»
Gainey était un icône dans cette organisation. Il avait connu une carrière qui l'avait conduit au Panthéon de la renommée du hockey. Il était à ce point respecté que c'était les gens de Molson, propriétaires de l'équipe, qui l'avaient personnellement embauché pour succéder à André Savard. En cours de route, il était devenu le chouchou du nouveau propriétaire, George Gillett, qui le considérait comme le dieu du hockey en personne.
Bref, Gainey était en selle pour longtemps. Il aurait été présomptueux de la part de Gauthier de s'imaginer un jour confortablement assis dans la chaise du directeur général. Surtout que Gainey et lui sont des amis de longue date. Gauthier était sans doute si reconnaissant envers Gainey de l'avoir ramené dans le hockey que la perspective de gravir d'autres échelons au pas de course au septième étage du Centre Bell ne lui avait même pas effleuré l'esprit.
Leur amitié remonte aux Jeux olympiques de Nagano quand le directeur général de l'équipe du Canada, Bobby Clarke, les avait retenus comme adjoints. Cette expérience olympique leur avait permis de mieux se connaître et de devenir des amis.
Il y a sept ou huit ans, tous les deux sans travail après avoir été respectivement remerciés par Dallas et Anaheim, Gainey et Gauthier avaient cassé la croûte dans un restaurant de Montréal. De fil en aiguille, ils s'étaient dit qu'ils travailleraient peut-être ensemble un de ces jours. Une fois promu chez le Canadien, le plus brillant attaquant défensif dans l'histoire de l'équipe n'a pas mis de temps à trouver un rôle fait sur mesure pour son ami. Il était sans doute loin de s'attendre à préparer sa propre relève, même si la présence à ses côtés d'un homme qui avait déjà été le directeur général de deux organisations dans la Ligue nationale assurait le Canadien d'une belle police d'assurance à ce niveau.
Dans le cadre d'une longue entrevue exclusive accordée à RDS.CA, le nouveau patron du Canadien, secteur hockey, lève le voile sur certains traits de sa personnalité et sur sa vision personnelle des choses à l'heure d'orchestrer une autre relance du Canadien.
B.R. : Surpris d'en être là, monsieur Gauthier?
P.G. : «Je me suis toujours fixé comme objectif d'effectuer le meilleur boulot possible dans le meilleur job que je pouvais décrocher. Quand on me demandait ce que je faisais pour gagner ma vie, je répondais toujours que je travaillais dans la Ligue nationale. Je ne racontais pas ce que je faisais parce que très tôt dans ma carrière, je me suis dit que j'occuperais éventuellement différents postes avec différentes équipes. Je dois vous avouer qu'il n'y a pas eu un défi que je n'ai pas aimé parce que j'étais chaque fois dans mon élément. Je travaillais là où je voulais être, dans le hockey.»
B.R. : Quand Gainey vous a offert ce boulot de recruteur professionnel, saviez-vous à quoi allait ressembler la suite des choses?
P.G. : «Aucunement. C'était un emploi qui m'intéressait aux côtés d'une personne intéressante. Quand il m'a fait signer mon premier contrat, je lui ai précisé que je n'aurais pas accepté sa proposition si je n'avais pas été convaincu d'être parfaitement heureux d'accomplir cette tâche durant 10 ans. C'est vraiment de cette façon que j'entrevoyais les choses. Peu de temps après, je suis devenu son adjoint.»
B.R. : Bien honnêtement, quand on est un directeur général de carrière, comment peut-on déclarer qu'on sera heureux de se contenter d'un rôle de recruteur durant 10 ans?
P.G.: «J'ai accompli toutes sortes de choses dans le hockey. J'ai été recruteur et directeur du recrutement chez les Nordiques. J'y ai travaillé deux ans à temps partiel et cinq ans à temps plein. J'ai été adjoint au directeur général avant d'occuper le poste à deux autres endroits. Bref, ma carrière s'est toujours déroulée au deuxième étage. Je suis beaucoup plus un administrateur de carrière qu'un directeur général de carrière.»
B.R. : Y a-t-il eu un moment au cours duquel Gainey vous a mentionné que vous alliez éventuellement devenir son successeur?
P.G. : «C'est arrivé quand il a amorcé son processus de décision. C'est survenu durant la période des Fêtes. Sans qu'il l'ait dit ouvertement, on se doutait qu'il planifiait son départ. Il n'y avait encore rien de concret, mais on voyait venir les choses. C'est vraiment durant cette période qu'il a commencé à m'en parler et qu'il est allé faire part de ses intentions à Pierre Boivin.»
