MONTRÉAL – Trois semaines après sa naissance, le Phoenix de Sherbrooke répondait à tous les stéréotypes généralement associés à une équipe d’expansion.

À ses six premiers matchs, le petit nouveau du circuit Courteau n’avait inscrit que cinq buts – et en avait accordé 27. Il a dû attendre à son huitième match pour décrocher son premier point, une défaite en fusillade contre le Rocket de l’Île-du-Prince-Édouard. La victoire tant attendue est finalement arrivée trois jours plus tard, à domicile, contre les Voltigeurs de Drummondville.

Les chiffres ne permettent pas toujours de capter toutes les subtilités d’une situation, mais en début de saison à Sherbrooke, la réalité était aussi pénible que les statistiques le laissaient croire.

« Oui, tout à fait!, admet sans détour l’entraîneur Judes Vallée. On se faisait planter. On travaillait, mais on travaillait mal. Quand tu dis qu’on est arrivé au début de l’année en se demandant ce qu’on allait faire comme période d’échauffement... On pense qu’on est prêt pour une expérience comme ça, mais finalement on ne l’est jamais assez. »  

Vallée savait pertinemment que le mandat était robuste lorsqu’il a accepté de revenir dans la LHJMQ après un passage couronné de succès chez les Cougars du Collège Champlain, dans la Ligue junior AAA. Et des passages à vide, il en avait connu suffisamment au cours de sa carrière d’entraîneur pour avoir appris à en tirer le positif. Mais même toute l’expérience du monde n’aurait pu rendre agréable le début de saison laborieux de ses troupes.   

 « C’est sûr qu’à un moment donné, quand on n’avait qu’une poignée de points après quinze matchs, on s’est demandé quelle sorte de saison on allait passer! Est-ce qu’on allait être capable d’en gagner dix? Mais si on fait abstraction de ce faux départ, je pense qu’on joue presque pour ,500 depuis le mois de décembre. Pour une équipe d’expansion, c’est bon. »

Tellement bon qu’avec deux semaines à faire au calendrier régulier, le Phoenix a officialisé sa qualification pour les séries éliminatoires et s’est même permis d’ajuster son objectif initial. La consolidation du 15e rang au classement général, qui permettrait d’éviter la grosse machine des Mooseheads de Halifax au premier tour, est devenue la nouvelle priorité du groupe.

Mission accomplie? En bonne partie. Ce soir, le Phoenix disputera le premier match éliminatoire de son histoire alors qu’il amorcera une série 4-de-7 contre le Drakkar à Baie-Comeau. Il s’agit d’un accomplissement considérable pour une équipe de première année, surtout lorsqu’on considère les ratées expérimentées lors du décollage.

« Avant le début de la saison, faire les séries, je trouvais que c’était un peu faible comme objectif, avoue le gardien Jacob Gervais-Chouinard, qui arrivait à Sherbrooke quelques mois après avoir aidé l’Océanic de Rimouski à atteindre l’étape finale du tournoi éliminatoire de la LHJMQ. Finalement, on a vu comment ça s’est passé, ça a été plus serré que je pensais. Mais présentement, on est plus confiant, on voit qu’on peut battre n’importe qui. »

La réalité d’un cliché

La direction du Phoenix s’est fixé deux buts qui pouvaient sembler contradictoires avant de se mettre à l’érection de la première mouture du club. L’accession aux séries éliminatoires est devenue un impératif dès le Jour 1 de l’aventure, mais pas question de la prioriser au détriment de la vision à long terme du directeur général Patrick Charbonneau. Dès le départ, il a été établi que le présent de l’équipe allait être l’affaire des jeunes.

 « Je pense qu’on a présentement 15 recrues au sein de note alignement, dénombrait approximativement Vallée dans un récent entretien avec RDS. Là-dessus, j’en ai une douzaine qui ont 17 ans ou moins, dont quatre de 16 ans. »

Daniel Audette« Au début, ça a été difficile de se concentrer uniquement sur le hockey, avoue Gervais-Chouinard, un cerbère de 20 ans qui a rapidement été identifié comme un pilier autour duquel le Phoenix voulait bâtir. Il fallait commencer à zéro dans absolument tout. Ça revenait aux vétérans de s’occuper de la préparation d’avant-match, de s’organiser avec l’école, d’instaurer des routines... La tête n’était pas toujours sur la glace, mais on a fini par s’habituer. »   

« Ça a été un gros travail entre les entraîneurs et les vétérans, confirme le capitaine Alexandre Comtois, qui en est à sa quatrième équipe en trois saisons dans la LHJMQ. On a essayé d’instaurer des façons de faire générales en intégrant des choses qu’on avait retenues de nos expériences précédentes. Une fois que ça a été fait, ça a commencé à mieux aller. »

« Créer des chimies, une atmosphère, ça aussi ça a pris un certain temps, se rappelle l’entraîneur. Ça peut avoir l’air d’un gros cliché pour certains, mais pour nous ce ne l’était pas! Il fallait vraiment bâtir la philosophie de cette équipe. Ça a été un beau défi. »

À la mi-octobre, le Phoenix a pris la route des Maritimes pour son premier gros voyage de la saison. Il a décroché sa deuxième victoire dès son premier arrêt, à Sydney, et est ensuite allé donner du fil à retordre aux puissances qui prenaient forme à Halifax et Moncton.

