MONTRÉAL – Un coup de patin, ça n’a pas de sexe.

Il est bon, mauvais, ou quelque part entre les deux, qu’il s’agisse de celui d’Alexia Aubin ou de Tomas Lavoie.

On paraphrase, mais c’est essentiellement ce que rappelait Pierre Cholette, Directeur du Centre de soutien au recrutement de la LHJMQ (CSR), à sa recrue Katerine Aubry-Hébert, peu après avoir fait d’elle la première femme québécoise recruteuse du circuit, le 31 août dernier.

Forte de son expérience à titre coordonnatrice au hockey féminin pour Hockey Québec, un poste qu’elle occupe toujours à temps plein, et de ses quatre années passées avant cela dans les bureaux de la LHJMQ en tant que coordonnatrice aux opérations hockey, Aubry-Hébert était donc la femme de la situation.

« Quand on l’a embauchée, j’ai dit à mon boss : "Pierre [Leduc, Directeur des opérations hockey de la LHJMQ], j’ai engagé des scouts lors de certaines années qui étaient moins qualifiés qu’elle". Je te le dis, bien moins qualifiés qu’elle », confiait récemment Cholette, un éclaireur cumulant plus de 25 ans de métier.

« De par son travail chez Hockey Québec, elle fait des évaluations de joueuses, c’est déjà son travail », explique-t-il. « Alors quand on a parlé de ça, je lui ai dit : "Écoute Katerine, il n’y a pas de différences. Quand tu as à évaluer le patin d’un joueur ou une joueuse sur une échelle de 1 à 5, que ce soit un gars ou une fille, c’est un bon ou un mauvais patineur? Les habiletés, même chose. La seule chose qui va changer, jusqu’à un certain point, c’est l’aspect physique, parce que chez les filles, il n’y a pas de mise en échec. Mais les filles, ça joue quand même du coude, elles sont résistantes et elles brassent à leur façon. [...] C’est peut-être le seul endroit où tu vas avoir un certain ajustement à faire. Pour le reste, quand tu classes tes filles de 1 à 10, est-ce difficile? Les gars, ça va être la même affaire". »

Bleu ou bleu azur?

Aubry-Hébert s’est présentée pour la toute première fois vêtue de son manteau de la LHJMQ à l’aréna Fleury de Montréal, le 11 septembre, à l’occasion de la visite des Forestiers d’Amos au domicile du Rousseau-Royal de Laval-Montréal de la Ligue M18 AAA.

« J’étais capable de repérer les meilleurs [joueurs], mais après ça, on dirait que je voulais trop tout voir, tout de suite. Dans nos grilles, il faut évaluer le patin, le jeu physique, etc., il y a plein d’éléments à noter et plusieurs joueurs à évaluer aussi », s’est-elle souvenu lors d’un entretien avec le RDS.ca.

« C’est sûr qu’au début, ça paraît gros et je me l’étais fait dire par mon directeur, Pierre. "Tu vas voir, les premières games, tu pars vraiment d’une page blanche, tu as moins de points de comparaison." [...] J’essayais de me faire ma propre opinion, je ne voulais pas me comparer tout de suite avec les autres parce que je ne voulais pas copier non plus. Je voulais vraiment voir si mon opinion était bonne. Au fur et à mesure, en ayant des discussions, je me suis rendu compte que mon analyse fait du sens. J’ai pris confiance. »

Chargée d’épier principalement les espoirs des Gaulois de Saint-Hyacinthe, des Vikings de Saint-Eustache et des Élites de Jonquière, Aubry-Hébert s’est toutefois rapidement mise à son aise et démarquée.

« Ce que j’ai adoré dans le cas de Katerine, c’est que les filles ont une façon différente des gars de voir beaucoup de choses. Elles sont plus rigoureuses que les gars, elles portent plus attention aux détails que nous autres. Nous autres, les gars, bleu c’est bleu. Une fille, le bleu, ça n’existe pas. C’est bleu azur, bleu royal... », illustre Cholette avant d’approfondir sa pensée.