B.R. : Vous vous ressemblez beaucoup, Gainey et vous. Vous êtes discrets, cachottiers. Vous n'annoncez jamais vos intentions. Quel est votre plus grand trait de ressemblance avec votre prédécesseur, selon vous?
P.G. : «Dans son cas comme dans le mien, je dirais que nous n'avons pas d'ego personnel à satisfaire. Jamais dans les différentes tâches que j'ai accomplies dans le hockey, j'ai agi dans le but d'atteindre un niveau de prestige ou d'honneur personnel. Bob est ce même type de personnage. Même quand il était sur la glace, il ne se fixait pas des objectifs susceptibles de lui rapporter une certaine gloire personnelle.»
B.R. : Le boulot de directeur général est très exigeant. C'est la troisième fois que vous occupez cette fonction. Qu'est-ce que vous appréciez le plus d'une responsabilité comme celle-là?
P.G. : «Premièrement, le travail n'est pas différent ici qu'ailleurs dans la ligue. Ma tâche est la même que celle de Paul Holmgren à Philadelphie, de Doug Wilson à San Jose ou de Bryan Murray à Ottawa. Seul le contexte dans lequel on travaille est différent. À certains endroits, on essaie de vendre des billets et on est limité par considérations financières. À d'autres endroits, on doit accorder la priorité aux partisans. Dans d'autres villes, les propriétaires sont plus actifs. À Québec, à Anaheim et à Ottawa, j'ai besogné dans des marchés différents de celui de Montréal, mais dans les 30 villes de la ligue, le boulot de directeur général est exactement le même.»
B.R. : Ressentez-vous quelque chose de spécial à l'idée d'être la première tête dirigeante des Canadiens de Montréal, une équipe historique, la plus décorée de son sport?
P.G. :«Ce que je ressens de différent concerne surtout les partisans. Ils sont patients, mais ils attendent beaucoup de leur équipe. On me parle souvent de la pression provenant des amateurs, des médias et du marché de Montréal en général. Je ne ressens pas cette forme de pression parce qu'elle est représentative du nombre de fans que nous possédons et de leur passion. Pour réussir dans ce métier, il faut être fort dans tous les aspects de nos opérations. Il faut que l'entreprise représente elle-même une force. Une des facettes les plus importantes au sein du Canadien est celle qui consiste à prendre les décisions pour les bonnes raisons. Je dois m'assurer de voir à ce que cette façon de faire reste la même.»
B.R. : «Est-ce que cette nouvelle responsabilité, dans une ville qui mange et qui dort de hockey, vous empêche parfois de bien dormir?
P.G. : «Il y a une quinzaine d'années, je me souviens d'avoir passé des tests devant un psychologue industriel. Selon les résultats que j'ai obtenus, le spécialiste m'a souligné que je constituais un cas rare parce que le stress ne m'atteignait pas. Rien dans mon quotidien me dérange ou m'affecte. Il m'avait dit que j'étais le genre de personne capable de se rendre au bout de ses objectifs. J'ai développé des trucs pour combattre le stress au quotidien. L'un d'eux consiste à ne jamais ouvrir la télévision. Je ne regarde rien à la télé, pas même les nouvelles. Pour savoir ce qui se passe dans le monde, je vais sur internet et je clique sur CNN. Si quelque chose m'intéresse, j'en lis les grandes lignes et au bout de trois minutes, c'est terminé. Je ne peux pas m'asseoir et laisser la télévision bombarder mon cerveau. Le soir quand je rentre à mon hôtel, j'appelle à la maison. Je jase avec ma femme, puis je fais ma toilette et j'ouvre un livre pour me détendre. Ce ne sont pas des lectures compliquées ou d'ordre professionnel. C'est de cette façon que je termine toutes mes journées. Si je ne regarde pas la télé et si je lis des choses qui laissent place à l'imagination, je dors bien.»
B.R. : Vos enfants sont-ils fiers que leur père soit à la tête des Canadiens de Montréal?
P.G. : «J'ai quatre enfants âgés respectivement de 18, 14, 9 et deux ans. Deux garçons et deux filles. Ils ne sont pas intéressés par ce que je fais. Mon garçon de 14 ans joue au hockey. Le matin, s'il trouve le temps, il va s'informer du score de la veille, sans plus.»
