Kori Cheverie : l'ascension d'une fonceuse
MONTRÉAL – L'anecdote est revenue dans quelques entrevues durant l'impressionnante ascension de Kori Cheverie dans la confrérie des entraîneurs ces dernières années.
À l'âge de 10 ans, Cheverie annonce à sa mère qu'elle veut faire partie d'une équipe de hockey. Parce qu'elle doit gérer un budget serré, Janice Rehill doit lui répondre que ça ne sera pas possible. Déjà vite sur ses patins, la fillette revient avec une contre-offre. Elle trouvera elle-même l'argent pour son équipement si sa mère lui promet de payer pour son inscription. Le marché est conclu.
Une carrière se bâtit sur une succession d'ouvertures et de refus, de réflexions et de coups de tête, d'obstacles et de coups de mains. Cheverie, qui dirigera à partir de cet hiver l'équipe montréalaise de la nouvelle Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF), ne nie pas que la sienne est probablement née de cet esprit de débrouillardise et de ce dédain pour l'échec qui lui ont permis d'enfiler des patins pour la toute première fois.
Mais ce qu'elle tient surtout à dire, c'est que cette histoire ne serait la genèse de rien du tout sans la contribution de son autre protagoniste. De tous les mentors qu'elle a eus pour devenir l'une des entraîneuses les plus en vue du monde du hockey, c'est elle qui a eu la plus grande influence.
« Ma mère a été propriétaire de deux entreprises en plus d'être enseignante. En tant que mère monoparentale, elle était toujours en train de trouver des solutions et d'élargir les possibilités pour mon frère, ma sœur et moi. En l'observant, j'ai eu le leader et l'exemple à suivre dont j'avais besoin en grandissant. Dans notre famille, on a toujours trouvé des solutions, trouvé une façon d'arriver à nos fins. Je crois que c'est une importante partie de mon histoire. »
Athlète touche-à-tout, Cheverie s'est rapidement avérée être une patineuse au-dessus de la moyenne. Elle a intégré les équipes masculines des programmes de hockey mineur de New Glasgow, en Nouvelle-Écosse et à l'adolescence, elle s'est engagée avec l'équipe du programme féminin de l'Université St. Mary's. Cinq ans plus tard, elle a été repêchée par les Furies de Toronto, rivales des Stars et des Canadiennes de Montréal dans la Ligue canadienne de hockey féminin.
Le coaching, à l'époque? À peine effleuré. Entre la fin de son parcours scolaire et ses premières saisons à Toronto, elle a été sollicitée pour donner un coup de main dans les équipes provinciales de son coin de pays. L'idée de pousser l'expérience plus loin n'avait pas vraiment germé, pour la même raison que, d'instinct, un résidant d'Iqaluit ne penserait pas aménager un potager dans sa cour arrière.
« C'était difficile d'envisager une carrière dans le domaine à l'époque, tout simplement parce que ça ne se voyait pas, des femmes derrière le banc. Jusqu'à ce que j'arrive à l'université, ce n'était que des parents et des bénévoles. Je ne réalisais pas que c'était possible pour moi de faire ça à temps plein. Alors je n'y pensais pas trop. »
Une décision aux ramifications insoupçonnées
Si vous croyez que les conditions offertes aux joueuses de la LPHF ne sont pas équitables, considérez cette mise en contexte. En 2010, lorsque Cheverie est arrivée à Toronto au volant d'une Toyota Tercel remplie à capacité pour commencer sa carrière avec les Furies, elle est débarquée chez une vieille tante avec qui sa mère avait réussi à établir un contact pendant son trajet. Peu de temps après, elle s'est trouvée un emploi à temps partiel dans une boutique Nike et un autre dans une garderie. Pour arriver à vivre dans la Ville Reine, guère le choix.
Avec le recul, le fait que les joueuses de la LCHF n'étaient pas rémunérées a peut-être été une subtile bénédiction pour Cheverie. En 2013, elle a accepté une offre pour travailler dans un programme de développement des habiletés donné par l'Université Ryerson (aujourd'hui nommée Toronto Metropolitan University). « C'est l'une des décisions les plus importantes que je n'ai jamais prises », convient-elle en rétrospective.
Dans son nouvel environnement de travail, Cheverie a pu toucher à l'identification et l'évaluation de joueurs en plus d'être exposée au mentorat de collègues plus expérimentés. Sa progression fut telle que trois ans après son embauche, lorsqu'un poste d'adjoint s'est libéré au sein de l'équipe de hockey masculine de l'université, l'entraîneur-chef Johnny Duco lui a conseillé de postuler. Quelques semaines plus tard, elle devenait la première femme au sein d'un personnel d'entraîneurs d'une équipe universitaire masculine au Canada.
« Plus j'ai appris à la connaître, plus j'ai réalisé qu'elle n'avait pas son égal pour mettre en pratique les concepts dont on discutait, se souvient Duco. On peut tous s'asseoir autour d'une table et parler de hockey, de stratégies. Ensuite, on s'en va chacun de notre côté et ça reste des mots lancés en l'air. Dès mes premières rencontres avec Kori, elle revenait le lendemain avec des fichiers Power Point dans lesquels elle avait compilé les points dont on avait discuté, ajouté ses idées et proposé des modifications. Elle m'a vite convaincu que j'avais fait le bon choix. »
« Pour une jeune femme qui n'a que très peu d'expérience, diriger des hommes pourrait être très intimidant. Je n'ai jamais senti ça chez Kori, poursuit son ancien collègue. Elle a pris le temps de parler en privé avec tous les joueurs, elle a rapidement gagné leur confiance. Personne ne l'a dit ouvertement sur le coup, mais je sais qu'il y avait beaucoup de sceptiques au début. Ils ont toutefois vite réalisé qu'elle était une brillante stratège qui tirait notre staff vers le haut. »
Le profil de Cheverie n'a cessé de gagner en visibilité depuis. En 2021, elle a réalisé un rêve en joignant le personnel d'entraîneurs de l'équipe nationale féminine. La nomination lui a permis de participer aux championnats du monde et aux Jeux olympiques.
L'année suivante, elle a obtenu un stage supervisé par l'équipe d'entraîneurs des Coyotes de l'Arizona avec à sa tête André Tourigny. Durant leur brève collaboration, elle a été marquée positivement par le Québécois.
« Il y a une photo de lui et moi qui circule probablement sur internet sur laquelle on nous voit rire ensemble à gorges déployées. On s'est vraiment bien entendu. Tu sais, on parle souvent de moi comme étant une rare femme dans un domaine principalement masculin. Inévitablement, ça me dépeint comme quelqu'un d'un peu différent. André me disait qu'en tant que francophone qui doit faire sa place dans un milieu anglophone, il s'est souvent senti différent lui aussi. On avait ce point en commun qui nous a aidés à tisser des liens. J'ai adoré apprendre à le connaître. »
La présence remarquée de Cheverie au camp des Penguins de Pittsburgh, dans les dernières semaines, a été documentée à profusion sur les réseaux sociaux. Et la voilà sur le point de déménager à Montréal, « l'endroit où elle souhaitait se retrouver » lorsque la LPHF a été créée, encore un peu incrédule de tout ce qui lui arrive depuis quelques années.