Patrick Roy sera à Montréal ce soir. Il faut que l'événement soit majeur pour le déraciner de ses Remparts, même quand ils sont inactifs. Roy est du groupe des six personnalités qui seront intronisées au Panthéon des sports du Québec.

Il s'agira de sa quatrième intronisation à un panthéon, après ceux du Canada, de la Ligue junior majeur du Québec et de la Ligue nationale de hockey, un reflet assez évidemment de la carrière exceptionnelle qu'il a connue.

Il accepte d'ailleurs comme une agréable surprise l'hommage qu'on lui rendra ce soir dans le cadre d'un gala au Chalet du Mont-Royal. «Je suis flatté, admet-il. Je croyais que c'était terminé pour moi. Chaque fois que je reçois un honneur, je m'imagine toujours que c'est le dernier.»

Faut dire qu'il croulait déjà sous les hommages, lui dont le dossard a été retiré dans les trois villes qui ont marqué sa carrière, à Granby, à Montréal et à Denver. Ne manquerait plus qu'une rue ou un amphithéâtre à son nom dans sa ville natale de Sainte-Foy pour compléter le tableau.

Il est à la retraite depuis huit ans déjà. Le jour où il a annoncé son départ des patinoires de la Ligue nationale, il l'a fait sur un ton ferme en conférence de presse. Sa voix n'a pas tremblé; il n'a pas versé une larme. Le temps était venu pour lui d'aller faire autre chose et il était pressé d'y aller.

Il aurait pu s'accrocher à sa dernière année de contrat, une petite fortune de huit millions de dollars américains qu'il a laissée sur la table parce qu'il lui était de plus en plus difficile d'aller s'entraîner chaque matin. Le coeur n'y était plus, du moins pas suffisamment pour être à la hauteur de tout ce qu'il s'était efforcé de donner dans le hockey jusque-là. Il est donc parti avec la satisfaction du devoir accompli, sans jamais regarder derrière.

Il était impatient de rejoindre les Remparts, une équipe dont il était actionnaire et qu'il dirigeait en partie de sa résidence de Denver. Quand il est arrivé à Québec, il ne visait pas une seconde carrière d'entraîneur. Il était convaincu de pouvoir se plaire dans un rôle de directeur général. Il a tôt fait de réaliser qu'il n'était pas fait pour ce genre de boulot.

«Je cherchais surtout un passe-temps quand je suis revenu à la maison, rappelle-t-il. Très tôt, j'ai eu le goût de me retrouver dans une fonction directement reliée aux joueurs, de communiquer et de partager avec eux les bons et les mauvais moments. Je voulais faire une différence dans leur cheminement de carrière et dans leur vie. C'est sûr qu'il m'est arrivé de penser que je pourrais passer du bon temps en Floride, mais je me serais emmerdé si je l'avais fait.»

Une seule fois, il dit avoir ressenti des titillements en revenant sur le passé. Il songeait au plaisir qu'il avait eu en jouant aux côtés de Peter Forsberg, de Joe Sakic, d'Adam Foote et de quelques autres. Il était en panne de camaraderie. Dans le temps, il trouvait parfois très longs certains voyages de l'équipe. Maintenant qu'il n'en faisait plus partie, il réalisait à quel point ils avaient eu du plaisir dans ces moments-là.

«Cela ne m'a pas traversé l'esprit très longtemps, dit-il. J'ai été assailli par de beaux souvenirs, mais le lendemain matin, quand je me suis réveillé, c'était déjà oublié. À un certain moment, il faut pouvoir tourner la page.»

Un coup de chance

Le gardien recordman, qui détient la marque quasi intouchable de 151 victoires en séries, parle de l'importance de pouvoir tirer un trait sur son passé d'athlète. Néanmoins, il ne semple pas avoir la moindre arrière-pensée concernant les 8 millions $ qu'il a laissés derrière lui au Colorado.

«Je n'ai jamais joué pour ça, moi, rétorque-t-il avec désinvolture. Quand mes agents Pierre Lacroix et Robert Sauvé négociaient mes contrats, on se transformait tous en hommes d'affaires durant les pourparlers. Puis, quand c'était signé, je retournais à l'aréna comme le gamin content de retourner jouer au hockey. Je m'en allais disputer mes années de contrat sans poser de questions. Un jour, Serge Savard m'a fait un commentaire que j'ai accepté comme un grand compliment. Il m'a dit que contrairement à certains joueurs, il n'aurait jamais craint de m'accorder des ententes à long terme. Je peux vous dire qu'un contrat n'a jamais influencé le genre de performance que je pouvais offrir. Mes matchs ont toujours été guidés par ma passion et par ma soif de gagner.»

