Levez la main ceux qui croyaient vraiment que le Canadien présenterait une nouvelle image aussi rapidement. Bien sûr, on nous avait promis le changement de culture dont nous sommes déjà témoins, mais les hommes qu'on a promus à la tête de l'équipe depuis près de 20 ans nous ont tous fait beaucoup de promesses qui ne se sont jamais matérialisées.

On n'était même pas sûr dans quelle direction Geoff Molson et Serge Savard s'en allaient quand le nom de Marc Bergevin a été prononcé pour la première fois. Il y avait tellement longtemps qu'on l'avait perdu de vue, le gars de Ville-Émard. Le dernier match de sa carrière avait été joué il y a huit ans et à Montréal, faut-il le préciser, le nom de Bergevin a rarement représenté un sujet de conversation. Après tout, des défenseurs dans son genre, il y en avait des dizaines dans la Ligue nationale. Le plus près qu'il s'était approché du trophée Norris durant sa carrière de 20 ans, c'était sans doute par le biais d'une photo.

On n'avait aucune idée du boulot énergique et constructif qu'il avait exercé chez les Blackhawks de Chicago, d'abord comme recruteur, puis comme directeur du personnel des joueurs, directeur du recrutement professionnel et entraîneur adjoint à Joel Quenneville. Mais qui avait noté tout ça avant qu'on nous le dise?
 
En mai dernier, on l'a fait débarquer au centre d'entraînement de Brossard avec tambours et trompettes. On nous a si bien vendu Bergevin que nous l'avons tous acheté. Le Canadien se vautrant dans les bas-fonds de la ligue, on s'est dit qu'on ne pouvait que nous proposer mieux.
 
On répète souvent de ce temps-ci à quel point le Canadien formait une équipe marginale sans Andreï Markov et Brian Gionta l'an dernier. On mentionne qu'on leur doit l'intéressant début de saison de l'équipe. C'est vrai qu'ils contribuent à faire du Canadien une formation plus solide en ce début de saison, mais ils ne sont pas la raison première du changement remarquable qui s'opère actuellement.
 
Si le Canadien est en train de s'extirper du groupe des formations minables de la ligue, c'est d'abord parce que les choses ont radicalement changé en haut lieu. On a cessé d'avoir peur de tout et de rien en jouant à cache-cache avec tout le monde. Derrière le banc, il se passe quelque chose d'inhabituel, là aussi. Il y a de la vie, du dynamisme, de la poigne. Une discipline d'équipe est en train de s'installer. Le fait que les joueurs semblent faire confiance à ceux qui les dirigent les aide sans doute à croire davantage en eux-mêmes.
 
Une mentalité tellement différente
 
Si le Canadien a chuté bien bas ces dernières années, c'est notamment parce qu'on ne lui a pas permis de respirer librement. Lentement, sans trop qu'on s'en rende compte, les joueurs ont suffoqué dans un contexte lourd et sans vie créé par ceux qui les dirigeaient.
 
On ne s'attendait pas à ça quand Bob Gainey s'est vu confier une équipe à laquelle il avait donné sa dernière once d'énergie et sa dernière goutte de sang. On se disait qu'un athlète si profondément tatoué du CH ne pouvait que lancer cette formation sur la voie d'une 25e coupe Stanley. Malheureusement, un terrible drame familial l'a détruit moralement. Le corps de sa fille perdue en mer et qu'on n'a jamais retrouvé a été une épreuve inhumaine qui l'a éloigné d'un boulot exigeant auquel il est nécessaire de consacrer 20 heures par jour. Gainey est devenu distant, taciturne et visiblement malheureux. Qui ne l'aurait pas été dans les circonstances? Il a songé à tout laisser tomber. Pendant quelque temps, Pierre Boivin, de son propre aveu, a cru qu'il quitterait la barque.
 
Gainey s'est accroché, mais il n'a plus jamais été le même. Petit à petit, on l'a vu s'éteindre comme directeur général. Puis, quand il a accordé une longue entente à Jacques Martin pour lui succéder dernière le banc, l'équipe s'est éteinte à son tour. Il venait d'embaucher son jumeau sur le plan de la personnalité. Martin était un entraîneur aguerri, comme l'indiquait sa feuille de route, mais comme homme, il était à l'antithèse de ce que l'équipe avait besoin. Le Canadien s'est donc retrouvé avec deux dirigeants discrets, drabes et incapables d'insuffler le dynamisme dont les joueurs avaient besoin pour se plaire dans leur milieu de travail.
 
