MONTRÉAL – « Le monde du hockey au Québec, c’est encore un monde de gros bras. Ce n’est pas un milieu pour des gens qui ont des idées. Peut-être que ce n’est plus le cas aujourd’hui et que je ne devrais pas parler comme ça. Mais, au niveau de la psychologie, je trouve qu’il y a un manque cruel au Canada. » 

Luciano Basile ne mâche pas ses mots. Cet entraîneur montréalais, aux origines italiennes, exerce, avec succès, son métier en Europe depuis 30 ans. Il sait bien que le contexte a évolué au Québec dans les dernières années, mais il tient à déplorer la culture qui a régnée et qui perdure, du moins en partie. 

En l’écoutant se confier comme un livre ouvert, on se désole à penser que le hockey québécois – et canadien – l’a complètement échappé à partir des années 1970. Ça sonne démesuré comme constat, mais un examen de conscience s’impose pour se forger une meilleure idée. 

Bien sûr, le Québec et le Canada ont formé des centaines d’excellents joueurs au cours des 50 dernières années, mais le bassin d’athlètes est immense et le talent finit parfois par remonter à la surface. 

Le problème, c’est que la domination aurait dû être plus grande si l’innovation avait été privilégiée. Ce n’est pas pour rien que le Québec joue, désormais, du « hockey de rattrapage » face à d’autres nations qui ont privilégié une meilleure approche de développement. D’ailleurs, une chance qu’une nouvelle vague de « cerveaux » de hockey s’implante dans la structure québécoise.

Voilà justement l’erreur qui a été commise dans les années suivant l’Expo universelle de 1967. Le Québec a alors affreusement gaffé en se privant d’un groupe d’universitaires qui avaient poussé leurs connaissances sportives à un haut niveau. On peut en nommer quelques-uns comme Georges Larivière, Christian Pelchat, Claude Chapleau et Gaston Marcotte.

« On avait une génération de profs universitaires qui étaient des passionnés de hockey, mais ils étaient à l’écart du mouvement et je sais pourquoi, ça vient des gens qui dirigeaient le hockey. Quand tu ne sais pas, tu as peur de ceux qui savent », a déploré Basile qui a étudié à l’Université McGill tout comme Mike Babcock et Martin Raymond. 

L'approche de Georges Larivière

« Déjà, si tu allais à l’université et que tu voulais coacher au hockey, c’était très mal vu. C’était comme si tu venais d’un monde un peu trop flyé. Le monde du hockey ne laissait pas de place à l’intellect, aux émotions ou aux sensibilités », a-t-il ajouté.

Basile ne parle pas à travers son chapeau, il a appris sous la tutelle de Larivière qui l’a recruté pour diriger en Italie. 

« Georges savait depuis les années 70 ce qui se faisait en Europe, il avait compris tout ça. C’est dommage qu’on n’ait pas utilisé toutes ses ressources », a insisté celui qui a exercé son métier en Italie, en Espagne, en Allemagne et en France. 

Luciano Basile« Tu penses qu’un directeur général des années 1970 pouvait avoir une discussion de hockey avec Georges Larivière? Euh, non! C’est dommage, mais c’est comme ça », a poursuivi Basile. 

Au lieu d’intégrer davantage leurs idées et d’écouter leurs influences puisées en Europe, les dirigeants du hockey québécois et canadien ont emprunté la voie de la robustesse. Avec du recul, que penser de l’ère durant laquelle les décideurs préféraient opter pour un immense défenseur aux pieds de béton et au bâton surtout utile pour administrer un double-échec? 

Stéphane Quintal a vécu ce monde de l’intérieur en tant que joueur. Avec plus de 1000 matchs dans la LNH, sa carrière a été faste. Mais, a posteriori, il jette aussi une vision peu reluisante sur cette période. 

« Je regarde le portrait du hockey actuellement et ç’a pris du temps avant qu’on se rende à ce point », a confié Quintal qui a été dirigé par Larivière avec les Bisons de Granby en 1985-1986. 

En fait, Quintal trouve dommage que ses idées n’aient pas été plus acceptées à l’époque. 

« Absolument. Si Georges avait reçu plus d’attention par rapport à sa façon d’enseigner, je pense que le hockey aurait évolué plus rapidement. Lui et son adjoint Jean-François Mouton était vraiment, vraiment en avance sur leur temps. Depuis quelques années, c’est ce genre d’entraîneurs qu’on voit, des gars qui réfléchissent plus et qui sont mieux outillés pour composer avec le bagage différent de chaque individu », a mentionné Quintal. 

