MONTRÉAL – Vincent Desharnais n’a pas participé au Défi des espoirs de la Ligue canadienne de hockey en janvier. Il n’a pas été invité à la semaine d’évaluation des espoirs de la LNH à la fin de la saison et n’a pas partagé l’écran avec Don Cherry dans les studios de Hockey Night in Canada.

La route qui mène vers le repêchage de la Ligue nationale n’est pas la même pour tous les espoirs qui aspirent à une carrière de hockeyeur professionnel. À l’autre extrémité du chemin emprunté par les surdoués comme Connor McDavid et Jack Eichel, il y a des dizaines de jeunes comme Desharnais, un défenseur méconnu qui s’est développé un brin sur le tard, mais qui demeure convaincu qu’une série de détours et de décisions opportunes lui permettront d’atteindre son rêve.

Si vous êtes patient, vous retrouverez le nom de Desharnais tout en bas de la liste dressée par la Centrale de recrutement de la LNH. « Oui, 209e! », précise fièrement le géant de 6 pieds 6 pouces qui, d’abord par dépit et ensuite par choix, a tracé sa voie en déviant du parcours traditionnel.

Il fut une époque où le souhait de Desharnais était de jouer dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec. Il venait de terminer sa première saison au sein du programme Ulysse, un modèle de sport-étude implanté à Terrebonne et copié sur l’idée des « prep schools » américains, quand il s’est rendu aux assises du circuit Courteau avec quatre coéquipiers à l’été 2013. Il fut le seul à en revenir bredouille.

« Je me rappelle, je pleurais dans les estrades, racontait récemment le sympathique Lavallois dans une longue entrevue accordée à RDS. Je dirais que c’est vraiment là qu’une flamme s’est allumée, que mon désir de passer par les États-Unis est né. Je me suis dit : "Ils n’ont pas voulu de moi? Je vais leur montrer qu’ils ont fait une erreur. Ça va peut-être être plus long, mais au final, ça va rapporter". »

Le cœur un peu plus lourd, Desharnais retourne à Ulysse dans le but de solidifier son dossier scolaire afin de faciliter son inscription dans une institution américaine. L’éducation avait toujours été une priorité pour lui. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui l’avaient incité à tourner le dos au Midget AAA un an plus tôt.

« L’école, c’est une de mes grandes valeurs et ça passe avant tout. Si j’ai un match qui coïncide avec un gros examen, je vais aller à mon examen. C’est une valeur sûre tandis qu’avec le hockey, tu ne sais jamais ce qui va arriver. »

Desharnais est accepté à Northwood, une école secondaire privée située à Lake Placid, dans l’État de New York. Le déménagement est difficile, mais essentiel à l’obtention d’une visibilité accrue. L’objectif est d’accrocher le regard d’une équipe de la NCAA, le circuit universitaire américain, mais un sentiment de déception familier refait surface.

« On faisait des tournois à Boston, à New York... les recruteurs étaient là et me voyaient. Ils étaient plusieurs à venir me parler. Ils me disaient que j’avais du potentiel, mais qu’ils n’étaient quand même pas certains. Personne n’a voulu me faire une offre. Pendant ce temps-là, je voyais mes amis signer des engagements avec d’autres écoles. C’est sûr que c’était décourageant. »

À l’autre bout du continent

À l’hiver 2014, Jason Tatarnic se trouve à Lake Placid pour encourager le neveu d’un ancien entraîneur et le fils d’une vieille connaissance. Il n’a jamais entendu parler de Vincent Desharnais, mais le grand adolescent passe difficilement inaperçu.

« Évidemment, sa stature sautait aux yeux, mais il possédait aussi un bon coup de patin et un bon coffre d’outils. Il était très mobile pour un gars de sa taille », se souvient Tatarnic.

Vincent DesharnaisCe dernier se prépare pour sa première saison à la barre des Chiefs de Chilliwack, une équipe de la British Columbia Hockey League (BCHL) qui vient de terminer dans la cave de ce circuit regroupant 16 équipes établies dans l’Ouest canadien. Il a besoin de renfort et croit que Desharnais pourrait l’aider. Tatarnic avait joué avec Philippe Lecavalier au collège Notre Dame en Saskatchewan au milieu des années 1990. Lecavalier, devenu agent de joueur, est le conseiller de Desharnais. L’union est naturelle.

Desharnais s’engage verbalement à s’enrôler pour les Chiefs tout en continuant d’être courtisé par des équipes de la LHJMQ. Il affirme que les Tigres de Victoriaville étaient intéressés à ses services au début du mois de décembre et qu’il a eu quelques discussions avec le directeur général des Remparts de Québec, Philippe Boucher. Au printemps, l’Armada de Blainville-Boisbriand prend une chance et le repêche en onzième ronde. Ses convictions sont ébranlées.

« L’Armada joue à dix minutes de chez moi, mes parents sont bénévoles aux parties locales. Pendant tout l’été, j’ai fait des séances privées avec Joël Bouchard. On se voyait deux matins par semaine et chaque fois, il me demandait si j’allais aller au camp d’entraînement. Honnêtement, la décision n’a pas été facile. Je ne savais plus quoi faire, alors j’ai dressé le pire scénario possible dans les deux cas. Et le pire, c’était le junior majeur. »      

L’intérêt de Desharnais est également sondé par des formations de la United States Hockey League (USHL), une avenue beaucoup plus populaire que la BCHL, mais que le Québécois juge plus risquée.

