Dans ce bas monde, rien ne fait l’unanimité. Le Temple de la renommée du hockey en est un exemple frappant. Bien qu’il soit célébré par les émules de la Ligue nationale de hockey, les critères de sélections du Temple laissent un goût amer dans la bouche des amateurs de l’Association mondiale de hockey (AMH).

Fondée en 1972, l’AMH a révolutionné le hockey nord-américain malgré sa courte durée. Elle a ouvert plusieurs nouveaux marchés au hockey professionnel en donnant naissance aux Oilers d’Edmonton, aux Jets de Winnipeg, aux Whalers de Hartford et aux Nordiques de Québec. Elle fut le premier circuit à miser sur l’expansion au sud des États-Unis. Elle a aussi recruté les premières vedettes européennes du hockey nord-américain.

L’Association mondiale a innové dans plusieurs domaines, mais elle est surtout connue pour s’être attaquée au monopole de la LNH. La ligue fondée par Dennis Murphy et Gary Davidson, deux hommes d’affaires de la Californie, a libéré les joueurs de clauses mercantiles imposées par les LNH et elle leur a permis d’enfin gagner des salaires dignes de ce nom. Aux yeux du Président du Temple de la Renommée de l’AMH, Timothy Gassen, ça demeure, encore aujourd’hui, la principale raison pour laquelle les anciennes vedettes du « circuit maudit » sont boycottées à Toronto.

Jean-Claude Tremblay« Tous les anciens joueurs de l’AMH considèrent le Temple de la Renommée de Toronto comme celui de la LNH, car aucune des vedettes de l’Association mondiale n’y a été intronisée. Cette organisation a décidé de ne pas reconnaître l’AMH comme une ligue majeure de hockey. C’est absolument dégoutant. À Toronto, les plaques commémoratives de Bobby Hull et Gordie Howe ne mentionnent pas leurs années dans l’AMH. La saison jouée par Wayne Gretzky dans l’AMH est aussi ignorée. On lui a pourtant refusé le trophée Calder en 1980! »

Né à Indianapolis, Tomothy Gassen est tombé en amour avec le hockey grâce aux Racers. Fondés en 1974, les Racers d’Indianapolis ont évolué dans l’AMH jusqu’en décembre 1978. Wayne Gretzky y a donné ses premiers coups de patin dans le hockey professionnel. Aujourd’hui journaliste et documentaliste, Gassen défend corps et âme l’héritage de la défunte Association mondiale. La fondation du Temple est sa plus grande réalisation.

« J’ai écrit un livre sur l’histoire des Racers. Lors de mes recherches documentaires, j’ai été consterné par le sort réservé aux anciens de l’AMH. J’ai donc contacté les anciens acteurs du circuit et nous avons fondé cette organisation en 2009. Grâce à notre Temple, les joueurs comme André Lacroix, Anders Hedberg, Ulf Nilsson, Pat Stapelton et Jean-Claude Tremblay ont enfin une place où l’on respecte leur héritage. »

Le Bobby Orr oublié

À ses débuts, l’Association est en quête de vedettes. À quelques mois de son match inaugural, l’AMH ébranlera le monde du hockey en arrachant Bobby Hull aux Blackhawks de Chicago. La comète blonde signe un contrat de cinq saisons avec les Jets de Winnipeg avec boni de signature d’un million de dollars. La LNH contestera cette entente, mais elle sera déboutée en cour.

Hull n’est pas le seul à faire ses valises. L’un des plus grands défenseurs de l’histoire de la LNH passe lui aussi au circuit maudit. Jean-Claude Tremblay quitte le Club de hockey canadien pour joindre les Nordiques de Québec. Marc Tardif, jeune premier du club montréalais à l’époque, se souvient de ce coup de tonnerre dans le paysage du club.

« Lorsque Jean-Claude a quitté Montréal, c’était tout un choc. À l’époque, jouer pour le Club de hockey canadien, c’était vu comme un privilège, surtout pour les Canadiens français. L’AMH, quelques mois avant son premier match, nous étions convaincus que ça ne verrait jamais le jour. Après les départs de Bobby Hull et de Jean-Claude, tout a changé. C’est à cause d’eux si la ligue a duré jusqu’en 1979. »

À l’époque, Tremblay est le général à la ligne bleue du tricolore. À sa onzième saison complète à Montréal, il est déjà détenteur de cinq bagues de la coupe Stanley. Originaire de Bagotville, Tremblay est aussi un pionnier et un mentor pour les jeunes joueurs de l’équipe.