« Au niveau du scouting, quand nous parlions, par exemple, d’un joueur en particulier, elle pouvait me dire : "Je trouve qu’il n’a pas de patin". Je lui répondais : "OK, c’est quoi pas de patin pour toi?". Elle était capable de me le décortiquer. Tandis qu’un gars va [peut-être se contenter de dire] : "Il n’a pas de patin lui". Pas de patin, pas de patin... C’est quoi pas de patin pour toi? Katerine, elle a vraiment su transposer ce qu’elle voyait dans ses rapports. C’est une fille structurée à mort! »

Une éponge

Équipée d’une assurance grandissante, Aubry-Hébert a petit à petit assumé sa place et son rôle aux côtés de ses 10 collègues du CSR lors de nombreuses réunions et débats qui ont culminé il y a deux semaines avec la publication de la liste finale des meilleurs espoirs en vue du prochain repêchage de la LHJMQ.

« L’histoire qu’il faut que tu vendes ton joueur, ce n’est plus vrai », rappelle Cholette. « Quand bien même que tu donnerais une claque sur la table ou que tu parlerais plus fort, ça ne m’impressionnera pas une seconde. Donne-moi des arguments par rapport au joueur sans avoir à utiliser ces moyens-là et je vais être preneur. »

C’est en plein ce qu’a fait Aubry-Hébert.

« C’est quelqu’un qui écoute beaucoup », décrit son patron. « Elle note les arguments, les emmagasine, et quand elle retourne voir le joueur, elle porte plus attention. »

« Je me rappelle, lors d’un meeting du mois de décembre, on avait discuté d’un joueur et dans le rapport suivant, quand elle l’a revu, elle a adhéré à certains trucs que j’avais dits, mais elle a maintenu sa position sur d’autres. Elle a vraiment pris le temps de l’écrire. C’est comme une éponge. »

« Ils ont plus d’expérience, alors c’est sûr que je veux leur opinion et apprendre de ça, mais ça reste qu’il faut que je garde quand même mon point quand j’y crois », insiste Aubry-Hébert. « Ça amène de bonnes discussions et c’est ça qui est le fun aussi au bout de la ligne. »

La recruteuse recrutée?

Du fun, Aubry-Hébert assure en avoir eu, et ce même si son nouvel engagement signifiait que ses semaines de boulot du lundi au vendredi à Hockey Québec étaient suivies de week-ends de trois matchs M18 AAA et de rapports à rédiger les lundis soirs.

« On a eu un plus long break à cause de la COVID, ç’a peut-être aidé un p’tit peu, mais en même temps, quand on est revenu c’était plus condensé. Ç’a quand même bien été, je suis une personne bien organisée. J’étais capable d’arranger mon horaire en conséquence. »

Si bien qu’elle est prête à renfiler son manteau de la LHJMQ à la première occasion la saison prochaine, et qui sait, de le troquer avant longtemps pour celui de l’un des 18 clubs du circuit.

« Peut-être à moyen terme. Je veux me laisser le temps d’apprendre aussi, mais c’est sûr que j’aimerais ça », affirme celle qui a déjà été approchée par le Junior AAA. « C’est l’fun aussi quand tu formes une équipe. Il y a encore plus de composantes à aller voir quand t’es une équipe. La finalité est différente. »

À écouter celui qui l’a recruté, ce ne serait qu’une question de temps avant qu’il ait à lancer un nouveau processus d’embauche.

« Je ne le souhaite pas, mais je le souhaite en même temps. D’après moi, elle ne travaillera pas pour moi longtemps. Peut-être une autre bonne année avec nous autres. L’année prochaine, elle va être plus confiante. J’espère qu’elle en aura l’occasion, parce que le CSR, c’est un peu aussi un club-école. »

Chose certaine, Aubry-Hébert fait sa place. Sa première année dans un milieu malheureusement encore conservateur à l’égard des femmes s’est faite sans anicroche et sans incident déplorable. « Tout s’est bien passé », assure-t-elle.

« Je n’ai pas entendu parler de rien, au contraire », confirme Cholette. « [...] Elle fait partie de la gang. »