B.R. : Quand le malheur a frappé Gainey, qui a perdu un enfant en mer, vous avez été appelé à prendre la relève et veillant à ce que l'équipe soit bien dirigée durant son absence. Croyez-vous que la haute direction du Canadien a réalisé à ce moment-là qu'elle possédait dans ses bureaux une police d'assurance capable d'assurer un jour une relève dans un rôle aussi crucial que celui-là?
P.G. : «Je l'ignore. C'est à eux qu'il faudrait poser cette question. N'oubliez pas que j'ai aussi été appelé à effectuer une partie de ce boulot quand Bob est passé deux fois derrière le banc. À titre d'adjoint, ça faisait partie de mon travail. Par ailleurs, avant que Bob ne manifeste son intention de partir durant les Fêtes, je n'avais pas eu la moindre indication de ce que mes patrons pensaient de moi en regard de ce boulot.»
B.R. : Quand Gainey a offert Jaroslav Halak aux Flyers et qu'ils ont refusé de leur céder un choix de deuxième ronde pour ses services, diriez-vous que c'est parfois bien utile d'être chanceux? Les Flyers agiraient probablement très différemment aujourd'hui.
P.G. : «Nos deux gardiens de but nous ont aidés à rester en vie dans une saison où nous avons été frappés durement par les blessures. Je ne dirais pas que les Flyers ne voulaient pas de Halak. Il serait plus juste de dire qu'ils ne voulaient pas accorder à Bob ce qu'il voulait. C'est drôle comment les choses se passent parfois. Disons que nous sommes contents de pouvoir compter sur deux jeunes gardiens.»
B.R. : Un directeur général aura toujours un préjugé favorable envers un joueur qu'il a repêché en première ronde. Dans le cas de Carey Price, Gainey aurait probablement été enclin à lui donner toutes les chances de réussir. Price n'étant pas votre choix personnel, vous n'avez pas le même attachement pour lui. Est-ce que cela pourrait influencer la décision que vous aurez à prendre à son sujet au cours de l'été?
P.G. : «Les décisions sont toujours prises en fonction des joueurs qui t'offrent une meilleure possibilité de gagner. L'évaluation des choix au repêchage et des joueurs autonomes que nous avons embauchés évolue constamment. Il ne faut jamais laisser notre ego dicter notre conduite. Il faut agir de la façon la plus objective possible en pensant aux années futures. Il n'y a pas de règles établies dans ces cas-là. On veut gagner, c'est tout.»
B.R. : L'été prochain, vous serez quand même dans l'obligation de prendre une décision cruciale pour l'avenir de l'organisation: Price ou Halak? Vous pourriez réussir une très bonne transaction ou commettre une gaffe majeure car si le gardien sacrifié devient une vedette ailleurs, on se souviendra toujours de celui qui l'a échangé.
P.G. : «Ce genre de décision ressemble à celles que nous avons prises avec nos joueurs autonomes l'été dernier. La nouvelle convention collective ne nous permet pas de conserver nos joueurs aussi longtemps qu'on le voudrait. D'où l'importance d'une bonne planification à long terme. Le processus de décision est devenu très complexe en raison du plafond salarial et de l'autonomie que les joueurs acquièrent à 27 ans.»
B.R. : Gardien de but, c'est un statut tellement primordial pour toutes les équipes. De très bonnes formations vont prochainement entrer dans les séries sans avoir l'assurance d'aller très loin parce qu'elles ont une faiblesse évidente à cette position. Les Flyers en sont un bon exemple.
P.G. : «C'est le choix que ces organisations ont fait. Nous avons tous la liberté de choisir où nous investissons notre argent. C'est l'équipe qui décide si elle place cinq millions de dollars sur un gardien, sur un défenseur ou sur un attaquant. C'est facile d'affirmer que les Flyers seraient meilleurs s'ils avaient dépensé beaucoup d'argent pour acquérir un gardien de premier plan, mais s'ils l'avaient fait, ils auraient créé un trou ailleurs. Le hockey a beaucoup changé. On ne peut pas combler tous les vides sans égard au budget, comme c'était le cas quand le plafond salarial n'existait pas. Ce qui compte dans les changements de personnel qu'on effectue, c'est de bien évaluer ses options. On ne peut pas toujours concrétiser son option numéro un, car il arrive qu'elle ne se présente pas.
