La nouvelle vie d'Ève Gascon
Ève Gascon n'a jamais eu peur des défis. Première femme à évoluer à temps plein dans le circuit M18 AAA, première à garder les buts dans la division 1 masculine au collégial, le tout entrecoupé par un camp d'entrainement et deux matchs de saison régulière avec les Olympiques de Gatineau dans la LHJMQ.
À 20 ans, elle ajoute une expérience de plus à son CV déjà bien garni. Ève défend maintenant le filet des Bulldogs de l'Université du Minnesota à Duluth. Pour la première fois de sa jeune carrière, elle joue dans une ligue féminine, à plus de 1600 km de Montréal, dans un milieu anglophone, elle qui n'est pas encore totalement bilingue.
« Je commence à être meilleure. C'était dur au début. Je ne savais pas trop comment m'exprimer, mais là ça va mieux », explique celle qui est débarquée à Duluth pour la première fois en août dernier. Elle n'avait fait qu'une visite virtuelle des lieux, avant de s'engager auprès de l'université en septembre 2020. « Ce qui me stressait le plus c'était de m'éloigner de ma famille, mes amis, mon amoureux. La première semaine ça a vraiment été difficile. Honnêtement, j'ai pleuré à tous les jours. Je m'ennuyais vraiment beaucoup. »
La native de Terrebonne a retrouvé son sourire. Son quotidien chargé ne lui laisse pas beaucoup de temps pour s'ennuyer. Le hockey féminin à Duluth, c'est du sérieux. Le programme de première division NCAA, qui compte l'olympienne Caroline Ouellette parmi ses graduées, rivalise avec les prestigieuses universités d'Ohio State et Wisconsin.
Tous les matins, Ève se rend à l'aréna à 7 h 30. Son avant-midi se résume en conditionnement physique et entrainement sur glace. L'équipe dispute deux matchs durant la fin de semaine. « Au début, ça m'a pris une période d'adaptation. J'étais toujours fatiguée. Au collégial, je m'entrainais mais ce n'était pas aussi intense. » Entre tout ça, la gardienne amorce une majeure en communications et suit quatre cours cette session, sans trop d'embûches. « J'ai des meilleures notes ici qu'au cégep. Ça m'intéresse plus. Ça va super bien! »
Ève Gascon
Déjà dominante devant la cage
Ses performances sur la glace sont tout aussi remarquables. Elle signe quatre victoires en six départs, dont trois par jeux blancs. Lors de ses deux défaites contre la puissante équipe d'Ohio State, elle n'a cédé que six fois en 71 tirs. En quatre semaines d'activités, ses exploits ont été soulignés à deux reprises avec les titres de recrue de la semaine et gardienne de la semaine de la Western Collegiate Hockey Association.
Tout porte à croire qu'Ève occupera le poste de numéro un au sein du trio de cerbères des Bulldogs. Pas si mal pour une athlète qui a dû s'adapter au hockey féminin dont le style diffère de celui des hommes. « Il y a plus de lancers près du filet. Tandis qu'avec les gars, je reçois plus des tirs de loin, dès qu'ils entrent dans la zone. Il y a beaucoup plus de passes avec les filles. Déjà, je suis plus en confiance par rapport à ça. »
L'ambiance dans le vestiaire diffère également de ce qu'elle a vécu avec ses coéquipiers masculins. Clairement, le plaisir se mêle à la discipline sportive. « Il y a beaucoup de danses! Tandis qu'avec les gars dans la chambre, personne ne danse. Je ne suis pas habituée à ça et je ne suis pas une danseuse, donc je ne danse pas », relate t-elle en éclatant de rire.
Trouver ses repères sur la patinoire s'est avéré plus facile que sur l'immense campus universitaire, où elle étudie et réside en appartement avec trois autres coéquipières. « Je me perds encore, des fois, en allant à mes cours! » Le AMSOIL Arena se trouve à quelques minutes de marche. Les gens de Duluth sont fervents de hockey et l'amphithéâtre de 6700 personnes se remplit pour les matchs de l'équipe masculine. Les femmes jouent le vendredi après-midi, ce qui limite les assistances.
Dans les deux cas, les athlètes sont traités aux petits oignons avec des installations dignes des professionnels. « C'est vraiment impressionnant. Notre chambre est super grande! On a une salle pour se changer, un lounge avec cuisine, un salon, une tv, un local pour les physiothérapeutes, un spa et un bain de glace », énumère la gardienne avec enthousiasme. Elle apprécie également que les différentes disciplines sportives s'encouragent mutuellement. « Les équipes de football, de basket, tout le monde se soutient. Ils viennent voir nos matchs et on va voir les leurs.»
Le rappel à l'ordre d'Équipe Canada
Ève profite d'une bourse d'études de l'université qui lui permet de se concentrer sur son parcours académique et sportif. Cette aide est d'autant plus appréciée qu'elle souhaite mettre les bouchées doubles sur son entrainement. Sa dernière présence au camp de développement d'Équipe Canada, en août, lui a laissé un goût amer.
Elle a conclu sa saison collégiale au mois de mai avec une blessure à l'aine qui l'a forcé à prendre du repos. Elle avoue d'emblée qu'elle n'était pas au sommet de sa forme à son arrivée au camp à St-Catharines. « J'ai fini les tests physiques et je pleurais. Je me suis déçue moi-même. Je me posais des questions. Je n'étais pas à mon meilleur mentalement non plus », évoque t-elle.
Elle a gardé les buts dans une rencontre amicale contre les espoirs américaines. Le filet a été confié à Hannah Murphy lors des deux matchs suivants. L'Ontarienne a été invitée au camp de l'équipe nationale, alors qu'Ève ne figurait pas sur la liste. « C'était la première fois que je me faisais dire que j'étais deuxième. J'ai pas mal tout le temps été première partout où je suis allée. Ça m'a réveillé. Je me suis dis “OK, ce ne sera pas toujours facile et il faut que tu travailles pour avoir ta place“. C'était vraiment difficile sur le coup, mais avec du recul je suis contente que ce soit arrivé. Je suis ressortie vraiment grandie de cette expérience-là. »
Ève ignore ce que sera la prochaine étape avec Équipe Canada, mais elle assure qu'elle ne ratera pas son coup deux fois. « Je veux arriver prête et prouver que je suis capable d'être sur l'équipe nationale. »
Nul besoin d'en douter. Après tout, prendre sa place, c'est ce qu'elle a toujours fait.