Ce que Basile s’explique mal, c’est que Larivière était en mesure de s’ajuster, il n’était pas extrémiste dans son approche. 

« Ça me surprenait que Georges n’était pas accepté, je le trouvais modéré. Pour moi, Christian Pelchat était plus de gauche, c’était l’artiste. S’ils étaient des politiciens, Christian aurait été un communiste tandis que Georges serait Joe Biden », a souligné Basile. 

L'erreur de ne pas s'appuyer sur d'autres sports

Ce rapport accablant de Basile repose sur des fondations. Il dévore ce qui se dit et s’écrit sur le coaching. À un point tel que l’une de ses grandes passions consiste à écouter les grands entraîneurs sportifs tels Pep Guardiola et Jürgen Klopp. 

Le soccer ne s’immisce pas dans le sujet sans raison. Ce sport a été déterminant pour Basile. 

« En Europe, le hockey est un sport mineur. Mais on s’inspire des méthodes d’entraînement et de communication des entraîneurs de soccer. Le Canada et le Québec n’ont jamais voulu le faire. Ils n’ont pas eu besoin de franchir ce pas parce que le Canada et le Québec produisent tellement de joueurs. Il suffisait d’en prendre un sur 1000 et ça suffisait pour faire les équipes et la LNH », a exposé Basile qui déplore cette approche contre-productive. Luciano Basile

« Ici, on a eu l’avantage de s’appuyer sur le soccer et le basket qui étaient en avance au niveau du jeu collectif. L’Union soviétique, au hockey, ne faisait rien d’autre que de mettre en pratique ce que faisait déjà les équipes de basket et de soccer. Nous, au Québec, on n’avait pas ça. On avait la NFL et le baseball, ce ne sont pas des sports dans lesquels tu apprends à bouger à plusieurs endroits sur le terrain, en harmonie avec tes coéquipiers », a renchéri celui qui ne critique surtout pas ces deux sports, il a joué au football pendant plusieurs années.  

Ainsi, Basile a reproduit le modèle du FC Barcelone de 2009 qui avait tout raflé. À défaut de miser sur de grands moyens en France, Basile a bâti une équipe jeune qui imposait une pression sans relâche sur ses adversaires. 

Il plaide également pour une sensibilité plus grande en Amérique du Nord auprès des athlètes. Ça lui rappelle d’ailleurs une anecdote marquante à la fin des années 1980 alors qu’il avait obtenu une chance de diriger dans le Midget AAA. 

« On avait un gamin qui venait du quartier Hochelaga. Aujourd’hui, c’est un beau quartier avec les artistes, les étudiants, des gens des communautés gais et tout. Mais, dans les années 1970-1980, moi, je n’y allais pas dans Hochelaga! Mon directeur général Georges Marien venait de la vieille école, celle de crier après les joueurs et les faire patiner. J’avais proposé d’aller discuter avec le jeune pour l’aider. On aurait dit que j’avais proposé un truc de martien, comme si c’était un sacrilège! », a-t-il confié. 

Un sacrilège de vouloir parler à un joueur

Facile de comprendre pourquoi il n’a été attiré par la proposition européenne venant de Larivière.

Changer la vie de plusieurs personnes au même moment

C’est en 1990 que Basile quitte Montréal en direction de Bressanone en Italie. À son arrivée, Larivière est déjà à table avec Pat Cortina et Diego Scandella, deux autres entraîneurs québécois qui ont accepté son offre de venir relancer le hockey italien.  

« Georges est l’une des personnes les plus importantes dans ma vie »

« Ce fut un point tournant dans ma vie. Je venais tout juste de graduer à McGill. J’ai laissé ma femme et je suis parti à l’aventure. Je pensais passer un été et je suis encore ici 30 ans plus tard. Non seulement ma vie professionnelle a changé grâce à Georges, mais j’ai aussi connu au même moment deux de mes meilleurs amis », a résumé Basile en soulignant que Cortina et Scandella sont devenus les parrains de deux de ses trois fils. 

Le sujet l’incite à nous faire une confidence touchante. 

« Je ne lui ai jamais dit, mais Georges est l’une des personnes les plus importantes dans ma vie. Il ne le sait pas, mais si ça sort dans ton entrevue... C’est une belle histoire quand même », soumet celui qui a marié une enseignante française.  

Basile décrit Larivière comme un homme qui fait partie des racines de sa vie. Il s’empresse alors de prendre une coupe de vin pour la lever à sa santé. 

« Je suis Italien, mais il connaît le vin plus que moi. Santé Georges », a conclu Basile avec reconnaissance pour son œuvre. 

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