« Jean-Claude a inventé le lobe. Il était le seul à faire cela lorsque j’ai commencé à jouer dans la LNH. Il avait adapté son équipement en ce sens. La palette de son bâton était tellement haute, qu’on la comparait à celle des gardiens de but. Il était un excellent professeur. Il exigeait des jeunes qu’ils gardent leur bâton sur la glace. Pour Guy Lafleur, Réjean Houle et moi, ce fut très formateur. Il avait du caractère et il ne se gênait pas pour aller à contrecourant lorsqu’il pensait avoir raison. Il a d’ailleurs été un des premiers à porter un casque protecteur dans la LNH. »

À la veille de la Série du siècle de 1972 contre les Soviétiques, Hockey Canada fait un scandale en excluant Bobby Hull de la formation. La décision fait suite à son passage dans l’AMH. Tremblay subira aussi le même sort. Tardif n’hésite pas à dire que cela a facilité la tâche aux Russes.

« Jean-Claude était le joueur idéal pour affronter l’URSS. Il avait une vision du jeu exceptionnelle et il excellait dans le maniement de la rondelle. Lancer le disque dans le coin de la patinoire, ce n’était vraiment pas sa tasse de thé. J’ai joué contre les Soviétiques en 1974 et je me souviens comment Jean-Claude était comme un poisson dans l’eau sur la patinoire olympique. Il a fait toute sa carrière grâce au contrôle de la rondelle et il aurait été indéniablement un joueur de premier plan si on lui avait donné la chance de participer en 1972. »

L’épine dorsale des Nordiques

Temblay a laissé une marque indélébile dans la LNH, mais il a aussi été une des plus grandes vedettes de l’AMH. Le numéro trois du défenseur étoile a été le premier à se retrouver au plafond du Colisée de Québec. Comme plusieurs, Marc Tardif croit que les Nordiques n’auraient pas survécu à leur première saison si Jean-Claude Temblay n’avait pas été sur la glace.

« À ma première année dans l’AMH, je jouais à Los Angeles. Lorsque l’entraineur nous présentait le plan de match contre les Nordiques, le sujet principal était Jean-Claude Tremblay. À Québec, il était toujours sur la patinoire. Il ne jouait jamais moins de 40 minutes par match et il dépassait souvent 50 minutes. Il est la raison pour laquelle les Nordiques ont survécu dans l’AMH et à la fusion de 1979. »

Tremblay était une force de la nature. En 1978, le journaliste Claude Larochelle a publié un livre intitulé « Les Nordiques et le circuit maudit. » Dans cet ouvrage rédigé avec l’aide de Marius Fortier, l’ancien journaliste du Soleil nous apprend que Tremblay a caché ses graves problèmes de reins à l’équipe durant tout l’hiver 1977. Le défenseur étoile a donc remporté la coupe Avco dans l’attente de l’ablation de rein. L’opération aura lieu en juin de la même année et l’homme de 38 ans, pétant de santé, retrouva son équipe au camp d’entrainement suivant.

« Il est revenu au jeu comme si rien ne s’était passé. C’est incroyable, surtout qu’à l’époque on ne faisait presque rien pendant l’été. On jouait un peu au golf, mais on ne faisait rien de plus. Jean-Claude était une force de la nature. Il était réellement dans une classe à part. Outre Bobby Orr, dans toute ma carrière, je n’ai jamais vu un défenseur de ce calibre. »

Jean-Claude Tremblay a pris sa retraite à l’été 1979. Malgré l’insistance de Jacques Demers, entraineur-chef des Nordiques à l’époque, le défenseur étoile a refusé de suivre l’équipe dans la LNH. Décédé en 1994, à l’âge de 55 ans, Tremblay ne sera jamais admis au Temple de la Renommée du hockey. Marc Tardif en est encore bouleversé aujourd’hui.

« Nous sommes très nombreux à ne pas comprendre cette situation. En fait, tous ses anciens coéquipiers et ses anciens adversaires sont en désaccord avec cette décision. Il a tellement marqué ce sport. Il a été supérieur à beaucoup de joueurs qu’on y a intronisés. C’est purement et simplement injuste. »

À Toronto, parle-t-on de Temple de la Renommée du hockey ou de celui de la LNH? Le cas de Jean-Claude Tremblay semble pointer vers la deuxième option. Timothy Gassen et bien d’autres  voient un règlement de comptes dans cette injustice historique. Presque 45 ans après la création de l’AMH, ne serait-il pas temps de mettre fin à la vendetta contre ses principaux acteurs? Il n’est jamais trop tard pour bien faire et le cas de Rogatien Vachon en est la meilleure preuve. Il serait donc temps d’ouvrir les portes du Temple à ce géant qu’est Jean-Claude Tremblay.