« Dans la USHL, chaque équipe a droit à seulement quatre joueurs étrangers. Si tu ne fais pas le travail, si tu connais une léthargie de cinq ou six matchs, on peut se débarrasser de toi n’importe quand pour offrir ta place à un autre. C’est le plus gros obstacle pour un joueur canadien. »

Desharnais se dit donc que sa première idée est la bonne et s’envole pour Chilliwack, une petite communauté non loin de Vancouver. « Dans la USHL, il y a beaucoup plus de systèmes, ça joue plus défensif. La BCHL est une ligue plus offensive, plus créative. Si les Chiefs avaient joué dans la LHJMQ, je dirais qu’on aurait pu être en compétition avec les six dernières équipes qui ont fait les séries. On aurait fini au milieu du classement », estime-t-il.

La providence avec un grand « P »

La charge de travail est imposante, mais le « petit » nouveau prend rapidement ses aises chez les Chiefs. Avant d’arriver à Chilliwack, Desharnais n’avait jamais joué plus de 50 matchs dans une saison alors que dans la BCHL, le calendrier est composé de 58 parties, sans compter les séries éliminatoires. « C’est une grosse différence, mais j’étais prêt physiquement. En fait, plus ça allait et plus je me sentais en forme. À la fin de l’année, je jouais entre 20 et 30 minutes par match. » 

« On l’a impliqué dès le départ, raconte Tatarnic. On avait un très bon groupe de défenseurs et il jouait un rôle important dans nos succès. Il était l’un de nos spécialistes défensifs et excellait en désavantage numérique. Offensivement, il a vraiment décollé en séries. Chaque fois que je le regardais, je voyais énormément de potentiel. » 

Vincent DesharnaisLa progression de Desharnais surpasse ses propres attentes. Il est invité au match des étoiles de la BCHL, représente l’Ouest au match des espoirs de la Canadian Junior Hockey League (CJHL) et est invité au camp de sélection d’Équipe Canada en vue du Championnat du monde junior A. En chemin, il fait la rencontre de Dan Marr, le directeur de la Centrale de recrutement de la LNH.

 « Il est venu me voir pour me dire qu’il était là pour mon premier match à Northwood et qu’il n’en revenait pas de voir à quel point je m’étais amélioré. Je capotais, je ne comprenais pas ce qui se passait! De voir mon nom sur les listes de la LNH... j’ai vécu un rêve cette année! »

Finalement, le travail finit par rapporter. En mars, alors qu’il commence à se faire à l’idée de passer une deuxième saison à Chilliwack, Desharnais reçoit l’appel du département athlétique de Providence College. Les champions en titre du tournoi éliminatoire de la NCAA offrent une bourse au défenseur format géant, qui s’engage à prendre la route du Rhode Island même s’il reçoit également une proposition de l’Université Cornell. Avant de quitter les Rocheuses, lors du banquet de fin d’année des Chiefs, ses entraîneurs lui décernent le titre de défenseur de l’année.  

À Providence, Desharnais étudiera en gestion des affaires. Il s’y rendra dès le mois de juillet pour commencer un cours d’été et à l’automne, il se lancera dans la bataille pour le poste de sixième défenseur des Friars. « Je ne m’attends pas à jouer tous les matchs. Je vais comprendre à 100 % si je dois sauter mon tour de temps en temps, mais je ne m’en vais pas là pour rester sur le banc », assure le jeune homme sur un ton déterminé.

Et le repêchage dans tout ça? Vincent Desharnais a eu 19 ans en mai. Les chances qu’une équipe de la LNH investisse un choix dans un joueur de son profil sont minces. Son père Jacques ne veut même pas qu’il soit sélectionné. Il aimerait que son fils poursuive son apprentissage loin des projecteurs, comme il le fait si bien depuis les dernières années de son hockey mineur. Dans trois ou quatre ans, si tout va bien, il pourra lui-même choisir sa prochaine destination et se permettra même de négocier ses conditions.

Le jeune Desharnais comprend les arguments du paternel, mais il ne peut s’empêcher de se perdre dans ses pensées.

« C’est sûr que j’essaie de me faire le moins d’attentes possible, mais c’est tellement difficile. C’est un rêve de petit cul de me faire repêcher, de recevoir par la poste la casquette et le chandail de ma nouvelle équipe. Mais avec la route par laquelle je suis passé, je sais que dans le meilleur des mondes, je ne le serais pas. »

Desharnais aurait peut-être déjà un contrat en poche s’il s’était laissé convaincre par Joël Bouchard. La vitrine que représente la LHJMQ lui aurait certainement permis d’améliorer sa cote aux yeux des recruteurs, il en est conscient. Mais il n’a aucun regret à l’aube d’amorcer la prochaine étape de sa carrière.

« En bout de ligne, je suis sûr d’être gagnant. Mon rêve demeure de jouer dans la LNH, mais je sais que le pourcentage de joueurs qui réussissent est mince. Si ça ne fonctionne pas au hockey, je partirai de Providence avec un beau diplôme dans ma poche et la possibilité de travailler n’importe où... »