À ce duo éteignoir est apparu leur triplet : Pierre Gauthier. Le Canadien aurait cherché pendant des années un trio de dirigeants aussi étrangement identiques qu'il n'aurait pas fait mieux. Gauthier a réussi à faire du Canadien une organisation différente de tout ce qu'on avait vu dans ses 100 ans d'histoire. Son «one man show» ridicule a pris la forme d'un régime de terreur. Il s'est proclamé l'unique maître à bord, le seul à pouvoir s'exprimer. Un joueur mettait fin abruptement à une conversation avec un journaliste quand il l'apercevait au loin. Le directeur du recrutement n'avait pas le droit d'émettre le moindre commentaire sur un jeune prometteur, si élogieux soit-il, sans risquer de se faire sermonner. Pis encore, l'entraîneur de la filiale qui, loin de la maison-mère, ne demandait qu'à obtenir un peu de visibilité, ne pouvait pas accorder une entrevue à un journaliste de Montréal sans téléphoner au Centre Bell pour quémander une autorisation.
 
Le respect, ça se gagne
 
Le duo Bergevin-Therrien est plus moderne, plus allumé. En peu de temps, il a sorti le Canadien de sa torpeur. En ce moment, les joueurs redécouvrent le plaisir de jouer et les médias naviguent dans un environnement plus professionnel. L'éteignoir a fait place au flambeau.
 
On encense Bergevin avec raison pour avoir réglé le cas de Scott Gomez avant même que cela devienne une distraction, pour avoir ouvert la porte à deux recrues talentueuses qui sont là pour longtemps et pour avoir tenu son bout devant P.K. Subban. Toutes des décisions qui sont de nature à lui valoir un respect que son prédécesseur n'obtenait pas de la même façon.
 
En ne bronchant pas devant l'attitude rigide de Subban, Bergevin s'est placé dans une position de force avec les joueurs, peu importe leur statut. Ils savent maintenant qu'ils auront toute une commande sur les bras quand ils s'aviseront de vouloir tester la structure salariale de l'équipe. Subban ne connaissait pas Bergevin. En rentrant au boulot après avoir accepté beaucoup moins de millions et beaucoup moins d'années à l'entente qu'il convoitait, il rend un grand service à tous ceux qui seraient tentés de l'imiter à l'avenir. Grâce à lui, tout le monde connaît un peu mieux le patron.
 
Si Pierre Gauthier était toujours là, il y a fort à parier que Alex Galchenyuk et Brendan Gallagher auraient fait leurs valises après le dernier match contre Winnipeg. Il n'aurait pas voulu leur imposer aussi tôt la pression de la Ligue nationale. Le Canadien aurait voulu protéger leur première année d'éligibilité. Finalement, Gauthier aurait insisté sur la nécessité pour eux de poursuivre leur apprentissage à un niveau inférieur. Et qui sait, peut-être que Gomez serait toujours là.
 
Gauthier, qui est de la vieille école, a été remplacé par un directeur général recrue aux idées fraîches et modernes. Bergevin a du cran. Quand on est nouveau dans le métier, on a le goût de s'imposer en tentant des expériences différentes. Quand on est là depuis longtemps, on est surtout enclin à démontrer que l'expérience n'a pas de prix.
 
Michel Therrien y est lui aussi pour beaucoup dans le changement d'atmosphère qui règne depuis le jour 1 du calendrier. Quand il a perdu Max Pacioretty, il n'a pas paniqué en modifiant tous ses trios à la recherche d'une solution d'urgence. C'est le genre d'élément que les joueurs remarquent d'un nouvel entraîneur.
 
Avez-vous noté sa réaction après le premier but de la carrière de Gallagher? À son retour au banc, Therrien est allé le féliciter avec le sourire du gars qui venait de gagner à la 6/49. On n'aurait jamais vu ça chez Jacques Martin. Avec un peu de chance, Gallagher aurait peut-être reçu une tape dans le dos d'un adjoint.
 
Le Canadien est redevenu une organisation solide. Contrairement à l'opinion populaire, Markov et Gionta n'en sont pas les uniques responsables. Le quotidien du septième étage est nettement plus apaisant. Derrière le banc, un entraîneur alerte et en plein contrôle obtient ce qu'il exige sans déposer une tonne de stress sur ses joueurs.
 
C'est par là qu'il fallait que ça commence. Les joueurs respirent plus librement. On patine avec plus d'aisance quand on ne se sent pas étouffé.