RDS.ca vous présente des Montréalais qui sont méconnus du grand public, mais qui occupent des postes importants dans le monde du hockey ou qui se démarquent par leur parcours singulier. Le portrait d'aujourd'hui : Joseph DeSousa.

MONTRÉAL – On a rendez-vous avec un comptable. Mais pas n’importe quel comptable. En fait, c’est un peu plus qu’un comptable. Son bureau est au centre-ville de New York. Il gère les finances d’une compagnie dont les revenus se calculent en milliards de dollars. Et puis nous, les chiffres, ce n’est pas vraiment notre fort. À vrai dire, le gars nous intimide un peu.  

On sait qu’il vient de Montréal, mais on est presque gêné de lui demander. L’entrevue, ça sera possible de la faire en français? Oui, nous écrit-il dans la langue de de Blasio, tant qu’on peut supporter quelques anglicismes.

Quand finalement son visage apparaît, entre deux meetings (les siens, pas les nôtres), sur l’écran de notre ordinateur, Joseph DeSousa nous rassure immédiatement.

« J’ai marié une petite Perreault, lance-t-il avec un accent à peine détectable. À la maison, on parle français! »

L’un des hommes les plus haut placés de la Ligue nationale de hockey – en 2015, le Sports Business Journal le plaçait parmi les dix cadres les mieux rémunérés du circuit Bettman - a grandi dans Tétreaultville, un quartier populaire de l’est de Montréal. C’est là qu’il s’est initié au hockey, comme la grande majorité des jeunes de son âge dans les années 1960.

« Je jouais pour Longue Pointe dans le temps, la paroisse St-François d’Assise », précise-t-il en replongeant dans ses souvenirs. C’est aussi là qu’il a compris que son coup de patin ne l’amènerait pas très loin. « J’ai joué jusqu’à junior. Je pensais que j’étais assez bon dans le temps, mais là je réalise que sur une échelle de 1 à 10, j’étais à -40! »

Mais DeSousa a bel et bien atteint les grandes ligues. L’homme de 59 ans, diplômé de l’Université McGill, est aujourd’hui le vice-président exécutif du département des finances de la LNH. C’est le titre qu’on lui a donné pour le récompenser de son implication dans la résolution du dernier grand conflit de travail qui a paralysé la Ligue en 2012 et 2013.

« J’ai tout le temps eu le rêve de faire la Ligue nationale. Je ne pensais juste pas que je le ferais dans les bureaux plutôt que sur la glace! »

Pourtant, la première fois que l’opportunité de travailler à la Ligue s’est présentée, Joseph DeSousa a dit non.

« La première firme comptable pour laquelle j’ai travaillé s’appelait Clarkson Gordon. C’était une division de Arthur Young, qui est devenu Ersnt & Young. J’ai travaillé pour eux pendant cinq ou six ans. Après, la firme m’avait demandé de faire un mandat pour Clarke Transport. J’étais directeur des finances. Clarke Transport s’était fait acheter par une compagnie en Nouvelle-Écosse et on m’avait demandé de superviser la vente du côté routier de l’entreprise. J’ai fait ça pendant un an et demi. »

« La LNH m’a approché au même moment, vers la fin des années 1980. La Ligue était très petite dans le temps. Il y avait un bureau à Montréal, c’est là qu’était le chef des finances. Au bureau à New York, il y avait peut-être 12 à 20 personnes. J’avais dit non. Ça ne m’intéressait pas. »

Un an plus tard, son mandat mené à terme, DeSousa s’est fait offrir un poste à Toronto. L’idée l’enthousiasmait plus ou moins. Il avait donc relancé le chasseur de tête qui l’avait contacté au nom de la LNH. Il a alors appris que l’offre qu’on lui avait faite était toujours sur la table.

« Dans la vie, on a des chances. C’était une chance que l’opportunité soit encore là quand je suis revenu à la charge. Je suis sûr qu’il y avait un lineup de personnes qui auraient pu avoir le job. J’avais toujours l’intention de peut-être retourner à Ernst & Young, c’était quelque chose que je me gardais comme filet de sécurité. Mais 30 ans plus tard, je suis encore ici. »

Dans les tranchées

DeSousa a été embauché comme contrôleur financier et a rapidement monté les échelons au sein de l’entreprise. L’une de ses premières tâches a été de collaborer à l’élaboration du formulaire d’application qui allait être remis aux hommes d’affaires désireux de participer au processus d’expansion de la Ligue. Il a aussi été au cœur des négociations entourant le contrat de travail des arbitres.

Puis, en 2004, la Ligue nationale est entrée en lockout et DeSousa s’est retrouvé dans les tranchées. À la table des négos, son patron Craig Harnett et lui étaient les deux hommes de finances au sein du bataillon d’une douzaine de personnes dirigé par Gary Bettman et son bras droit Bill Daly.

« C’était la première fois qu’on rentrait un système de plafond salarial. Ça, ce n’est jamais facile. On a perdu une année complète au niveau du jeu et de la business, mais c’était nécessaire à l’époque et aujourd’hui, je crois que les deux côtés bénéficient des résultats. C’est un système qui est bâti comme un partenariat. Les joueurs ont intérêt à faire grossir la compagnie et ils font beaucoup de choses de ce côté-là. Nous aussi on a cet intérêt, on l’a toujours eu. C’est sûr qu’un système où tu contrôles ta masse salariale, qui est ta plus grosse dépense, c’est très important. »

« On était dans un système avant qui n’était plus viable, enchaîne-t-il. Tu aurais eu les équipes plus riches qui auraient avancé et pour les plus petites, ça aurait été différent. Aujourd’hui tout le monde peut mettre une équipe compétitive sur le terrain et côté financement, c’est plus égal. Avec en plus le partage des revenus, ça fait un bon système. »

En 2013, DeSousa s’est de nouveau retrouvé au centre des pourparlers pour le renouvellement de la convention collective. Cette fois, l’atteinte d’une équité dans la redistribution des richesses de la ligue était la principale préoccupation de ses patrons.

« On avait un système qui était à 57-43 en faveur des joueurs. L’idée était vraiment de négocier un 50-50. La NBA venait d’y arriver, la NFL aussi. C’était pas mal la norme, c’était là que les sports s’en allaient. Ça avait été moins difficile que 2006, mais on avait quand même perdu une bonne partie de la saison. »

Même en temps de paix, les subtilités du contrat de travail gardent Joseph DeSousa occupé, sans compter tous les autres chiffres à gérer. « Quand j’ai commencé, nos revenus se chiffraient entre 400 M$ et 500 M$. Juste avant la COVID, on était à au-dessus de 5 milliards. »

DeSousa considère aujourd’hui qu’il a un job de rêve. Il n’a jamais eu besoin de filet de sécurité et ne sent plus la nécessité d’avoir un plan B.  

« Ça fait un peu plus de 26 ans que je fais la navette entre New York et Montréal. Ma femme et moi, on s’était dit que ça serait temporaire. Ça fait maintenant 26 ans que c’est temporaire! »