Par ailleurs, on ne peut pas nier que sa regrettable sortie du Canadien se soit avérée un véritable coup de chance. Au Colorado, il a obtenu des contrats faramineux que le Canadien ne lui aurait jamais consentis. Il a pu y gagner deux autres coupes Stanley et compiler des statistiques dignes d'un membre du Panthéon de la Renommée du hockey en évoluant avec une meilleure équipe.

«Si je retourne au moment où ça s'est passé, c'est sûr que je n'aurais pas voulu quitter un encadrement comme celui du Canadien, admet-il. Mon objectif était de jouer une carrière entière avec la même organisation. En passant à une équipe comme celle de l'Avalanche, j'admets que les choses ont bien tourné pour moi. Je savais un peu dans quoi je m'embarquais au sein d'une organisation dirigée par Pierre Lacroix. Il préconisait une philosophie et il avait des défis similaires à ceux que j'avais connus à Montréal. Pierre essayait toujours de convaincre le propriétaire d'aller toujours plus loin pour produire une équipe gagnante. Finalement, le destin a bien fait les choses pour moi.»

Et la Ligue nationale?

Il est toujours très occupé avec ses Remparts. Au départ, on ne comprenait pas très bien ce qu'il avait en tête quand il s'est embarqué pour de longs périples en autocar avec ses joueurs. Il était jeune, riche et en santé. Avait-il vraiment besoin de se taper tous ses voyages, souvent aux petites heures du matin?

Il se disait guidé par sa passion pour le hockey, mais n'avait-il pas déjà suffisamment savouré cette passion durant 18 saisons au cours desquelles il avait empilé les trophées personnels et quatre coupes Stanley? Faut croire que non.

Guy Carbonneau a tenté le même genre d'expérience à Chicoutimi l'an dernier. Il a abandonné après 15 matchs, sans doute après avoir découvert qu'il y a moins de glamour à travailler au niveau junior. Roy, lui, est toujours là sept saisons et 416 matchs plus tard.

Justement, parlons-en de la Ligue nationale. Le patron des Remparts s'y destine, c'est sûr, mais encore faudra-t-il que la situation et ses prochains employeurs lui plaisent suffisamment pour lui faire quitter le hockey junior.

«Je me considère chanceux de pouvoir travailler avec des jeunes tout en pouvant assouvir ma passion pour le hockey à mon rythme, et ce, tout en maintenant une qualité de vie qui me plaît, explique-t-il. Dès le départ, j'ai été bien encadré par Jacques Tanguay et j'ai à mes côtés Nicole Bouchard qui est une éponge. Cette femme-là ne devrait pas travailler chez les Remparts. Elle devrait être à l'emploi d'une équipe de la Ligue nationale. Comme moi, elle a les Remparts à coeur. C'est elle qui prend charge de tous les documents préparés par le directeur général. L'été, je rentre au bureau à neuf heures. À midi, je suis au golf. Ce serait difficile pour un entraîneur de la Ligue nationale de jouir d'un horaire aussi favorable.»

Il y a deux ou trois ans, Roy avait déclaré catégoriquement ne pas être prêt pour la Ligue nationale. Il a déjà reçu quelques propositions, dont celle pour le double emploi de directeur général et entraîneur de l'Avalanche, qu'il a déclinées. C'est arrivé dans un moment de sa vie où il se voyait offrir une rare occasion de diriger ses deux fils. La Ligue nationale pouvait attendre. Aujourd'hui, il n'offrirait plus un non aussi catégorique à cette ligue.

«Je me sens plus prêt pour la Ligue nationale, mais est-ce vraiment cela que je veux vivre? Que voulez-vous que je vous dise, je suis heureux là où je suis. C'est sûr que je ne refuserai jamais d'écouter et d'évaluer une proposition, mais ce que j'accomplis actuellement comble entièrement mes besoins», souligne-t-il.

Si on lit entre les lignes, il est prêt à relever le défi, mais pas dans n'importe quel marché. Il suffirait qu'il démontre de l'intérêt pour un rôle d'entraîneur en chef pour que le téléphone sonne. Ils sont très rares les entraîneurs qui ont la liberté de choisir leur prochaine destination au niveau professionnel.

Il affirme que son bien-être actuel dans le hockey lui permet de faire ce qu'il veut, quand il le veut. Il précise qu'il ira toujours où son coeur lui commandera d'aller.

«J'ai toujours été un gars de passion et de coeur, conclut-il. Je me suis parfois planté à cause de cela, mais je dirais que dans 90% des cas, cela m'a permis de connaître du succès»