« D’habitude, il n’y a que cinq ou six nouveaux dans une équipe au début de la saison, mais là il n’y avait que ça, des nouveaux!, fait remarquer Comtois qui, comme Gervais-Chouinard, a l’occasion de terminer sa carrière junior avec l’équipe de sa ville natale. Après les dix premiers matchs, on n’était pas trop sûrs de ce que ça donnerait, mais ce voyage a été bénéfique pour l’équipe.

« Prends 23 gars qui n’ont jamais joué ensemble, avec 15 ou 16 recrues qui jouaient midget AAA l’année précédente... Sapristi, ça n’a pas été facile. Mais ce voyage nous a permis de nous souder », approuve Vallée en rétrospective.

Message et ajustements

L’esprit d’équipe solidifié par chaque kilomètre que l’autobus laissait derrière lui, le Phoenix n’était pas pour autant sorti de l’auberge lorsqu’il est rentré en Estrie. À son retour, il n’a obtenu que deux victoires à ses onze matchs suivants et au tiers de la saison, l’équipe semblait se plaire dans la médiocrité.

« La mentalité était qu’on était qu’une équipe d’expansion et que c’était normal qu’on perde, a observé Vallée. Quand tu te rends compte que tu as quatre fois plus de défaites que de victoires, ça devient tout d’un coup la faute des recrues, des vétérans, des voisins. Personne ne se sentait concerné alors que tout le monde aurait dû l’être. »

« Il a donc fallu changer notre discours. Certaines excuses étaient valables au début, mais vient un temps où il faut passer à autre chose. On voulait faire comprendre aux joueurs qu’on faisait partie de cette ligue et qu’on allait se créer quelque chose pour se battre à chaque soir. Ça a changé la dynamique. »

Le message n’est pas tombé dans l’oreille de sourds. Après un échec de 6-0 à Québec en novembre, le Phoenix a conclu l’année en subissant seulement deux revers en temps réglementaire en douze parties (5-2-4).

Vincent Richer et Jacob Gervais-ChouinardL’équipe a frappé un autre mur au retour des Fêtes, perdant onze de ses quinze premières rencontres de 2013. Au creux de la vague, une autre mise au point s’imposait.

« On a mis le logo en avant, dévoile Comtois. Chacun a dû ressortir trois points qu’il devait apporter pour contribuer aux succès de l’équipe et quand ça allait moins bien, on essayait de se concentrer sur nos points en se disant que si chacun faisait ce qu’il avait à faire, on aurait des chances de gagner chaque partie. »

Dans certains cas, la méthode forte a dû être appliquée. En milieu de saison, Vallée n’a pas hésité à renvoyer à la maison deux vétérans qui fournissait un effort jugé insatisfaisant. « Ça a brassé la barque », constate-t-il aujourd’hui.

Le marché des transactions a également servi à corriger certaines situations indésirables ou à apporter des correctifs devenus nécessaires en cours de route. Steve Lebel, un autre joueur de 20 ans, s’est amené de Baie-Comeau lorsque le vétéran défenseur Vincent Richer est tombé au combat. Acquis des Huskies de Rouyn-Noranda, Denis Kamaev a amassé 36 points en 41 matchs et terminé au troisième rang du classement des compteurs de sa nouvelle équipe.

« Il y a eu des échanges qui ont fait du bien, ne cache pas Comtois. Certains gars avaient peut-être moins envie d’être ici en raison des défaites plus fréquentes, alors on est allé chercher des joueurs qui voulaient gagner avec nous. Des nouveaux venus, ça amène de nouvelles mentalités. On a essayé d’intégrer ça dans un tout et je crois que ça a bien fonctionné. »

Y croire à chaque soir

Le Phoenix a assuré sa place en séries avec une défaite en prolongation à son 62e de la saison régulière, mais a probablement lancé un message encore plus fort lors du match suivant. Un relâchement aurait été naturel, surtout avec une équipe de tête de peloton en ville, mais les Huskies de Rouyn-Noranda sont repartis bredouilles vers l’Abitibi.  

« Ça nous était arrivé à quelques occasions de gagner des matchs importants et de connaître une contre-performance par la suite, mais je pense qu’on a montré qu’on a appris de nos erreurs. On voit maintenant qu’on est capable de jouer avec la plupart des équipes de la Ligue », croit Comtois, qui a terminé la saison avec 62 points.

Le Phoenix a su faire la vie dure à quelques équipes de pointe en cours de route. Deux fois, les Huskies ont été mis en laisse par le club de première année. L’Océanic et les Voltigeurs ont été surpris trois fois par ces grands négligés, qui ont aussi réussi à soutirer trois points au Drakkar.

« Après notre début de saison difficile, on essayait d’être compétitifs contre les équipes de haut de classement et on voulait vraiment aller chercher nos matchs contre les équipes plus près de nous. Maintenant, ce n’est vraiment plus comme ça. À chaque soir, on veut aller chercher des points », compare Gervais-Chouinard, qui a atteint le plateau des 20 victoires pour la troisième saison consécutive et affiché le meilleur taux d’efficacité de sa carrière.  

« Ce qui est le fun aujourd’hui, c’est qu’on arrive à l’aréna en sachant que c’est possible de gagner, répète Vallée. En début d’année, on se disait inconsciemment, et parfois même très consciemment, qu’on souhaitait "juste ne pas perdre la face ce soir". Maintenant, on est en mode "séries" depuis plus d’un mois et on se présente pour chaque match en sachant qu’on a des chances de le gagner. »