B.R. : L'histoire retiendra que vous étiez le responsable du repêchage chez les Nordiques en 1991 quand Eric Lindros a refusé systématiquement de jouer à Québec. Avez-vous été obligé d'insister auprès de Marcel Aubut et de Pierre Pagé pour qu'ils résistent à toutes les offres qui leur ont été faites avant le repêchage?
P.G. : «Me Aubut avait fort bien compris le jeu des atouts. On se disait que si Lindros refusait de jouer à Québec, on allait réussir une transaction qui allait nous permettre de combler plusieurs lacunes. C'est le comportement de la famille Lindros qui a été le plus frustrant dans cette histoire parce que je reste convaincu que Lindros aurait joué à Québec s'il avait été libre de cette décision.»
B.R. : On a l'impression que vous vous êtes déjà moulé au style de Montréal dans le sens où vous êtes un peu plus disponible pour les médias. À Ottawa, on vous a souvent accusé de vous déguiser en courant d'air. Êtes-vous plus conscient du milieu dans lequel vous travaillez ou si vous avez changé au fil des ans?
P.G. : «Je rencontre les médias quand il se passe des choses importantes. Je l'ai fait à l'occasion de la date limite des transactions et après la récente réunion des directeurs généraux. Je me comporte ici de la même manière que je le faisais à Anaheim et à Ottawa. À Ottawa, à l'occasion de mon arrivée, il y avait un peu trop de liberté autour de l'équipe. J'ai resserré les choses et il y en a qui n'ont pas apprécié cela. Aujourd'hui, les Sénateurs agissent encore comme nous le faisions dans le temps.»
B.R. : Il y aura bientôt 17 ans que le Canadien n'a pas gagné la coupe Stanley. On a passé de plan quinquennal en plan quinquennal sans grand résultat. Pouvez-vous nous dire quelque chose de vraiment concret sur ce qui nous attend à Montréal?
P.G. : «J'en ai parlé récemment. Avant de gagner la coupe, il faut se positionner régulièrement dans le premier tiers de la ligue. C'est l'étape que nous visons. Pour y arriver, il faut être fort dans toutes les facettes de l'organisation, dans le recrutement, dans le développement, dans la façon d'administrer le budget salarial, dans le coaching, etc.
B.R. : Si le Canadien est incapable depuis des années de quitter le milieu de peloton pour accéder au premier tiers, de toute évidence, il y a des gens qui ne font pas tout ce qu'il faut pour ça et qui devront peut-être être remplacés. Ça, c'est votre rayon. Il y a peut-être des personnes dont vous n'êtes pas entièrement satisfait du rendement.
P.G. : «Ce n'est pas une question de jeter le blâme sur des gens. Peut-être que je suis dans une position pour les aider. Nous avons effectué des changements majeurs l'été dernier. Peut-être avons-nous une meilleure équipe qu'on le pense. On savait que nous serions défiés dès le départ. On ne peut pas changer 11 joueurs et un entraîneur en pensant que les choses vont tout de suite cliquer. Si nous n'avions pas subi autant de blessures, nous aurions une meilleure idée de la valeur de notre équipe. Les formations qui réussissent bien sont habituellement celles qui font deux ou trois changements par été, pas 11 d'un seul coup.»
B.R. : Est-ce que vous avez la même philosophie d'opération que Bob Gainey?
P.G. : «Pas nécessairement. Nous n'avons pas tout à fait la même personnalité, même si c'est l'impression que ça donne de l'extérieur. Bob est un ancien joueur et un ancien entraîneur. Moi, je suis un ex-recruteur. Nous avons peut-être une façon différente d'analyser les choses et de répartir notre temps et notre énergie. Je m'entends bien avec Jacques Martin. La transition a donc été facile pour moi. Chaque personne est différente.»
B.R. : Est-ce que vous êtes dans vos petits souliers à l'idée de devoir modifier certaines choses accomplies par votre prédécesseur?
P.G. : «Absolument pas. Je n'hésiterai pas à effectuer des changements si c'est dans le but d'améliorer la situation. Je n'ai aucune contrainte de ce genre. C'est toujours la compétition qui nous dicte la marche à suivre. Bob comprend ces choses-là. Tant mes patrons que les gens de hockey qui me connaissent savent que j'aime bouger. Prendre des décisions ne me fait pas peur. Nous sommes dans un milieu où il ne faut jamais hésiter à corriger les erreurs qui ont été commises.»